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23/01/2025 | FRANCE | N°496243

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 23 janvier 2025, 496243


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet et 21 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 14 mai 2024 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, l'a suspendue du droit d'exercer la médecine pendant une durée de dix-huit mois et a subordonné la reprise de son activité à l'accomplissement de la formation pr

vue par la même décision ;



2°) de mettre à la charge du Conseil natio...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet et 21 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 14 mai 2024 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, l'a suspendue du droit d'exercer la médecine pendant une durée de dix-huit mois et a subordonné la reprise de son activité à l'accomplissement de la formation prévue par la même décision ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du cinquième alinéa du I de l'article L. 4124-11 du code de la santé publique, le conseil régional de l'ordre des médecins " peut décider la suspension temporaire du droit d'exercer en cas d'infirmité du professionnel ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, ainsi que la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession ". Aux termes du II du même article : " Les décisions des conseils régionaux (...) en matière (...) de suspension temporaire totale ou partielle du droit d'exercer en cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession peuvent faire l'objet d'un recours hiérarchique devant le Conseil national. Le Conseil national peut déléguer ses pouvoirs à une formation restreinte qui se prononce en son nom ". Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du même code : " I. - En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional (...) pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional (...) est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. (...) / II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional (...) dans les conditions suivantes : / 1° Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional (...) et le troisième par les deux premiers experts. Ce dernier est choisi parmi les personnels enseignants et hospitaliers titulaires de la spécialité. Pour la médecine générale, le troisième expert est choisi parmi les personnels enseignants titulaires ou les professeurs associés ou maîtres de conférences associés des universités ; / (...) / (...) / IV. - Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique. / (...) / V. - Avant de se prononcer, le conseil régional (...) peut, par une décision non susceptible de recours, décider de faire procéder à une expertise complémentaire dans les conditions prévues aux II, III et IV du présent article. / VI. - Si le conseil régional (...) n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII. - La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. / La notification de la décision mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'il ait au préalable justifié auprès du conseil régional (...) avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4124-3-6 de ce code : " Le praticien qui a fait l'objet d'une mesure de suspension totale ou partielle du droit d'exercer ne peut reprendre son activité sans avoir justifié auprès du conseil régional (...) avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision. Dans ce cas, ce conseil décide que le praticien est apte à exercer sa profession et en informe les autorités qui ont reçu notification de la suspension. / S'il apparaît que les obligations posées par la décision du conseil régional (...), ou, dans le cas du VI de l'article R. 4124-3-5, du conseil national, n'ont pas été satisfaites, la suspension de l'intéressé est prolongée par le conseil régional (...) jusqu'à ce que ce conseil se soit prononcé dans les conditions prévues par l'article R. 4124-3-5 ". En outre, l'article R. 4124-3-7 du même code prévoit que les pouvoirs définis notamment à l'article L. 4124-3-5 de ce code sont exercés par le président de la formation restreinte du conseil régional ou du conseil national lorsqu'elle a été constituée en application de l'article L. 4124-11 dudit code. Enfin, en application de l'article R. 4124-3-3 du code de la santé publique, rendu applicable à la procédure de suspension temporaire pour insuffisance professionnelle par l'article R. 4124-3-7 du même code, la décision du Conseil national de l'ordre des médecins relative à la suspension temporaire du droit d'exercer d'un praticien pour insuffisance professionnelle est susceptible d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat dans le délai de deux mois.

2. Il ressort des pièces du dossier que le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des médecins a été saisi par le conseil départemental du Rhône du même ordre, sur le fondement des dispositions de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique, citées ci-dessus, de la situation de Mme A... B..., médecin spécialiste, qualifiée en médecine générale. Par une décision du 14 novembre 2024 prise en application du VI du même article, sur renvoi du conseil régional, le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, a, suspendu pour insuffisance professionnelle Mme B... du droit d'exercer la médecine pendant une durée de dix-huit mois et subordonné la reprise de son activité au suivi d'une formation à la fois théorique et pratique. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

3. En premier lieu, il résulte des dispositions combinées du VI de l'article R. 4124-3-5 et de l'article R. 4124-3-7 du code de la santé publique rappelées au point 1 que la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, lorsqu'elle a été constituée en application de l'article L. 4124-11 du même code, est compétente pour statuer sur une demande d'un conseil départemental de l'ordre, renvoyée par le conseil régional, tendant à la mise en œuvre, à l'encontre d'un médecin, des dispositions de l'article R. 4124-3-5 de ce code relatives à la suspension temporaire du droit d'exercer d'un praticien pour insuffisance professionnelle. Or il ressort des pièces du dossier qu'aux termes de l'article 5.1 du titre IV du règlement intérieur du Conseil national de l'ordre des médecins, adopté par délibération du 13 décembre 2018, dans sa rédaction issue, en dernier lieu, de la délibération du 13 décembre 2023 et publiée sur le site internet de ce conseil, " la formation restreinte nationale a pour mission de se prononcer au nom du conseil national sur les recours dont celui-ci est saisi en application des dispositions du II de l'article L. 4124-11 et des articles R. 4124-3 et R. 4124-3-5 du code de la santé publique, en matière de suspension pour état pathologique, pour infirmité ou pour insuffisance professionnelle ". Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins n'était pas compétente pour connaître, au nom de ce conseil, de la procédure de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle engagée à son encontre.

4. En deuxième lieu, la décision attaquée, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, dont les éléments que le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, a estimé mettre en évidence une insuffisance professionnelle de nature à rendre dangereux l'exercice de la profession par l'intéressée, est suffisamment motivée.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le rapport d'expertise du 5 mars 2024 a pour objet, ainsi que le rappelle son préambule, de " déterminer l'aptitude à l'exercice de la médecine générale " de Mme B..., en exécution de la décision du 20 juillet 2022 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, a sursis à statuer sur la demande du conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins pour ordonner la réalisation d'une nouvelle expertise devant procéder à " une évaluation des compétences du Dr B... en médecine générale " et déterminer " si [elle] présente une insuffisance professionnelle dans le domaine de la médecine générale rendant dangereux l'exercice de la profession ". Il s'ensuit que, si la reprise sous la forme d'une citation, dans la décision litigieuse, d'un passage de ce rapport faisant état de l'admission par l'intéressée de ses insuffisances et de ses limites a ajouté le qualificatif de " professionnelles ", qui ne figure pas dans ledit passage du rapport, au terme d'" insuffisances ", cette erreur matérielle n'est pas de nature, eu égard à l'objet du rapport d'expertise rappelé plus tôt, à dénaturer le sens des déclarations de la requérante devant les experts.

6. En quatrième lieu, d'une part, le rapport d'expertise prévu par les dispositions du II de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique citées au point 1 a pour seul objet d'éclairer l'instance ordinale et ne la lie pas pour l'appréciation, qui lui incombe, de l'existence éventuelle d'une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la médecine. Par suite, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins pouvait, sans commettre d'erreur de droit, s'écarter des conclusions des rapports d'expertise du 31 mai 2022 et du 5 mars 2024 quant à l'absence de dangerosité dans la pratique par Mme B... de la médecine générale, tout en se fondant, pour prononcer la mesure de suspension litigieuse, sur certains constats contenus dans le second rapport révélant des lacunes en connaissances médicales essentielles, concernant notamment de nombreuses compétences du référentiel de la médecine générale, susceptibles de porter atteinte à la qualité et à la sécurité de la prise en charge de ses patients. D'autre part, la circonstance que la durée de la procédure de suspension temporaire de son droit d'exercer pour insuffisance professionnelle engagée à son encontre par le conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins ait dépassé deux ans dans son traitement par les instances ordinales ne suffit pas, à elle seule, en tout état de cause, à caractériser, contrairement à ce que soutient la requérante, l'absence d'urgence à prononcer la suspension de son droit d'exercer et, par suite, l'absence de dangerosité de sa pratique médicale.

7. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de faits non contestés relevés par le rapport d'expertise du 5 mars 2024, que les connaissances de Mme B... présentent des lacunes et approximations non négligeables concernant des problématiques courantes rencontrées dans l'exercice de la médecine générale, sans que soit de nature à atténuer le risque posé par ces insuffisances pour la prise en charge de ses patients ni l'admission par l'intéressée de ses insuffisances et limites, ni la circonstance qu'elle entende se consacrer exclusivement à la " pratique de la nutrition ", activité dont il n'est, du reste, pas démontré qu'elle puisse se distinguer totalement de l'exercice de la médecine générale et dispenser Mme B..., à ce titre, de la maîtrise de connaissances essentielles dans l'exercice de sa spécialité d'origine et alors, en tout état de cause, qu'il ressort du même rapport d'expertise que Mme B... continue d'assurer un suivi de médecine générale pour une quarantaine de patients, tout en montrant, selon les termes de ce rapport, un " désintérêt pour la prise en charge des pathologies courantes en [médecine générale] ". Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation en estimant que les insuffisances professionnelles révélées par le rapport d'expertise du 5 mars 2024 rendaient dangereux l'exercice de sa profession.

8. En sixième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que, d'une part, en prononçant une suspension temporaire du droit d'exercer tout acte médical et non, comme l'eût souhaité Mme B..., une suspension partielle l'autorisant à poursuivre son activité dans le domaine de la nutrition - dont il n'est pas établi, ainsi qu'il a été dit au point 7, qu'elle puisse dispenser l'intéressée de connaissances fondamentales relevant de la médecine générale -, et, d'autre part, en fixant la durée de cette suspension à dix-huit mois afin de lui permettre de se conformer aux obligations de formation à la fois théoriques et pratiques, lesquelles apparaissent en l'espèce proportionnées à l'objectif de remise à niveau poursuivi au regard des lacunes mises en évidence par la seconde expertise, le Conseil national de l'ordre des médecins, statuant en formation restreinte, n'a pas, eu égard aux spécificités de l'exercice de la profession de médecin dans la spécialité de la médecine générale, fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Par suite, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme de 1 500 euros à verser au Conseil national de l'ordre des médecins au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Mme B... versera une somme de 1 500 euros au Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 496243
Date de la décision : 23/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jan. 2025, n° 496243
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 26/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:496243.20250123
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