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20/12/2024 | FRANCE | N°492173

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 20 décembre 2024, 492173


Vu la procédure suivante :



Par un jugement n° 2201554 du 27 février 2024, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat le dossier de la requête, enregistrée le 21 janvier 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par le syndicat Union des clubs professionnels (UNIPROS).



Par cette requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 31 mai et 16 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat UNIPROS demande

au Conseil d'Etat :



1°) d'attribuer le jugement de sa requête au tri...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2201554 du 27 février 2024, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat le dossier de la requête, enregistrée le 21 janvier 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par le syndicat Union des clubs professionnels (UNIPROS).

Par cette requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 31 mai et 16 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat UNIPROS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'attribuer le jugement de sa requête au tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir le courrier du 23 novembre 2021 par lequel le directeur de la législation fiscale a estimé que les redevances versées aux sportifs et entraîneurs professionnels en exécution des contrats d'exploitation commerciale de leur image, de leur nom ou de leur voix, prévues à l'article L. 222-2-10-1 du code du sport, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée et d'enjoindre à cette autorité de lui adresser un nouveau courrier lui indiquant que ces redevances ne sont pas soumises à cette taxe ;

3°) le cas échéant, d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 9 et 10 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du syndicat Union des clubs professionnels ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 222-2-10-1 du code du sport : " Une association ou une société sportive mentionnée aux articles L. 122-1 ou L. 122-2 peut conclure avec un sportif ou un entraîneur professionnel qu'elle emploie un contrat relatif à l'exploitation commerciale de son image, de son nom ou de sa voix. / Les sportifs et entraîneurs professionnels ne peuvent être regardés, dans l'exécution du contrat mentionné au premier alinéa du présent article, comme liés à l'association ou à la société sportive par un lien de subordination juridique caractéristique du contrat de travail, au sens des articles L. 1221-1 et L. 1221-3 du code du travail, et la redevance qui leur est versée au titre de ce contrat ne constitue ni un salaire ni une rémunération versée en contrepartie ou à l'occasion du travail, au sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dès lors que : / 1° La présence physique des sportifs ou des entraîneurs professionnels n'est pas requise pour exploiter commercialement leur image, leur nom ou leur voix ; / 2° La redevance des sportifs ou des entraîneurs professionnels n'est pas fonction du salaire reçu dans le cadre du contrat de travail mais fonction des recettes générées par cette exploitation commerciale de leur image, de leur nom ou de leur voix. / Le contrat mentionné au premier alinéa du présent article précise, à peine de nullité : / a) L'étendue de l'exploitation commerciale de l'image, du nom ou de la voix du sportif ou de l'entraîneur professionnel, notamment la durée, l'objet, le contexte, les supports et la zone géographique de cette exploitation commerciale ; / b) Les modalités de calcul du montant de la redevance versée à ce titre, notamment en fonction des recettes générées par cette exploitation commerciale ; / c) Le plafond de la redevance susceptible d'être versée au sportif ou à l'entraîneur professionnel ainsi que la rémunération minimale au titre du contrat de travail à partir de laquelle le contrat mentionné au même premier alinéa peut être conclu par le sportif ou l'entraîneur professionnel tels que définis par la convention ou l'accord collectif national mentionné au dernier alinéa (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier que le syndicat UNIPROS, qui regroupe les unions de clubs professionnels de plusieurs disciplines sportives, a demandé au directeur de la législation fiscale, le 30 avril 2019, confirmation du bien-fondé de son analyse concernant le traitement fiscal, notamment au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, des redevances versées aux sportifs et entraîneurs professionnels, prévues par les dispositions citées au point 1. Par un courrier du 25 janvier 2021, le directeur de la législation fiscale lui a indiqué que ces redevances étaient soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Après que le syndicat l'eut invité, le 18 février suivant, à revoir cette réponse, le directeur de la législation fiscale a maintenu son analyse par un second courrier du 23 novembre 2021. Par un jugement du 27 février 2024, le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat le dossier de la requête présentée le 21 janvier 2022, par laquelle le syndicat UNIPROS demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce courrier.

3. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. - Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / (...) / IV. - 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II, notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels, (...) sont considérés comme des prestations de services (...) ".

4. Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / Ne sont pas considérés comme agissant de manière indépendante : / - les salariés et les autres personnes qui sont liés par un contrat de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur (...) ".

5. Les dispositions citées aux points 3 et 4 assurent la transposition de l'article 2 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée qui prévoit que sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsqu'elles sont " effectuées à titres onéreux sur le territoire d'un Etat membre par un assujetti agissant en tant que tel ", les prestations de services définies par l'article 24 comme " toute opération ne constituant pas une livraison de biens ", ainsi que de l'article 9 aux termes duquel : " 1. Est considéré comme " assujetti " quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. / Est considérée comme "activité économique" toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. (...) ", et de l'article 10 de cette directive, aux termes duquel : " La condition que l'activité économique soit exercée d'une façon indépendante visée à l'article 9, paragraphe 1, exclut de la taxation les salariés et autres personnes dans la mesure où ils sont liés à leur employeur par un contrat de louage de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération et la responsabilité de l'employeur ".

6. Il résulte des dispositions citées au point 5, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 septembre 2015, Gmina Wroclaw, C-276/14, que, pour déterminer si une personne exerce des activités économiques d'une façon indépendante, il convient de vérifier si, dans l'exercice de ces activités, elle se trouve dans un lien de subordination. Afin d'apprécier l'existence de ce lien de subordination, il convient de contrôler si la personne concernée accomplit ses activités en son nom, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité et si elle supporte le risque économique lié à l'exercice de ces activités. La Cour a précisé, dans son arrêt du 27 janvier 2000, Heerma, C-23/98, qu'une personne est susceptible d'agir en son nom, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité dans l'exercice d'une activité au titre de laquelle elle conclut des contrats avec une société même si elle exerce en même temps une activité professionnelle dans cette société.

7. Or, d'une part, si le sportif ou l'entraîneur qui perçoit les redevances prévues par les dispositions du code du sport citées au point 1 est nécessairement salarié de la société ou de l'association sportive qui les verse, la conclusion d'un contrat de concession de l'exploitation de son image, de son nom et de sa voix conformément à ces dispositions n'est, pour lui, pas un accessoire obligatoire de son contrat de travail, et il n'est, dans l'exécution de ce contrat de concession, pas soumis aux instructions de la société ou de l'association dès lors que les mêmes dispositions excluent qu'il puisse être regardé, dans l'opération de concession, comme se trouvant vis-à-vis d'elle dans un lien de subordination caractéristique du contrat de travail. D'autre part, l'intéressé perçoit une rémunération, sous forme des redevances litigieuses, qui n'est pas fixe, mais qui est au contraire fonction des recettes produites par l'exploitation commerciale qu'il a concédée, si bien qu'il supporte le risque économique lié à cette opération en sa qualité de concédant.

8. Dès lors que l'opération de concession de l'exploitation de biens incorporels constitue une activité économique entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du IV de l'article 256 de ce code cité au point 3 et que les sportifs et entraîneurs percevant les redevances litigieuses en rémunération des contrats d'exploitation commerciale de leur voix, de leur nom ou de leur image, lesquels ne peuvent être regardées comme l'accessoire indissociable de leur contrat de travail, exercent de manière indépendante, au sens des dispositions de l'article 256 A du code général des impôts et de celles du droit de l'Union dont elles assurent la transposition, l'activité à raison desquelles elles sont versées, le directeur de la législation fiscale n'a pas méconnu les dispositions dont il a éclairé la portée en indiquant que ces sportifs et entraîneurs étaient redevables de la taxe sur la valeur ajoutée à raison de ces redevances.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin, en l'absence de doute sérieux sur l'interprétation des dispositions du droit de l'Union européenne invoquées, d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que le syndicat UNIPROS n'est fondé à demander ni l'annulation du courrier qu'il attaque ni, en tout état de cause, qu'il soit enjoint au directeur de la législation fiscale de lui adresser un nouveau courrier lui indiquant que les redevances litigieuses ne seraient pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du syndicat Union des clubs professionnels est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée du syndicat Union des clubs professionnels et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas,

M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 20 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Planchette

La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492173
Date de la décision : 20/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPÉTENCE - COMPÉTENCE À L'INTÉRIEUR DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE - COMPÉTENCE DU CONSEIL D'ETAT EN PREMIER ET DERNIER RESSORT - RECOURS CONTRE UN COURRIER DU DIRECTEUR DE LA LÉGISLATION FISCALE DONNANT À UNE ORGANISATION PROFESSIONNELLE UNE INTERPRÉTATION FORMELLE DE LA LOI FISCALE [RJ1] (SOL - IMPL - ).

17-05-02 Le Conseil d’Etat est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du courrier adressé à une organisation professionnelle d’employeurs par lequel le directeur de la législation fiscale donne une interprétation formelle de la loi fiscale (sol. impl.).

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - PERSONNES ET OPÉRATIONS TAXABLES - OPÉRATIONS TAXABLES - REDEVANCES D’EXPLOITATION COMMERCIALE DE LA VOIX - DU NOM OU DE L’IMAGE DES SPORTIFS (ART - L - 222-2-10-1 DU CODE DU SPORT) [RJ2].

19-06-02-01-01 Dès lors que l’opération de concession de l’exploitation de biens incorporels constitue une activité économique entrant dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en vertu du IV de l’article 256 du code général des impôts (CGI) et que les sportifs et entraîneurs percevant les redevances versées en rémunération des contrats d’exploitation commerciale de leur voix, de leur nom ou de leur image, mentionnées à l’article L. 222-2-10-1 du code du sport, lesquels ne peuvent être regardés comme l’accessoire indissociable de leur contrat de travail, exercent de manière indépendante, au sens des dispositions de l’article 256 A du CGI et de celles du droit de l’Union dont elles assurent la transposition, l’activité à raison desquelles elles sont versées, ces sportifs et entraîneurs sont redevables de la taxe sur la valeur ajoutée à raison de ces redevances.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 déc. 2024, n° 492173
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492173.20241220
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