Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 400 euros en réparation de ses préjudices résultant de la carence du préfet de l'Hérault dans la mise en œuvre de son obligation de la reloger. Par un jugement n° 2104670 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 janvier 2023, 17 et 21 avril 2023 et 23 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une décision du 2 avril 2019, la commission de médiation du département de l'Hérault a reconnu Mme A... B... comme prioritaire au titre du droit au logement opposable et devant être relogée en urgence. Par le jugement attaqué du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme B... tendant à que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 8 400 euros en réparation de ses préjudices résultant du manquement du préfet de l'Hérault à l'obligation dont elle pouvait ainsi se prévaloir.
2. Aux termes de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative : " (...) le président de la formation de jugement ou le magistrat statuant seul peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience sur tout litige relevant des contentieux suivants : / (...) 6° Prestation, allocation ou droit attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi ". Aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " Lorsque, en application de l'article R. 732-1-1, le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions, mention en est faite ".
3. Le jugement attaqué se borne à viser le code de justice administrative, sans mentionner la décision par laquelle le rapporteur public a été dispensé de prononcer ses conclusions. Ainsi, faute de comporter la mention prévue par les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 742-1 de ce code, le jugement attaqué est irrégulier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le jugement du tribunal administratif de Montpellier doit être annulé.
4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond.
5. Aux termes de l'article L. 300-1 du code de la construction et de l'habitation : " Le droit à un logement décent et indépendant (...) est garanti par l'Etat à toute personne qui (...) n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir. / Ce droit s'exerce par un recours amiable puis, le cas échéant, par un recours contentieux dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent article et les articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 ". Aux termes du I de l'article L. 441-2-3-1 du même code : " Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence et qui n'a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement. (...) / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne, lorsqu'il constate que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d'urgence et que n'a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou le relogement de celui-ci par l'Etat et peut assortir son injonction d'une astreinte. (...) ". Aux termes du II de ce même article : " Dans un délai fixé par décret, la commission de médiation désigne les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence. Elle détermine pour chaque demandeur, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement, ainsi que, le cas échéant, les mesures de diagnostic ou d'accompagnement social nécessaires ". Enfin, aux termes de l'article R. 441-16-1 du même code : " À compter du 1er décembre 2008, le recours devant la juridiction administrative prévu au I de l'article L. 441-2-3-1 peut être introduit par le demandeur qui n'a pas reçu d'offre de logement tenant compte de ses besoins et capacités passé un délai de trois mois à compter de la décision de la commission de médiation le reconnaissant comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence. Dans les départements d'outre-mer et dans les départements comportant au moins une agglomération, ou une partie d'une agglomération, de plus de 300 000 habitants, ce délai est de six mois ".
6. Lorsqu'une personne a été reconnue par une commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence et que le juge administratif a ordonné son logement ou son relogement par l'Etat, la carence fautive de l'Etat à exécuter ces décisions dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission ou du juge administratif.
7. D'une part, il résulte des pièces du dossier que, par une décision du 2 avril 2019, la commission de médiation du département de l'Hérault a reconnu Mme B... comme prioritaire au titre du droit au logement opposable et devant être relogée en urgence " dans un logement répondant à ses besoins et à ses capacités de type 3 accessible ", sans préconisation spécifique quant à l'ouverture de ce logement sur l'extérieur. L'intéressée a reçu le 24 avril 2019 une proposition de logement répondant à ces préconisations, qu'elle a néanmoins refusée. Par un jugement du 25 mars 2020, la présidente du tribunal administratif de Montpellier a jugé que le refus de Mme B... d'accepter cette offre de logement ne pouvait être regardé, dans les circonstances très particulières de l'espèce, ni comme relevant de pures convenances personnelles, ni comme ayant délié le préfet de l'Hérault de son obligation de relogement et a enjoint au préfet d'attribuer à Mme B... un logement de type T3 en étage et protégé de l'extérieur, tenant compte de ses besoins et de ses capacités. Dans ces conditions, l'Etat n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité pour carence fautive à exécuter la décision de la commission de médiation.
8. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'injonction prononcée par le juge administratif, le préfet de l'Hérault a fait trois nouvelles offres à Mme B..., respectivement en décembre 2020, en mai 2021 et le 18 août 2021. Si, ainsi que le préfet de l'Hérault l'a reconnu, les deux premières n'étaient pas adaptées à la situation particulière de l'intéressée, la troisième était adaptée et la requérante ne justifie d'aucun motif impérieux de nature à justifier le refus qu'elle a opposé à cette dernière offre.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Hérault a commis une carence de nature à engager la responsabilité de l'Etat en n'exécutant pas le jugement de la présidente du tribunal administratif de Montpellier avant le 18 août 2021. Il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme B... au cours de cette période en lui allouant une somme de 400 euros, tous intérêts compris à la date de lecture de la présente décision.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre des sommes exposées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance et en cassation.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 8 novembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une indemnité de 400 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 novembre 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
Le rapporteur :
Signé : M. Christophe Barthélemy
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet