Vu la procédure suivante :
M. D... C... et M. A... E... ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler la décision communiquée par un courriel du 12 juin 2019 du directeur de l'école maternelle et primaire André-Chénier de Rabat (Maroc) imposant, à compter de la rentrée scolaire 2019, aux élèves des classes du CE1 au CM2 de cet établissement un enseignement en langue arabe de cinq heures hebdomadaires, ensemble la décision du 28 juin 2019 par laquelle le conseiller culturel adjoint en charge de l'enseignement français auprès de l'ambassadeur de France au Maroc a rejeté leur recours contre cette décision. Par une ordonnance n° 436299 du 24 janvier 2020, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, en application des dispositions de l'article R. 351-1 du code de justice administrative, transmis au tribunal administratif de Paris la requête de MM. C... et E....
Par un jugement n° 2002289 du 13 janvier 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 12 juin 2019 du directeur de l'école André-Chénier de Rabat et la décision du 28 juin 2019 du conseiller culturel adjoint auprès de l'ambassadeur de France au Maroc.
Par un arrêt n° 21PA01279 du 27 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mars et 26 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'AEFE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre solidairement à la charge de MM. C... et E... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif à l'enseignement de l'arabe dans les établissements scolaires français au Maroc, signé à Rabat le 10 mars 2000, publié par le décret n° 2000-463 du 24 mai 2000 ;
- la convention de partenariat pour la coopération culturelle et le développement entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc, signée à Rabat le 25 juillet 2003, approuvée par la loi n° 2008-473 du 22 mai 2008 et publiée par le décret n° 2010-857 du 23 juillet 2010 ;
- la déclaration d'intention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du royaume du Maroc relative à l'enseignement de l'arabe et de l'histoire-géographie du Maroc dans les établissements d'enseignement français du Maroc, signée à Rabat le 16 novembre 2017 ;
- le code de l'éducation ;
- le décret n° 2013-682 du 24 juillet 2013 ;
- l'arrêté du 9 novembre 2015 de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche fixant les horaires d'enseignement des écoles maternelles et élémentaires ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courriel du 12 juin 2019, le directeur de l'école maternelle et primaire André-Chénier de Rabat (Maroc), établissement scolaire français homologué dont la gestion directe est assurée par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), a informé les parents des élèves de cette école de ce qu'à compter de la rentrée de l'année scolaire 2019-2020, tous les élèves des classes du CE1 au CM2 de cet établissement suivraient un enseignement en langue arabe de cinq heures hebdomadaires, composé de trois heures d'enseignement de la langue arabe et de deux heures d'enseignement, en langue arabe, d'une autre matière, alors que les élèves de ces classes n'ayant pas la nationalité marocaine ne bénéficiaient antérieurement que d'un enseignement de la langue arabe de trois heures hebdomadaires. Par un courrier du 20 juin 2019, MM. C... et E..., parents d'élèves français de cette école, ont demandé au conseiller de coopération adjoint de l'ambassade de France au Maroc l'annulation de cette décision. Par un courrier du 28 juin 2019, le conseiller culturel adjoint en charge de l'enseignement français auprès de l'ambassade de France au Maroc a rejeté leur demande. Par un jugement du 13 janvier 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision communiquée le 12 juin 2019 par le courriel du directeur de l'école André-Chénier de Rabat, ainsi que la décision du 28 juin 2019 portant rejet du recours de MM. C... et E... contre cette décision. L'AEFE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 janvier 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. D'une part, s'agissant des établissements d'enseignement français à l'étranger, l'article L. 452-2 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable, dispose que l'AEFE " a pour objet (...): / 1° D'assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l'éducation ; / 2° De contribuer au renforcement des relations de coopération entre les systèmes éducatifs français et étrangers au bénéfice des élèves français et étrangers ; / 3° De contribuer, notamment par l'accueil d'élèves étrangers, au rayonnement de la langue et de la culture françaises ; / (...) ". En outre, l'article L. 451-1 du même code dispose que " Des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions dans lesquelles les dispositions du présent code sont appliquées aux établissements scolaires français à l'étranger, compte tenu de leur situation particulière et des accords conclus avec des Etats étrangers ".
3. En application de l'article L. 451-1 cité au point précédent, l'article R. 451-2 du code de l'éducation prévoit que la liste des établissements scolaires français à l'étranger établie par le ministre chargé de l'éducation, en accord avec le ministre des affaires étrangères et avec le ministre chargé de la coopération, ne peut comprendre que les établissements du premier ou du second degré qui " dispensent dans le respect des principes définis à l'article L. 111-1, un enseignement conforme aux programmes, aux objectifs pédagogiques et aux règles d'organisation applicables, en France, aux établissements de l'enseignement public (...) ". Aux termes de l'article R. 451-3 de ce code : " La scolarité dans les établissements scolaires français à l'étranger est organisée en cycles, conformément à l'article L. 311-1 et aux articles D. 321-2, D. 332-3 et D. 333-2. Pour chaque cycle, ces établissements appliquent les objectifs et les programmes prévus aux articles L. 311-1, L. 311-3, L. 321-1, L. 332-1 et L. 333-1. (...) / Toutefois, ces établissements peuvent apporter aux dispositions de l'alinéa précédent des aménagements pour tenir compte des conditions particulières dans lesquelles s'exerce leur activité et pour renforcer leur coopération avec les systèmes éducatifs étrangers ". Aux termes de l'article R. 451-10 du même code : " L'organisation de l'année scolaire tient compte des conditions géographiques et de la législation de l'Etat dans lequel l'établissement est situé. / Toutefois, cette organisation n'a pas pour effet de réduire les volumes annuels d'heures d'enseignement et les programmes tels qu'ils résultent de la réglementation applicable en France ".
4. D'autre part, s'agissant des règles générales applicables à la scolarité des élèves des écoles élémentaires, l'article L. 311-1 du code de l'éducation dispose qu'elle " est organisée en cycles pour lesquels sont définis des objectifs et des programmes nationaux de formation comportant une progression régulière ainsi que des critères d'évaluation ", le nombre des cycles et leur durée étant fixés par décret. Aux termes de l'article L. 311-3 du même code : " Les programmes définissent, pour chaque cycle, les connaissances et les compétences qui doivent être acquises au cours du cycle et les méthodes qui doivent être assimilées. Ils constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements en prenant en compte les rythmes d'apprentissage de chaque élève. " Aux termes de l'article D. 311-10 du code de l'éducation, créé par le décret du 24 juillet 2013 relatif aux cycles d'enseignement à l'école primaire et au collège, lequel a abrogé l'article D. 321-2 de ce code, relatif à la scolarité de l'école maternelle à la fin de l'école élémentaire, auquel renvoie l'article R. 451-3 précité : " La scolarité de l'école maternelle à la fin du collège est organisée en quatre cycles pédagogiques successifs : / (...) 2° Le cycle 2, cycle des apprentissages fondamentaux, correspond aux trois premières années de l'école élémentaire appelées respectivement : cours préparatoire, cours élémentaire première année et cours élémentaire deuxième année ; / 3° Le cycle 3, cycle de consolidation, correspond aux deux années de l'école élémentaire suivant le cycle des apprentissages fondamentaux et à la première année du collège appelées respectivement : cours moyen première année, cours moyen deuxième année et classe de sixième ; (...) Le ministre chargé de l'éducation nationale définit par arrêté, pour chaque cycle, les objectifs d'apprentissage, les horaires et les programmes d'enseignement incluant des repères réguliers de progression ainsi que les niveaux de fin de cycle requis pour l'acquisition du socle commun prévu à l'article L. 122-1-1. / (...) ". Aux termes de l'article D. 521-10 du code de l'éducation, relatif à l'aménagement du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires : " La semaine scolaire comporte pour tous les élèves vingt-quatre heures d'enseignement, réparties sur neuf demi-journées. / (...) ". En application des dispositions de l'article D. 311-10 du code de l'éducation, les articles 1er et 2 de l'arrêté du 9 novembre 2015 de la ministre chargée de l'éducation nationale, fixant les horaires d'enseignement des écoles maternelles et élémentaires, prévoient, s'agissant de l'enseignement des langues vivantes étrangères ou régionales aux élèves des cycles 2 et 3, une durée annuelle de 54 heures et une durée hebdomadaire moyenne d'une heure et demie.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision en litige conduit à ce que les élèves des classes du CE1 au CM2 de l'école maternelle et primaire André Chénier à Rabat bénéficient chaque semaine, à compter de l'année scolaire 2019-2020, de vingt-six heures d'enseignement, soit deux heures de plus que le volume horaire fixé par l'article D. 521-10 du code de l'éducation cité au point 4 pour ces classes, dont cinq heures hebdomadaires d'enseignement en langue arabe, composé de deux heures d'enseignement, en langue arabe, d'une matière dispensée par un professeur de langue arabe et par un professeur des écoles, dans le cadre du dispositif dit B... (enseignement d'une matière intégrée à une langue étrangère) et de trois heures d'enseignement de la langue arabe, la durée de ce dernier enseignement excédant ainsi le volume horaire hebdomadaire moyen d'une heure et demie attribué à l'apprentissage d'une langue étrangère dans ces classes en vertu de l'arrêté du 9 novembre 2015 cité au point 4. Compte tenu de ce que la politique française de coopération en matière d'éducation avec le Maroc a conduit, notamment, à la conclusion d'un accord relatif à l'enseignement de l'arabe dans les établissements scolaires français au Maroc signé le 10 mars 2000 à Rabat, prévoyant, pour les classes du CE1 au CM2 de ces établissements, que les élèves de nationalité marocaine bénéficient d'un enseignement hebdomadaire de la culture et de la langue arabes, laquelle est l'une des deux langues officielles du Royaume du Maroc, d'une durée minimale de cinq heures et que les élèves possédant d'autres nationalités peuvent bénéficier d'un tel enseignement pour une durée minimale de trois heures, ces dépassements du volume horaire hebdomadaire total et du nombre d'heures d'enseignement des langues étrangères ainsi que la dispensation en langue étrangère de deux heures d'enseignement d'une discipline non linguistique au programme, doivent être regardés comme un " aménagement " à l'organisation de la scolarité auquel, " pour tenir compte des conditions particulières dans lesquelles s'exerce [son] activité et pour renforcer [la] coopération avec les systèmes éducatifs étrangers ", l'école maternelle et primaire André Chénier était autorisée à procéder en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 451-3 du code de l'éducation, prises sur le fondement de l'article L. 451-1 du même code, cité au point 2, qui renvoie à la " situation particulière " des établissements scolaires français étrangers et aux " accords conclus avec des Etats étrangers ". En jugeant le contraire, la cour a, dès lors, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l'AEFE est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'AEFE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 27 janvier 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, à M. D... C... et à M. A... E....
Copie en sera adressée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la ministre de l'éducation nationale.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 décembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, Mme Catherine Brouard-Gallet, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Laurent Cabrera, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat et Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure.
Rendu le 23 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Camille Belloc
La secrétaire :
Signé : Mme Anna Bahnini