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31/12/2024 | FRANCE | N°470206

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 31 décembre 2024, 470206


Vu la procédure suivante :



M. A... B..., Mme E... née B... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme de 30 000 euros chacun en réparation des préjudices subis du fait du décès de M. D... B.... Par un jugement n° 1903754 du 12 avril 2021, ce tribunal a rejeté leur demande.



Par un arrêt n° 21MA01831 du 7 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il a admis la compétence de la juridiction administrative pour s

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Vu la procédure suivante :

M. A... B..., Mme E... née B... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à leur verser la somme de 30 000 euros chacun en réparation des préjudices subis du fait du décès de M. D... B.... Par un jugement n° 1903754 du 12 avril 2021, ce tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 21MA01831 du 7 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il a admis la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur la faute imputée aux services de l'Etat à raison de l'absence d'immobilisation du véhicule de M. D... B..., et rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par M. A... B... et autres contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 janvier et 3 avril 2023 et le 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la route ;

- le code de la santé publique ;

- la décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. B... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B..., Mme E... née B... et M. C... B... ont demandé à l'Etat de les indemniser du préjudice qu'ils ont subi du fait du décès de leur fils et frère, M. D... B..., lors d'un accident de la route survenu le 7 janvier 2015, qu'ils estiment imputable à une carence fautive des services de la gendarmerie dans l'exercice de leurs missions. Par un jugement du 12 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande indemnitaire. Ils demandent l'annulation de l'arrêt du 7 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir annulé ce jugement en tant qu'il avait admis la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat à raison de l'absence d'immobilisation du véhicule de M. B..., a rejeté le surplus des conclusions de l'appel qu'ils avaient formé contre celui-ci. Eu égard à la teneur de leurs écritures, leur pourvoi doit être regardé comme tendant à l'annulation de l'article 2 de cet arrêt, par lequel la cour a rejeté, après évocation, leurs conclusions fondées sur la faute commise par les services de l'Etat à raison du défaut de mise en œuvre des pouvoirs qui leur sont dévolus par l'article L. 325-1-2 du code de la route, ainsi que de son article 3, qui rejette le surplus de leurs conclusions.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que MM. et Mme B... n'ont, ni dans leurs écritures de première instance ni dans leurs écritures d'appel, entendu mettre en cause la responsabilité de l'Etat à raison du défaut de mise en œuvre des dispositions de l'article L. 325-1-2 du code de la route relatives à l'immobilisation et la mise en fourrière des véhicules en cas de commission de certaines infractions. Ils sont dès lors fondés à soutenir qu'en se prononçant néanmoins sur de telles conclusions, la cour administrative d'appel s'est méprise sur la portée de leurs écritures et à demander pour ce motif l'annulation de l'article 2 de l'arrêt.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux publics est, par mesure de police, conduite à ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison. / Lorsqu'il n'est pas nécessaire de procéder à l'audition de la personne mentionnée au premier alinéa immédiatement après qu'elle a recouvré la raison, elle peut, par dérogation au même premier alinéa, être placée par un officier ou un agent de police judiciaire sous la responsabilité d'une personne qui se porte garante d'elle ". Ces dispositions ont pour objet, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012, de prévenir les atteintes à l'ordre public et de protéger la personne trouvée en état d'ivresse dans un lieu public, en permettant aux agents de la police et de la gendarmerie nationales, seuls investis de cette mission de sécurité publique, d'opérer le placement de cette personne en chambre de sûreté, après avoir constaté par eux-mêmes l'état d'ivresse, qui est un fait matériel se manifestant dans le comportement de la personne. La privation de liberté qui en résulte ne peut se poursuivre après que la personne a recouvré la raison.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les services de gendarmerie ont procédé le 7 janvier 2015 à Sisteron, aux alentours de 17 h 20, à un contrôle sur la voie publique de M. D... B.... Ils avaient été dépêchés sur place à la demande de la police municipale, qui leur avait signalé l'état d'ivresse de l'intéressé et ses tentatives réitérées de monter sur sa motocyclette pour reprendre la route, auxquelles des commerçants s'étaient opposés en lui soustrayant temporairement les clefs de son véhicule. Malgré le fort état d'ébriété de M. B..., les services de gendarmerie, restés une vingtaine de minutes sur les lieux, se sont bornés à l'inviter à laisser son véhicule sur place et à rentrer chez lui à pied, alors qu'il faisait déjà nuit et qu'il leur avait déclaré que son domicile était distant de 12 kilomètres, ou à faire appel à un ami, alors que nul ne s'était porté garant de l'intéressé et qu'il n'avait pas indiqué être en mesure de faire appel à un tiers pour rentrer chez lui. Les services de gendarmerie ont constaté une demi-heure plus tard, dans le cadre d'une ronde de surveillance, que la motocyclette de M. B... était toujours stationnée au même endroit. Cependant, ainsi qu'il en avait clairement manifesté la volonté avant l'arrivée de la gendarmerie, M. B... a repris son véhicule. Il est décédé d'un accident de la route une heure après le contrôle de gendarmerie, alors qu'il circulait à contresens. Le rapport du médecin légiste, qui relève un taux d'alcoolémie de 3,20 grammes par litre de sang au moment de son décès, précise que l'intéressé présentait nécessairement des signes d'ivresse manifeste une heure avant son accident, lorsqu'il a été contrôlé par la gendarmerie. Il ressort de l'ensemble des éléments ainsi soumis aux juges du fond qu'en estimant que n'était pas fautive la carence des services de gendarmerie à mettre en œuvre l'une des mesures prévues par l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, alors qu'elle n'a relevé, en dehors de l'état " très calme " qu'aurait, selon le procès-verbal rédigé par les gendarmes au lendemain de l'accident, présenté l'intéressé lors du contrôle, aucun élément de nature à remettre en cause l'existence de risques graves et immédiats pour sa sécurité comme pour celle des tiers résultant du comportement de M. B..., la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

5. Il résulte de ce qui précède que les consorts B... sont fondés, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêt qu'ils attaquent.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette dernière mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu'en s'abstenant de prendre à l'égard de M. B... l'une des mesures prévues à l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, les services de gendarmerie ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative. Il résulte toutefois de l'instruction que l'intéressé a lui-même commis une faute en conduisant sa motocyclette après avoir consommé de l'alcool au point d'atteindre un taux d'alcoolémie de 3,20 grammes par litre de sang, soit plus de six fois le taux maximal autorisé, et en empruntant une voie de circulation à contre-sens. Au regard de la gravité des fautes respectivement commises, il y a lieu de fixer la responsabilité de l'Etat à hauteur du tiers des préjudices subis par les requérants. Il sera dès lors fait une juste réparation, dans les circonstances de l'espèce, du préjudice d'affection qui est résulté pour les requérants du décès de M. D... B..., en condamnant l'Etat à verser la somme de 7 000 euros à M. A... B..., son père, et la somme de 4 000 euros chacun à M. C... B... et Mme E..., son frère et sa sœur.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 6 000 euros à verser à M. B... et autres, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des sommes exposées à ce titre en première instance, en appel et en cassation.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 7 novembre 2022 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... B... la somme de 7 000 euros, à M. C... B... la somme de 4 000 euros et à Mme E... née B... la somme de 4 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... et autres la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le jugement du 12 avril 2021 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier requérant dénommé, et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 décembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 31 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470206
Date de la décision : 31/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2024, n° 470206
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470206.20241231
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