La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/01/2025 | FRANCE | N°445088

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 28 janvier 2025, 445088


Vu la procédure suivante :



Par une décision du 9 juin 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la Confédération paysanne tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de refus du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de l'économie, des finances et de la relance de prendre un arrêté prohibant l'importation de certains produits agricoles originaires du Sahara occidental en application de l'article 23 bis du code des douanes et à ce qu'il soit enjoint à ces ministres de prendre, sur

le fondement de ces dispositions, dans un délai de deux mois à compter ...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 9 juin 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la Confédération paysanne tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de refus du ministre de l'agriculture et de l'alimentation et du ministre de l'économie, des finances et de la relance de prendre un arrêté prohibant l'importation de certains produits agricoles originaires du Sahara occidental en application de l'article 23 bis du code des douanes et à ce qu'il soit enjoint à ces ministres de prendre, sur le fondement de ces dispositions, dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir, un arrêté prohibant l'importation des tomates cerises et des melons originaires du Sahara occidental dans des conditions non conformes au droit de l'Union européenne, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1° Les dispositions du règlement (UE) n° 1169/2011, du règlement (UE) n° 1308/2013, du règlement (UE) n° 543/2011 et du règlement n° 952/2013 doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles autorisent un Etat membre à adopter une mesure nationale d'interdiction des importations, en provenance d'un pays déterminé, de fruits et légumes qui méconnaissent les articles 26 du règlement (UE) n° 1169/2011 et 76 du règlement (UE) n° 1308/2013 faute de mentionner le pays ou territoire dont ils sont réellement originaires, notamment lorsque cette méconnaissance présente un caractère massif et qu'elle peut difficilement être contrôlée une fois les produits entrés sur le territoire de l'Union '

2° En cas de réponse positive à la première question, l'accord sous forme d'échange de lettres, approuvé par décision du Conseil du 28 janvier 2019, modifiant les protocoles n° 1 et 4 de l'accord d'association euro-méditerranéen du 26 février 1996 établissant une association entre l'Union européenne et ses Etats membres et le Maroc, doit-il être interprété en ce sens que, pour l'application des articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1169/2011 et de l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011, d'une part, les fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ont comme pays d'origine le Maroc et, d'autre part, les autorités marocaines sont compétentes pour délivrer les certificats de conformité prévus par le règlement (UE) n° 543/2011 aux fruits et légumes récoltés sur ce territoire '

3° En cas de réponse positive à la deuxième question, la décision du Conseil du 28 janvier 2019 approuvant cet accord sous forme d'échange de lettres est-elle conforme à l'article 3, paragraphe 5 du traité sur l'Union européenne, à l'article 21 du même traité et au principe coutumier d'autodétermination rappelé notamment à l'article 1er de la Charte des Nations-Unies '

4° Les articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1169/2011 et l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'au stade de l'importation comme de la vente au consommateur, l'emballage des fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ne peut mentionner le Maroc au titre du pays d'origine mais doit faire mention du territoire du Sahara occidental '

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 9 juin 2022 ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 2015/478 du Parlement européen et du Conseil du

11 mars 2015 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 ;

- le code des douanes ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 4 octobre 2024

(C-399/22) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Pau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La Confédération paysanne a demandé au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de prendre, en application de l'article 23 bis du code des douanes, un arrêté prohibant l'importation de tomates cerises et de melons charentais récoltés sur le territoire du Sahara occidental, au motif que ce territoire n'appartient pas au Royaume du Maroc et que, par suite, l'étiquetage présentant ces produits comme originaires du Maroc méconnaît les dispositions du droit de l'Union européenne relatives à l'information des consommateurs sur l'origine des fruits et légumes mis à la vente. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé par ces deux ministres à sa demande.

Sur l'intervention de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER) :

2. Eu égard à l'objet du litige, la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER) justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Par suite, son intervention est recevable.

Sur le cadre juridique du litige :

3. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Lorsque les traités attribuent à l'Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l'Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s'ils sont habilités par l'Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l'Union ". Aux termes de l'article 3 du même traité : " 1. L'Union dispose d'une compétence exclusive dans les domaines suivants : / (...) / e) la politique commerciale commune (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 207 de ce traité : " La politique commerciale commune est fondée sur des principes uniformes, notamment en ce qui concerne les modifications tarifaires, la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services (...). La politique commerciale commune est menée dans le cadre des principes et objectifs de l'action extérieure de l'Union ".

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du règlement (UE)

n° 2015/478 du 11 mars 2015 relatif au régime commun applicable aux importations, dit " règlement de base sur les sauvegardes " : " 1. Le présent règlement s'applique aux importations des produits originaires des pays tiers, à l'exception : / a) des produits textiles soumis à des règles d'importation spécifiques en vertu du règlement (CE) n° 517/94 ; / b) des produits originaires de certains pays tiers énumérés dans le règlement (CE)

n° 625/2009 du Conseil. / 2. L'importation dans l'Union des produits visés au paragraphe 1 est libre et n'est donc soumise à aucune restriction quantitative, sans préjudice des mesures de sauvegarde pouvant être prises en vertu du chapitre V ". Aux termes de l'article 15 figurant au chapitre V du même règlement : " 1. Lorsqu'un produit est importé dans l'Union en quantités tellement accrues et/ou à des conditions ou selon des modalités telles qu'un dommage grave est causé ou risque d'être causé aux producteurs de l'Union, la Commission, afin de sauvegarder les intérêts de l'Union, peut, à la demande d'un État membre ou de sa propre initiative : / a) abréger la durée de validité des documents de surveillance, au sens de l'article 11, qui sont émis après l'entrée en vigueur de cette mesure ; / b) modifier le régime d'importation du produit en question en subordonnant sa mise en libre pratique à la présentation d'une autorisation d'importation à octroyer selon les modalités et dans les limites qu'elle définit (...) ".

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 74 (Principe général) du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " Les produits pour lesquels des normes de commercialisation ont été fixées par secteur ou par produit conformément à la présente section ne peuvent être commercialisés dans l'Union que s'ils sont conformes auxdites normes ". Aux termes de l'article 75 du même règlement (Etablissement et contenu) : " 1. Des normes de commercialisation peuvent s'appliquer à l'un ou plusieurs des produits et secteurs suivants : / (...) / b) fruits et légumes ; / (...) / 3. Sans préjudice de l'article 26 du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, les normes de commercialisation visées au paragraphe 1 peuvent porter sur un ou plusieurs des éléments énumérés ci-après, déterminés sur la base des secteurs ou des produits et en fonction des caractéristiques de chaque secteur, de la nécessité de réglementer la mise sur le marché et des conditions énoncées au paragraphe 5 du présent article : / (...) / j) le lieu de production et/ou l'origine (...) ". Aux termes de l'article 76 (Exigences supplémentaires pour la commercialisation de produits dans le secteur des fruits et légumes) de ce règlement : " 1. En plus des normes de commercialisation visées à l'article 75 qui sont applicables, le cas échéant, aux produits du secteur des fruits et légumes destinés à être vendus frais au consommateur, ceux-ci ne peuvent être commercialisés que (...) si le pays d'origine est indiqué. / 2. Les normes de commercialisation visées au paragraphe 1 et toute norme de commercialisation applicable au secteur des fruits et légumes prévue conformément à la présente sous-section s'appliquent à tous les stades de commercialisation, y compris à l'importation et à l'exportation, et comprennent la qualité, le classement en catégories, le poids, la taille, le conditionnement, l'emballage, le stockage, le transport, la présentation et la commercialisation (...) ". Aux termes de l'article 194 (Mesures de sauvegarde) de ce règlement : " 1. Des mesures de sauvegarde à l'égard des importations dans l'Union sont prises par la Commission, sous réserve du paragraphe 3, conformément aux règlements (CE) n° 260/2009 et (CE) n° 625/2009 du Conseil. / 2. Sauf dispositions contraires de tout autre acte du Parlement européen et du Conseil et de tout autre acte du Conseil, des mesures de sauvegarde à l'égard des importations dans l'Union prévues dans le cadre des accords internationaux conclus conformément au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sont prises par la Commission en application du paragraphe 3. / 3. La Commission peut adopter des actes d'exécution établissant les mesures visées aux paragraphes 1 et 2, à la demande d'un État membre ou de sa propre initiative. (...) ".

6. Les modalités d'application du règlement (UE) n° 1308/2013 cité au point 5, qui a notamment abrogé et remplacé le règlement (CE) n° 1234/2007, sont prévues par le règlement d'exécution (UE) 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les secteurs des fruits et légumes et des fruits et légumes transformés. L'annexe I (Normes de commercialisations visées à l'article 3) de ce règlement d'exécution de la Commission, qui précise par ses dispositions le contenu de la norme générale de commercialisation applicable aux fruits et légumes, dont le melon, et édicte une norme spécifique de commercialisation applicable aux tomates, fait figurer parmi les mentions obligatoires à apposer sur l'emballage et l'étiquette des produits, à tous les stades de leur commercialisation, notamment au moment de la vente au détail, le nom complet du pays d'origine du produit, auquel s'ajoute " éventuellement ", pour les tomates, la " zone de production ".

7. En dernier lieu, par l'arrêt du 4 octobre 2024 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel dans le présent litige, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, d'une part, que les dispositions de l'article 207 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du règlement de base sur les sauvegardes et du règlement (UE)

n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles doivent être interprétées en ce sens qu'elles ne permettent pas à un État membre d'adopter unilatéralement une mesure prohibant l'importation de produits agricoles dont l'étiquetage est systématiquement non conforme à la législation de l'Union relative à l'indication du pays ou du territoire d'origine et, d'autre part, que les dispositions de l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2013, lues en combinaison avec le paragraphe 1 de l'article 3 du règlement d'exécution n° 543/2011, doivent être interprétées en ce sens qu'aux stades de l'importation et de la vente au consommateur, l'étiquetage des produits en litige doit indiquer le seul Sahara occidental comme étant leur pays d'origine.

Sur la légalité du refus du ministre de l'économie, des finances et de la relance et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'interdire les importations de fruits et légumes en provenance du Sahara occidental :

8. Aux termes de l'article 23 bis du code des douanes : " Sous réserve de l'application des accords internationaux, l'importation des denrées, matières et produits de toute nature et de toutes origines, qui ne satisfont pas aux obligations législatives ou réglementaires imposées en matière de commercialisation ou de vente, aux denrées, matières ou produits similaires nationaux, peut être prohibée ou réglementée par des arrêtés conjoints du ministre de l'économie et des finances, du ministre responsable de la ressource et du ministre de l'agriculture chargé de la répression des fraude ".

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que l'article 207 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les dispositions du règlement (UE) n° 2015/478 du 11 mars 2015 relatif au régime commun applicable aux importations, dit " règlement de base sur les sauvegardes ", et celles du règlement (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles font, en tout état de cause, obstacle à ce qu'un État membre adopte unilatéralement une mesure prohibant l'importation de produits agricoles dont l'étiquetage est systématiquement non conforme à la législation de l'Union relative à l'indication du pays ou du territoire d'origine. Par suite, la Confédération paysanne ne saurait utilement soutenir, aux fins d'obtenir des ministres compétents, en application de l'article 23 bis du code des douanes, une mesure d'interdiction de l'importation des tomates cerises et melons charentais en litige, que ces produits agricoles méconnaissent les normes d'étiquetage relatives à l'indication d'origine résultant du règlement (UE) n° 1169/2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires et du règlement (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et du règlement d'exécution (UE)n° 543/2011 ou méconnaissent les règles relatives aux pratiques commerciales trompeuses et à la conformité des produits résultant du code de la consommation.

10. Il résulte de ce qui précède que la Confédération paysanne n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision implicite de refus qu'elle attaque. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER) est admise.

Article 2 : La requête de la Confédération paysanne est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Confédération paysanne, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, ainsi qu'à la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (COMADER).

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 janvier 2025 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ;

M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge,

M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ;

M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Olivier Pau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 28 janvier 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Pau

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 445088
Date de la décision : 28/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jan. 2025, n° 445088
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Pau
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:445088.20250128
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award