Vu la procédure suivante :
La société Free Mobile SAS a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande de communication des autorisations d'exploitation des équipements radio 5G délivrées aux sociétés Bouygues Télécom et à la Société française du radiotéléphone (SFR) en application des articles L. 34-11 et L. 34-14 du code des postes et des communications électroniques et d'enjoindre au Premier ministre de les lui communiquer. Par un jugement n° 2102457 du 14 février 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 mars et 22 juin 2023, 17 juillet 2024 et 10 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Free Mobile demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la défense ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 6 décembre 2019 fixant la liste des appareils gérés par l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean de L'Hermite, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la Société Free Mobile ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2025, présentée par la société Free Mobile ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Free Mobile a demandé au Premier ministre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des décisions d'autorisation d'exploitation d'appareils permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération délivrées aux sociétés SFR et Bouygues Télécom en application des articles L. 34-11 et suivants du code des postes et communications électroniques. En l'absence de réponse à sa demande, la société Free Mobile a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de refus née du silence gardé par le Premier ministre. La société Free Mobile se pourvoit en cassation contre le jugement rejetant cette demande.
2. Aux termes du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, ne sont pas communicables aux personnes qui en font la demande les documents administratifs " dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (...) / b) Au secret de la défense nationale ; / c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; / d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations / (...) ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. "
3. La personne qui demande la communication de documents administratifs en application des dispositions du code des relations entre le public et l'administration n'a pas à justifier de son intérêt à ce que ceux-ci lui soient communiqués. En revanche, lorsque l'administration fait valoir que la communication des documents sollicités, en raison notamment des opérations matérielles qu'elle impliquerait, ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si cette charge est effectivement excessive, l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public.
4. Pour rejeter la demande de la société Free Mobile, le tribunal administratif de Paris, après avoir relevé que les documents dont la communication lui avait été refusée comportaient des mentions relevant des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, s'est fondé, d'une part, sur ce que l'occultation de ces mentions ferait peser une charge excessive sur l'administration et, d'autre part, sur ce que les informations communicables étaient accessibles autrement ou sans utilité avérée pour la société requérante, sans que l'administration ait fait valoir l'un ou l'autre de ces motifs devant le tribunal et sans que les pièces versées au dossier soient de nature à faire apparaître que l'occultation des mentions visées constituerait en l'espèce une charge excessive pour l'administration. Dès lors la société Free Mobile est fondée à soutenir que le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et à demander, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'annulation du jugement qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, au titre des dispositions de l'article L. 821-1 du code de justice administrative.
6. Aux termes de l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques : " I.- Est soumise à une autorisation du Premier ministre, dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale, l'exploitation sur le territoire national des appareils, à savoir tous dispositifs matériels ou logiciels, permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile, à l'exception des réseaux de quatrième génération et des générations antérieures, qui, par leurs fonctions, présentent un risque pour la permanence, l'intégrité, la sécurité, la disponibilité du réseau, ou pour la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications, à l'exclusion des appareils installés chez les utilisateurs finaux ou dédiés exclusivement à un réseau indépendant, des appareils électroniques passifs ou non configurables et des dispositifs matériels informatiques non spécialisés incorporés aux appareils. / L'autorisation mentionnée au premier alinéa du présent I n'est requise que pour l'exploitation, directe ou par l'intermédiaire de tiers fournisseurs, d'appareils par les opérateurs mentionnés à l'article L. 1332-1 du code de la défense, ainsi désignés en vertu de leur activité d'exploitant d'un réseau de communications électroniques ouvert au public. / (...) II.- L'autorisation d'exploitation d'un appareil peut être octroyée après examen d'un dossier de demande d'autorisation remis par l'opérateur. Le dossier précise les modèles et les versions des appareils pour lesquels l'autorisation est sollicitée. / L'autorisation est octroyée, le cas échéant sous conditions, pour une durée maximale de huit ans. (...) ". Aux termes de l'article L. 34-12 du même code : " Le Premier ministre refuse l'octroi de l'autorisation prévue à l'article L. 34-11 s'il estime qu'il existe un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale résultant du manque de garantie du respect des règles (...) relatives à la permanence, à l'intégrité, à la sécurité, à la disponibilité du réseau, ou à la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications. Sa décision est motivée sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des a à f du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. / Le Premier ministre prend en considération, pour l'appréciation de ce risque, le niveau de sécurité des appareils, leurs modalités de déploiement et d'exploitation envisagées par l'opérateur et le fait que l'opérateur ou ses prestataires, y compris par sous-traitance, est sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un Etat non membre de l'Union européenne ".
7. En vertu de l'article R. 20-29-11 du même code, la demande d'autorisation prévue à l'article L. 34-11 qui est déposée auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, comporte pour chaque type d'appareil les renseignements précisés aux 1° à 7° de cet article. Aux termes de l'article R. 20-29-12 du même code : " L'autorisation prévue à l'article L. 34-11 mentionne la ou les versions des appareils autorisées et la durée d'autorisation. / Elle peut préciser les conditions dans lesquelles le demandeur pourra, sans avoir à déposer de nouvelle demande d'autorisation, faire évoluer la version des appareils, les modalités de déploiement (...) ou les modalités d'exploitation (...) ". Aux termes de l'article R. 20-29-13 : " I.- Les conditions dont l'autorisation prévue à l'article L. 34-11 peut être assortie en application du II de cet article peuvent prescrire l'activation ou la désactivation de certaines fonctionnalités optionnelles de l'appareil sur lequel porte l'autorisation, ainsi que la mise en œuvre de mesures complémentaires visant à sécuriser le contrôle d'accès, les communications avec d'autres éléments du réseau et la supervision. / Elles peuvent également imposer au demandeur d'informer périodiquement le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale des modifications de configuration et des mises à jour apportées à l'équipement et aux logiciels ". En vertu des dispositions des articles R. 20-29-14 et R. 20-29-15, ces autorisations peuvent faire l'objet d'une demande de renouvellement et, le cas échéant, d'un refus de renouvellement. L'article R. 20-29-16 précise enfin que " Le silence gardé par l'administration pendant deux mois sur une demande d'autorisation ou de renouvellement d'autorisation mentionnée à l'article L. 34-11 vaut décision de rejet de la demande ".
8. Les dispositions des articles L. 34-11 et suivants du code des postes et des communications électroniques (CPCE), issues de la loi n° 2019-810 du 1er août 2019, et celles des articles R. 20-29-11 et suivants du même code, issues du décret n° 2019-1300 du 6 décembre 2019, ont créé un régime d'autorisation administrative dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale. Ce régime concerne des dispositifs matériels et logiciels qui permettent de connecter les terminaux des utilisateurs finaux aux réseaux radioélectriques mobiles, installés à partir du 1er février 2019, nécessaires à l'exploitation des autorisations de fréquence de la bande 3,4 - 3,8 GHz pour les réseaux de cinquième génération et qui figurent, en vertu du troisième alinéa du paragraphe I de l'article L. 34-11, sur une liste fixée par un arrêté du Premier ministre pris après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, lequel est intervenu le 6 décembre 2019. En application de l'article L. 34-12 du même code, le Premier ministre refuse l'octroi de l'autorisation en cas de risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-882 QPC du 5 février 2021, prémunir les réseaux radioélectriques mobiles des risques d'espionnage, de piratage et de sabotage qui peuvent résulter des nouvelles fonctionnalités offertes par la cinquième génération de communication mobile, dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale.
9. Eu égard à l'objet, au contenu et à la portée des décisions prises en application du régime résultant des dispositions mentionnées aux points 6 et 7, qui mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, ces décisions - qu'il s'agisse d'autorisations, de renouvellements, ou de refus d'autorisation - sont de nature, par ce qu'elles sont susceptibles de révéler, à porter atteinte au secret de la défense nationale ou à la sûreté de l'Etat et à la sécurité publique, ce qui fait obstacle à leur communication à des tiers en vertu des dispositions du b) et du d) du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration.
10. Il ressort en outre des pièces du dossier que, pour l'application des dispositions de l'article L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, l'occultation des éléments pertinents contenus dans ces décisions, qui ne laisserait subsister sur les documents dont la communication est demandée que le nom du bénéficiaire de l'autorisation et la date de cette dernière, priverait leur communication de toute portée utile. Dès lors, la société Free Mobile, qui se borne par ailleurs à alléguer que la décision de refus de communication attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité ou le droit à l'information garanti par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme ou le droit de la concurrence, sans assortir ces moyens des précisions permettant, en tout état de cause, d'en apprécier le bien-fondé, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Premier ministre a refusé de lui communiquer les autorisations délivrées aux sociétés SFR et Bouygues Télécom. Par suite, sa demande doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
11. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Free mobile une même somme de 2 500 euros à verser, d'une part, à la société SFR et, d'autre part, à la société Bouygues Télécom au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 14 février 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Free Mobile devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : La société Free Mobile versera, d'une part, à la société SFR et, d'autre part, à la société Bouygues Télécom, la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Free Mobile SAS, à la société française du radiotéléphone (SFR), à la société Bouygues Télécom et au Premier ministre.