Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 492073, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février, 23 mai et 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'université Jean Moulin Lyon-III demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 492717, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mars et 23 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés des services départementaux d'incendie et de secours de France demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
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3° Sous le n° 493663, par une requête, enregistrée le 22 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... B..., M. D... E..., M. F... G... et M. A... C..., agissant en qualité de sénateurs, demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
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4° Sous le n° 493737, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 avril et 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Notre affaire à tous " demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 34 ;
- la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 ;
- le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de l'université Jean Moulin Lyon-III ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 janvier 2025, présentée par l'université Jean Moulin Lyon-III ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 janvier 2025, présentée par l'association " Notre affaire à tous " ;
Considérant ce qui suit :
1. Par quatre requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l'université Jean Moulin Lyon-III, le syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés des services départementaux d'incendie et de secours de France, Mme H... B..., M. D... E..., M. F... G..., M. A... C..., agissant en leur qualité de sénateurs, et l'association " Notre affaire à tous " demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
2. Aux termes du I de l'article 14 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances : " Afin de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l'année concernée, un crédit peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances. Un crédit devenu sans objet peut être annulé par un décret pris dans les mêmes conditions. / Avant sa publication, tout décret d'annulation est transmis pour information aux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et aux autres commissions concernées. / Le montant cumulé des crédits annulés par décret en vertu du présent article et de l'article 13 ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ".
Sur les moyens de légalité externe :
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le Gouvernement a transmis le décret attaqué aux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ainsi qu'aux autres commissions concernées avant la publication de celui-ci au Journal officiel, conformément aux exigences résultant des dispositions précitées de l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances. Cet article prévoyant, non une consultation pour avis mais une simple transmission préalable pour information, la circonstance que celle-ci n'ait eu lieu que quelques heures avant la publication du décret litigieux au Journal officiel ne saurait être regardée comme constituant une méconnaissance des dispositions de la loi organique. Par suite, le moyen tiré de ce que ce décret aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute de transmission préalable aux commissions concernées de l'Assemblée nationale et du Sénat, doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article 56 de la loi organique relative aux lois de finances : " Les décrets et arrêtés prévus par la présente loi organique sont publiés au Journal officiel. Il en est de même des rapports qui en présentent les motivations (...) ". D'une part, s'il est soutenu que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière au motif que le rapport, prévu par ces dispositions, du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relatif à ce décret a été publié au Journal officiel du 23 février 2024, soit le lendemain de la publication du décret attaqué, il ne résulte ni des dispositions précitées de l'article 56 ni d'aucune autre disposition de la loi organique relative aux lois de finances que la publication de ce rapport aurait dû intervenir concomitamment à celle du décret attaqué. D'autre part, contrairement à ce qui est soutenu, ce rapport expose de manière suffisamment précise les motivations ayant conduit le Gouvernement à procéder à l'annulation de crédits contenue dans le décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que ce décret aurait été pris au terme d'une procédure méconnaissant les dispositions combinées des articles 14 et 56 de la loi organique relative aux lois de finances doit, en tout état de cause, être écarté.
5. En troisième lieu, il ne résulte ni de l'article 14 ni d'aucune autre disposition de la loi organique relative aux lois de finances, qu'un décret portant annulation de crédits au titre du I de cet article 14 soit un décret en Conseil d'Etat. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, le décret attaqué ne déroge à aucune disposition prise par décret en Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que ce décret aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière, faute de consultation préalable du Conseil d'Etat, ne peut qu'être écarté.
6. En quatrième lieu, si les dispositions du II de l'article 8 du décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration prévoient que font l'objet d'une fiche d'impact préalable l'ensemble des projets de texte réglementaire ayant des conséquences sur les missions et l'organisation des services déconcentrés de l'Etat, tel n'est ni l'objet ni l'effet du décret attaqué. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que ce décret aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir fait l'objet d'une telle fiche d'impact.
7. En cinquième lieu, s'il est soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, qui prévoient que les " décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement " sont soumises à une procédure de participation du public, ce décret ne peut, au seul motif qu'il procède à l'annulation d'une partie des crédits de la mission " Ecologie, développement et mobilité durables ", être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement au sens de cet article. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute d'avoir fait l'objet d'une consultation préalable du public, doit être écarté.
8. Enfin, s'il est soutenu que le décret attaqué porterait atteinte aux droits et prérogatives du Parlement en matière budgétaire, il résulte des dispositions même de l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances, déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, que le législateur organique a autorisé le Gouvernement, sous les réserves prévues par cet article, à procéder par décret à une annulation d'une partie des crédits votés par le Parlement dans le cadre des lois de finances. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les droits du Parlement et ainsi empiéterait sur sa compétence en tant qu'il annule des crédits votés par ce dernier dans le cadre des lois de finances ne peut qu'être écarté.
Sur les moyens de légalité interne :
9. En premier lieu, l'université requérante soutient que le décret attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation au regard des effets disproportionnés, faute de circonstances exceptionnelles, qu'aurait sur l'exécution du service public de l'enseignement supérieur l'annulation de crédits à laquelle il procède. Toutefois, s'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler qu'un décret pris sur le fondement de l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances respecte les procédures et conditions prévues par ces dispositions, il n'entre pas dans son office de contrôler le choix des pouvoirs publics du montant global des crédits devant être annulés afin de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l'année concernée ni, au sein des crédits annulés, de la répartition de ces annulations entre les différentes politiques publiques. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret serait entaché d'une erreur d'appréciation ne peut qu'être écarté comme inopérant.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances : " Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ". S'il est soutenu que le décret attaqué révélerait, eu égard à la fois à l'importance du montant des crédits annulés et au caractère précoce de l'adoption de ce décret au cours de l'année 2024, l'absence de sincérité des prévisions soumises par le Gouvernement au Parlement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, le principe de sincérité budgétaire, qui s'applique aux seules lois de finances, ne peut être utilement invoqué à l'encontre du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que ce décret méconnaîtrait les dispositions de l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances ne peut qu'être écarté comme inopérant.
11. En troisième lieu, s'il est soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait la finalité exigée par l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances et tendant à, prévenir " une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l'année concernée ", au motif que l'équilibre budgétaire ne se serait pas détérioré entre l'adoption de la loi de finances pour 2024 et l'édiction du décret attaqué, il ressort des pièces du dossier ainsi que du rapport, mentionné au point 4, du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique que le décret attaqué a été pris compte tenu, d'une part, de la dégradation des perspectives de croissance économique en Europe et dans le monde résultant des prévisions établies en début d'année 2024 par les principaux organismes internationaux de prévision macro-économique et, d'autre part, de la diminution des recettes fiscales de l'Etat constatées à la fin de l'année 2023 et prévues pour l'année 2024. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
12. En quatrième lieu, aux termes du II de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances : " Dans la seconde partie, la loi de finances de l'année : / 1° Fixe, pour le budget général, par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ; / (...) 3° Fixe, par budget annexe et par compte spécial, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés ; (...) ". S'il est soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait la condition posée par l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances et tirée de ce que " Le montant cumulé des crédits annulés par décret en vertu du présent article et de l'article 13 ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ", les requérants se bornent à faire valoir que ce montant serait supérieur à 1,5 % des crédits ouverts par l'article 167 de la loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 au titre du seul budget général. Il résulte toutefois des dispositions combinées du troisième alinéa du I de l'article 14 et du II de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances que les autorisations d'engagement et les crédits de paiement à prendre en compte pour le calcul de ce seuil de 1,5 % sont ceux ouverts non seulement au titre du budget général, mais également au titre des budgets annexes, des comptes d'affectation spéciale et des comptes de concours financiers. Par suite, et alors au demeurant que ne sont pas contestés les chiffres avancés par le ministre en défense, selon lesquels les crédits annulés par le décret attaqué ne dépassent pas 1,5 % de ceux ouverts par la loi de finances pour 2024 au titre du budget général, des budgets annexes, des comptes d'affectation spéciale et des comptes de concours financiers, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le seuil de 1,5 % prévu par les dispositions du troisième alinéa du I de l'article 14 doit être écarté.
13. En cinquième lieu, si les sénateurs requérants soutiennent que le décret attaqué procéderait à une modification significative des charges budgétaires en cours d'exercice, laquelle aurait imposé au Gouvernement, notamment au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière, de présenter un projet de loi de finances rectificative, ce moyen n'est, en tout état de cause, pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
14. En sixième lieu, si le principe de non-régression, tel que défini au 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement s'impose au pouvoir réglementaire lorsqu'il détermine des règles relatives à l'environnement, tel n'est ni l'objet ni l'effet du décret attaqué. Par suite, le principe de non-régression ne peut être utilement invoqué à l'encontre de ce décret.
15. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par l'université Jean Moulin Lyon-III et l'association " Notre affaire à tous " soient mises à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'université Jean Moulin Lyon-III, du syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés des services départementaux d'incendie et de secours de France, de Mme H... B..., M. D... E..., M. F... G... et M. A... C..., agissant en qualité de sénateurs, ainsi que de l'association " Notre affaire à tous " sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'université Jean Moulin Lyon-III, au syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés des services départementaux d'incendie et de secours de France, à Mme H... B..., à M. D... E..., à M. F... G..., à M. A... C..., agissant en qualité de sénateurs, à l'association " Notre affaire à tous ", au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 janvier 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 29 janvier 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain