Vu la procédure suivante :
Par deux mémoires, enregistrés les 23 septembre et 13 novembre 2024, le Syndicat des biologistes, l'association Les Biologistes médicaux, le Syndicat national des médecins biologistes et le Syndicat des laboratoires de biologie chimique demandent au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 août 2024 du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.
Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, sont entachées d'une incompétence négative portant par elle-même atteinte à la liberté d'entreprendre dont la liberté tarifaire serait une composante.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat du Syndicat des biologistes et autres et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 : " I.- La prise en charge ou le remboursement par l'assurance maladie de tout acte ou prestation réalisé par un professionnel de santé (...) est subordonné à leur inscription sur une liste établie dans les conditions fixées au présent article. (...) Elle peut être subordonnée au respect d'indications thérapeutiques ou diagnostiques, à l'état du patient ainsi qu'à des conditions particulières de prescription, d'utilisation ou de réalisation de l'acte ou de la prestation. Lorsqu'il s'agit d'actes réalisés en série, ces conditions de prescription peuvent préciser le nombre d'actes au-delà duquel un accord préalable du service du contrôle médical est nécessaire en application de l'article L. 315-2 pour poursuivre à titre exceptionnel la prise en charge, sur le fondement d'un référentiel élaboré par la Haute Autorité de santé ou validé par celle-ci sur proposition de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. / II.- La demande d'inscription de l'acte ou de la prestation est adressée par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ou par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pour avis à la Haute Autorité de santé. Cet avis porte sur l'évaluation du service attendu ou du service rendu de l'acte ou de la prestation qui lui est soumis ainsi que, le cas échéant, sur les actes existants dont l'évaluation pourrait être modifiée en conséquence. Il mentionne également si nécessaire les conditions tenant à des indications thérapeutiques ou diagnostiques, à l'état du patient et des conditions particulières de prescription, d'utilisation ou de réalisation de l'acte ou de la prestation. (...) / III.- L'Union nationale des caisses d'assurance maladie saisit le Haut Conseil des nomenclatures chargé de procéder à la description ainsi qu'à la hiérarchisation des actes et des prestations institué au IV et lui transmet l'avis de la Haute Autorité de santé. / Le Haut Conseil des nomenclatures établit un rapport relatif à la description et à la hiérarchisation de l'acte ou de la prestation qui lui est soumis en tenant compte des enjeux de pertinence médicale. Ce rapport est remis, dans un délai de six mois, à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, après avis simple de la commission mentionnée au V compétente pour la profession de médecin. / IV.- Le Haut Conseil des nomenclatures est chargé : / 1° De proposer à la commission mentionnée au V compétente pour la profession de médecin une méthodologie de description et de hiérarchisation des actes et prestations ; / 2° D'étudier les actes et les prestations qui lui sont soumis par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie en vue de les décrire et de les hiérarchiser conformément à la méthodologie mentionnée au 1°. / Le Haut Conseil des nomenclatures est composé d'un nombre égal de médecins libéraux et de praticiens hospitaliers, ainsi que des personnes qualifiées nommées dans des conditions déterminées par décret. Un représentant de la Haute Autorité de santé, un représentant des patients ainsi que le président de la commission mentionnée au V compétente pour la profession de médecins assistent à ses travaux. (...) / V.- Des commissions compétentes pour chacune des professions dont les rapports avec les organismes d'assurance maladie sont régis par une convention mentionnée à l'article L. 162-14-1 sont chargées du suivi de l'activité de hiérarchisation. / Ces commissions, présidées par une personnalité désignée d'un commun accord par leurs membres, sont composées paritairement de représentants des syndicats représentatifs des professionnels de santé et de représentants de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Un représentant de l'Etat assiste à leurs travaux. / (...) VI.- Par dérogation au III, les actes cliniques et les actes effectués par les biologistes-responsables et biologistes coresponsables mentionnés aux articles L. 6213-7 et L. 6213-9 du code de la santé publique sont inscrits par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie après avis de la commission compétente pour leur profession. / VII.- Les conditions d'inscription d'un acte ou d'une prestation, leur inscription et leur radiation sont décidées par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, après avis de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire et après avis, le cas échéant, de la Haute Autorité de santé lorsque la décision porte sur l'évaluation du service attendu ou du service rendu d'un acte ou d'une prestation. Les décisions d'inscription de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie sont réputées approuvées sauf opposition motivée des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. / (...) IX.- Les conditions d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'Etat ".
3. A l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 août 2024 du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie dont les I et III de l'article 1er réduisent la cotation de vingt-cinq actes de biologie médicale figurant sur la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie, le Syndicat des biologistes, l'association Les Biologistes médicaux, le Syndicat national des médecins biologistes et le Syndicat des laboratoires de biologie chimique demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale cités au point 2, sur la base desquelles a été prise la décision attaquée. Ils soutiennent que ces dispositions sont entachées d'incompétence négative portant par elle-même atteinte à la liberté d'entreprendre dont la liberté tarifaire serait une composante.
4. D'une part, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. D'autre part, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
5. Au nombre des principes fondamentaux de la sécurité sociale qu'il incombe au législateur de déterminer en vertu de l'article 34 de la Constitution figure celui d'après lequel le tarif des prestations dû aux professionnels de santé libéraux pour les actes et prestations délivrés aux assurés sociaux est fixé par voie de convention passée avec les organisations représentatives des professions concernées ou, à défaut, par voie d'autorité. En revanche, ressortit à la compétence du pouvoir réglementaire la détermination des modalités de mise en œuvre des principes fondamentaux définis par le législateur. Ainsi, en conférant à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie la compétence pour édicter la liste des prestations dont le tarif est fixé par voie conventionnelle justifiant, au regard tant d'une classification que d'une cotation et en vue de l'organisation du service public de la sécurité sociale ainsi que dans l'intérêt de son équilibre financier et de la santé publique, leur prise en charge et leur remboursement par l'assurance maladie, le législateur n'a pas méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, dès lors qu'il a prévu à la fois des critères d'ordre médical pour procéder à l'inscription sur cette liste et des garanties procédurales permettant l'association des professionnels concernés lors de son élaboration. En outre, l'instauration, par les dispositions législatives contestées, de conditions de prise en charge de ces prestations par la sécurité sociale ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme étant susceptible de porter atteinte, par elle-même, à la liberté d'exercer l'activité d'analyse de biologie médicale, que le législateur a au demeurant conciliée de manière équilibrée avec les exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à l'équilibre financier de la sécurité sociale qu'à la protection de la santé.
6. Il s'ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Dès lors, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat des biologistes et autres.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des biologistes, premier dénommé, pour l'ensemble des syndicats requérants, à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 décembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber