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29/01/2025 | FRANCE | N°498798

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 29 janvier 2025, 498798


Vu la procédure suivante :



La bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et l'ordre des avocats du barreau de Rennes, à l'appui de leur demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision révélée par un courrier du 15 avril 2024 de la présidente du tribunal judiciaire de Rennes et du procureur de la République près ce tribunal refusant à la bâtonnière, ainsi qu'à ses délégués, de visiter les lieux de privation de liberté situés au sein des locaux du tribunal judiciaire de Rennes, ont produit deux mémoires, enregist

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Vu la procédure suivante :

La bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et l'ordre des avocats du barreau de Rennes, à l'appui de leur demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision révélée par un courrier du 15 avril 2024 de la présidente du tribunal judiciaire de Rennes et du procureur de la République près ce tribunal refusant à la bâtonnière, ainsi qu'à ses délégués, de visiter les lieux de privation de liberté situés au sein des locaux du tribunal judiciaire de Rennes, ont produit deux mémoires, enregistrés les 27 août et 4 novembre 2024 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale.

Par une ordonnance n° 2403202 du 7 novembre 2024, enregistrée le 8 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Rennes, avant qu'il soit statué sur la demande de la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et de l'ordre des avocats de ce barreau, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistré le 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la bâtonnière de l'ordre des avocats au barreau de Rennes et l'ordre des avocats de ce barreau soutiennent que les dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale, applicables au litige, d'une part, méconnaissent la compétence propre du législateur dans des conditions affectant le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que le droit à la liberté d'expression et de communication et, d'autre part, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi.

Par un mémoire, enregistré le 28 novembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Il soutient que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

Par une intervention, enregistrée le 25 novembre 2024, l'association des avocats pénalistes demande que le Conseil d'Etat fasse droit à la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et l'ordre des avocats de ce barreau. Elle soutient que la question soulevée présente un caractère sérieux.

Par une intervention, enregistrée le 6 janvier 2025, le Conseil national des barreaux demande que le Conseil d'Etat fasse droit à la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et l'ordre des avocats de ce barreau. Il soutient que la question soulevée présente un caractère sérieux.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de procédure pénale, notamment son article 719 ;

- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et autre, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national des barreaux et à SCP Spinosi, avocat de l'association des avocats pénalistes ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur les interventions :

2. Eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'Etat de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale.

En ce qui concerne l'intervention du Conseil national des barreaux :

3. Le Conseil national des barreaux a déposé une intervention devant le tribunal administratif de Rennes, par un mémoire enregistré le 11 octobre 2024 au greffe de ce tribunal, au soutien du recours en annulation formé par la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes et par l'ordre des avocats de ce barreau. Il justifie, par ses missions légales et son action, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de cette demande. Dès lors, son intervention devant le Conseil d'Etat au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la bâtonnière de l'ordre des avocats au barreau de Rennes et par l'ordre des avocats de ce barreau à l'appui leur demande doit être admise pour l'examen de cette question.

En ce qui concerne l'intervention de l'association des avocats pénalistes :

4. L'association des avocats pénalistes a déposé une intervention devant le tribunal administratif de Rennes, par un mémoire enregistré le 22 novembre 2024 au greffe de ce tribunal, au soutien du recours en annulation formé par la bâtonnière de l'ordre des avocats au barreau de Rennes et par l'ordre des avocats de ce barreau. Elle justifie, par son objet statutaire et son action, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de cette demande. Dès lors, son intervention devant le Conseil d'Etat au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la bâtonnière de l'ordre des avocats au barreau de Rennes et par l'ordre des avocats de ce barreau à l'appui de leur demande doit être admise pour l'examen de cette question.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Aux termes de l'article 719 du code de procédure pénale : " Les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l'ordre sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l'article 323-1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d'attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l'article L. 113-7 du code de la justice pénale des mineurs. / A l'exception des locaux de garde à vue, les députés, les sénateurs et les représentants au Parlement européen mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle mentionnée à l'article L. 7111-6 du code du travail, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".

6. Les dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Rennes et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le grief tiré de ce que ces dispositions, en tant qu'elles n'incluent pas les lieux de privation de liberté situés dans les tribunaux judiciaires et les cours d'appel, dits geôles et dépôts, dans la liste des lieux de privation de liberté pouvant faire l'objet du droit de visite qu'elles prévoient, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant la loi ainsi qu'à la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution dans des conditions affectant le principe de sauvegarde de la dignité humaine, soulève une question présentant un caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les interventions du Conseil national des barreaux et de l'association des avocats pénalistes sont admises.

Article 2 : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 719 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Rennes, à l'ordre des avocats du barreau de Rennes, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, au président du tribunal administratif de Rennes, au Conseil national des barreaux et à l'association des avocats pénalistes.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 29 janvier 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 498798
Date de la décision : 29/01/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jan. 2025, n° 498798
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP SPINOSI ; SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:498798.20250129
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