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20/12/2024 | FRANCE | N°470557

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 20 décembre 2024, 470557


Vu la procédure suivante :



La société Fibusa a demandé au tribunal administratif de Pau de rétablir le montant de ses déficits déclarés aux fins d'établissement de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2011 à 2014 et de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1800672 du 30 décembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 21BX00968 du 22 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, su...

Vu la procédure suivante :

La société Fibusa a demandé au tribunal administratif de Pau de rétablir le montant de ses déficits déclarés aux fins d'établissement de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2011 à 2014 et de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1800672 du 30 décembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21BX00968 du 22 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Egide agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Fibusa, prononcé un non-lieu à statuer à hauteur de 25 266 euros correspondant aux intérêts de retard dégrevés en cours d'instance, réduit le montant des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2011 à 2014, prononcé en conséquence une décharge partielle des impositions en litige au titre des exercices clos en 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes, réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi, enregistré le 17 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gury et Maître, avocat de la société Egide en qualité de liquidateur judiciaire de la société Fibusa ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Fibusa, qui détenait des participations dans quatre sociétés roumaines, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité et d'un contrôle sur pièces à l'issue desquels l'administration fiscale a estimé qu'au cours de la période correspondant aux exercices clos de 2011 à 2014, elle avait renoncé à percevoir des recettes à raison de sommes, financées pour partie par emprunt et pour partie sur ses fonds propres, mises gratuitement à la disposition de ces filiales. L'administration fiscale a regardé ces renonciations à recettes, dont elle a évalué le montant en appliquant aux sommes en cause les taux d'intérêt moyens auxquels la société Fibusa s'était elle-même endettée, comme des transferts indirects de bénéfices à l'étranger au sens des dispositions de l'article 57 du code général des impôts et elle a, en conséquence, réintégré les montants correspondants aux résultats déclarés par la société au titre des exercices clos de 2011 à 2014. La société Fibusa a contesté la réduction de ses déficits déclarés pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos de 2011 à 2014 et les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014 qui en ont découlé, ainsi que les pénalités correspondantes, devant le tribunal administratif de Pau, qui a rejeté sa demande par un jugement du 30 décembre 2020. Par un arrêt du 22 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a partiellement fait droit à l'appel de la société Egide, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Fibusa, en estimant que, s'agissant des sommes mises gratuitement à la disposition de ses filiales sur ses fonds propres, le montant des recettes auxquelles la société Fibusa avait renoncé n'excédait pas l'application aux sommes en cause des taux de 4,25 % pour 2011, 3,75 % pour 2012, 3 % pour 2013 et 2,4 % pour 2014. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre cet arrêt et doit être regardé, eu égard aux moyens qu'il soulève, comme n'en demandant l'annulation que dans cette mesure.

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) / A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ".

3. Les dispositions citées au point précédent instituent, dès lors que l'administration fiscale établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Les avantages consentis par une entreprise imposable en France au profit d'une entreprise située hors de France sous la forme de l'octroi de prêts ou d'avances sans intérêt constituent l'un des moyens de transfert indirect de bénéfices à l'étranger. Il en résulte que, lorsque l'administration constate qu'un prêt ou une avance a été consenti sans intérêt par une entreprise imposable en France à une entreprise étrangère qui lui est liée, il appartient au contribuable de démontrer que le taux d'intérêt qu'entend retenir l'administration pour arrêter le montant du transfert indirect de bénéfices à l'étranger excède le taux d'intérêt que l'entreprise étrangère emprunteuse aurait pu obtenir d'un prêteur indépendant dans les conditions du marché. A défaut, il lui appartient, pour combattre cette présomption, d'apporter la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, ainsi qu'il a été dit au point 1, que l'administration fiscale a estimé qu'au cours de la période correspondant aux exercices clos de 2011 à 2014, la société Fibusa avait renoncé à percevoir des recettes à raison de sommes, financées pour partie par emprunt et pour partie sur ses fonds propres, mises gratuitement à la disposition de quatre filiales roumaines. L'administration fiscale a regardé ces renonciations à recettes, dont elle a évalué le montant en appliquant aux sommes en cause les taux d'intérêt moyens auxquels la société Fibusa s'était elle-même endettée, soit 5,66 % en 2011, 7,74 % en 2012, 8,94 % en 2013 et 5,85 % en 2014, comme des transferts indirects de bénéfices à l'étranger au sens des dispositions de l'article 57 du code général des impôts, en l'absence de preuve apportée par la société que les avantages en cause avaient eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. L'administration fiscale a, en conséquence, réintégré aux résultats déclarés par la société au titre des exercices clos de 2011 à 2014 les montants correspondants.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, pour juger qu'il y avait lieu de substituer aux taux cités au point 4, s'agissant des avances financées par la société Fibusa sur ses fonds propres, les taux respectifs de 4,25 %, 3,75 %, 3 % et 2,4 % correspondant aux taux moyens des avances sur titres pratiqués par la Banque de France, dont la société se prévalait, a jugé qu'il ne résultait pas de l'instruction que les taux de rémunération que celle-ci aurait pu obtenir d'un établissement financier ou d'un organisme assimilé auprès duquel elle aurait placé, dans des conditions analogues, des sommes d'un montant équivalent auraient été supérieurs. En s'abstenant ainsi de faire peser sur la société la charge de prouver le caractère exagéré des taux d'intérêt retenus par l'administration par rapport à ceux que ses filiales roumaines auraient pu obtenir d'un prêteur indépendant dans les conditions du marché, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit au regard des règles de dévolution de la charge de la preuve rappelées au point 3.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation des articles 2 à 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 novembre 2022, en tant que celle-ci a limité le montant des transferts indirects de bénéfices réintégrés aux résultats de la société Fibusa à raison des avances sans intérêt consenties à ses filiales étrangères et financées sur ses fonds propres, au titre des années 2011 à 2014, en appliquant des taux d'intérêts fixés, respectivement, à 4,25 %, 3,75 %, 3 % et 2,4 %.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 à 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 novembre 2022 sont annulés, en tant que celle-ci a limité le montant des transferts indirects de bénéfices réintégrés aux résultats de la société Fibusa à raison des avances sans intérêt consenties à ses filiales étrangères et financées sur ses fonds propres, au titre des années 2011 à 2014, en appliquant des taux d'intérêts fixés, respectivement, à 4,25 %, 3,75 %, 3 % et 2,4 %.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics et à la société Egide en qualité de liquidateur judiciaire de la société Fibusa.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas,

M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 20 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Planchette

La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470557
Date de la décision : 20/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-083 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE NET. - RELATIONS ENTRE SOCIÉTÉS D'UN MÊME GROUPE. - TRANSFERT INDIRECT DE BÉNÉFICES À L'ÉTRANGER (ART. 57 DU CGI) – ADMINISTRATION ÉTABLISSANT QUE DES PRÊTS OU AVANCES ONT ÉTÉ CONSENTIS SANS INTÉRÊT À UNE ENTREPRISE ÉTRANGÈRE LIÉE – PREUVE DU CARACTÈRE EXCESSIF DU TAUX DE RETENU OU QUE LES AVANTAGES ONT ÉTÉ JUSTIFIÉES PAR L’OCTROI DE CONTREPARTIES – CHARGE INCOMBANT AU CONTRIBUABLE.

19-04-02-01-04-083 L’article 57 du code général des impôts (CGI) institue, dès lors que l'administration fiscale établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. ......Les avantages consentis par une entreprise imposable en France au profit d’une entreprise située hors de France sous la forme de l’octroi de prêts ou d’avances sans intérêt constituent l’un des moyens de transfert indirect de bénéfices à l’étranger. ......Il en résulte que, lorsque l’administration constate qu’un prêt ou une avance a été consenti sans intérêt par une entreprise imposable en France à une entreprise étrangère qui lui est liée, il appartient au contribuable de démontrer que le taux d’intérêt qu’entend retenir l’administration pour arrêter le montant du transfert indirect de bénéfices à l’étranger excède le taux d’intérêt que l’entreprise étrangère emprunteuse aurait pu obtenir d’un prêteur indépendant dans les conditions du marché. A défaut, il lui appartient, pour combattre cette présomption, d’apporter la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 déc. 2024, n° 470557
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Saby
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SARL GURY & MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470557.20241220
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