Vu la procédure suivante :
La caisse de réassurance mutuelle agricole Groupama Assurances Mutuelles a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt auxquelles la SA Groupama, à laquelle elle a succédé, a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2007 à raison de la remise en cause de la déduction de son résultat de deux provisions, ainsi que des pénalités correspondantes, et de mettre à la charge de l'Etat le versement des intérêts moratoires dus au titre de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales. Par un jugement n° 1910304 du 1er avril 2021, ce tribunal a prononcé la décharge des impositions supplémentaires relatives à la provision pour risques croissants et a rejeté le surplus des demandes de la société.
Par un arrêt n° 21PA03030 du 5 avril 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Groupama Assurances Mutuelles contre ce jugement en tant qu'il lui était défavorable et, statuant sur l'appel incident du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et remis à sa charge les impositions supplémentaires dont ce tribunal avait prononcé la décharge.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juin 2023, 5 septembre 2023 et 18 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Groupama Assurances Mutuelles demande au Conseil d''Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de Groupama Assurances Mutuelles ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 novembre 2024, présentée par Groupama Assurances Mutuelles ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la caisse de réassurance mutuelle agricole Groupama Assurances Mutuelles, qui a succédé à la société anonyme Groupama, est à la tête d'un groupe exerçant des activités d'assurance et de réassurance, autres que sur la vie. Au terme d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause, pour la détermination du résultat imposable de la société Groupama au titre de l'exercice clos en 2007, d'une part, la déduction de la composante pour " risques et incertitudes " de la provision pour sinistres à payer qu'elle avait enregistrée en ce qui concerne les opérations qu'elle réassure, par l'intermédiaire des caisses régionales, membres du groupe, qui réassurent elles-mêmes une partie des engagements accordés à leurs clients par les caisses locales de ce même groupe et, d'autre part, le taux d'actualisation qu'elle avait retenu pour le calcul de la provision pour risques croissants attachée à des contrats couvrant le risque de dépendance. Groupama Assurances Mutuelles se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 5 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 1er avril 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a refusé de faire droit à sa demande de décharge des impositions supplémentaires établies à raison de la première de ces provisions et, d'autre part, statuant sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement ayant prononcé la décharge des impositions supplémentaires établies à raison de la seconde de ces provisions et les a remises à sa charge.
2. Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables (...) ".
Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur le chef de redressement procédant de la réintégration partielle de la provision pour sinistres à payer :
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Groupama a, au titre de son activité de réassureur des caisses régionales du groupe à la tête duquel elle se situe, déduit du résultat de son exercice clos en 2007 une provision pour sinistres à payer dont le montant, déterminé par application d'une méthode basée sur l'observation historique des cadences de règlements ou de charges, dite " Chain-Ladder ", était majoré d'un complément pour " risques et incertitudes ", résultant de la mise en œuvre d'une seconde méthode, dite de " Mack ". L'administration a admis, dans son principe, la déduction de cette provision mais a remis en cause la prise en compte du montant complémentaire.
4. Aux termes de l'article R. 331-36 du code des assurances, dans sa version applicable au litige : " Les provisions techniques correspondant aux opérations de réassurance acceptées sont les suivantes : (...) / 4° Provision pour sinistres à payer : valeur estimative des dépenses en principal et en frais, tant internes qu'externes, nécessaires au règlement de tous les sinistres survenus et non payés, y compris les capitaux constitutifs des rentes non encore mises à la charge de l'entreprise (...) ". Aux termes de l'article R. 331-15 du même code, dans sa version applicable au litige : " La provision pour sinistres à payer est calculée exercice par exercice. / Sans préjudice de l'application des règles spécifiques à certaines branches prévues à la présente section, l'évaluation des sinistres connus est effectuée dossier par dossier, le coût d'un dossier comprenant toutes les charges externes individualisables ; elle est augmentée d'une estimation du coût des sinistres survenus mais non déclarés. / La provision pour sinistres à payer doit toujours être calculée pour son montant brut, sans tenir compte des recours à exercer ; les recours à recevoir font l'objet d'une évaluation distincte. / Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa du présent article, l'entreprise peut, avec l'accord de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, utiliser des méthodes statistiques pour l'estimation des sinistres survenus au cours des deux derniers exercices ". Aux termes de l'article R. 332-18 du même code, dans sa version applicable au litige : " En ce qui concerne les acceptations en réassurance, les entreprises enregistrent immédiatement en comptabilité tous les éléments reçus de leurs cédantes. En l'absence d'informations suffisantes, elles estiment les comptes non reçus des cédantes à la clôture de l'exercice avec pour contrepartie des comptes de régularisation qui seront soldés à l'ouverture de l'exercice suivant ou à réception des comptes des cédantes, ou elles compensent provisoirement les soldes de tous les comptes incomplets d'un même exercice par une écriture d'attente qui sera contrepassée à l'ouverture de l'exercice suivant. / En tout état de cause et quel que soit le mode de comptabilisation retenu, lorsque le réassureur connaît l'existence d'une perte, celle-ci doit être provisionnée pour son montant prévisible ".
5. Il ressort des écritures de Groupama Assurances Mutuelles devant la cour administrative d'appel que, pour justifier de ce que la société Groupama était en droit de déduire du résultat fiscal de son exercice clos en 2007 l'intégralité de la provision pour sinistres à payer qu'elle avait constituée à raison de la part qu'elle réassurait de l'activité des caisses locales et régionales du groupe, dont le montant avait été déterminé par application des méthodes " Chain-Ladder " et de " Mack ", celle-ci faisait valoir que ce montant était inférieur à celui qui aurait résulté de l'évaluation selon la méthode " dossier par dossier " des sinistres à payer déjà déclarés, prescrite par les dispositions de l'article R. 331-15 du code des assurances et mise en œuvre par ces caisses locales et régionales.
6. Groupama Assurances Mutuelles devait ainsi être regardée comme invoquant devant le juge, comme elle en avait la possibilité, une méthode alternative à celle que la société Groupama avait initialement appliquée pour justifier le montant de la provision qu'elle avait enregistrée en comptabilité et déduite de son résultat fiscal. En écartant cette argumentation au seul motif que ne pouvait être opposé à l'administration un montant de provision déterminé par des tiers disposant de leurs propres éléments de calcul selon une méthode différente de celle que la contribuable avait elle-même appliquée, sans statuer sur le bien-fondé de la méthode alternative ainsi invoquée, la cour a commis une erreur de droit.
Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur le chef le redressement procédant de la réintégration partielle de la provision pour risques croissants :
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Groupama Assurances Mutuelles a constitué, au titre de son exercice clos en 2007, une provision dite " pour risques croissants ", ayant pour objet de tirer les conséquences de ce que le montant des primes dues chaque année par les assurés couverts par les contrats dénommés " assurance dépendance " et " assurance autonomie " qu'elle propose est déterminé au moment de la souscription de ces contrats sans être ensuite révisé chaque année autrement qu'en fonction de l'évolution du point AGIRC, tandis que le coût, pour l'assureur, du risque couvert augmente avec l'âge des assurés au fur et à mesure de la reconduction annuelle de ces contrats.
8. En se fondant, pour apprécier le caractère déductible de son résultat fiscal des provisions ainsi constituées par la contribuable, sur ce que ces provisions correspondaient aux engagements nets supplémentaires, par rapport à ceux initialement estimés compte tenu de la valeur actuelle des produits financiers futurs, auxquels elle s'exposait à l'avenir au titre des contrats " dépendance " déjà signés, et sur ce que ces provisions avaient ainsi pour seul objet de couvrir le risque résultant d'une rentabilité réduite des contrats en cours alors que l'objet de ces provisions était, ainsi qu'il résulte de ce qui est dit au point 7, de lisser le résultat de l'assureur sur la durée de vie du contrat et non de faire face à un éventuel surcroît d'engagements par rapport à ceux estimés lors de la signature du contrat, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Groupama Assurances Mutuelles est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Groupama Assurances Mutuelles au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 5 avril 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à Groupama Assurances Mutuelles une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la caisse de réassurance mutuelle agricole Groupama Assurances Mutuelles et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 19 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle