Vu la procédure suivante :
Le préfet des Alpes-Maritimes a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner l'expulsion sans délai, au besoin avec le concours de la force publique, de M. A... et Mme C... B... et de leurs trois enfants du logement qu'ils occupent à l'hôtel Pinotel, situé 120 chemin des Groules à Antibes (Alpes-Maritimes), géré par l'association ALC.
Par une ordonnance n° 2305741 du 19 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 3 janvier, 28 mars et 31 octobre 2024 au secrétariat du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Zribi et Texier, leur avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. et Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence d'une décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Les mesures ainsi sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.
2. Aux termes de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code ". Aux termes de l'article L. 552-15 du même code : " Lorsqu'il est mis fin à l'hébergement dans les conditions prévues aux articles L. 551-11 à L. 551-14, l'autorité administrative compétente ou le gestionnaire du lieu d'hébergement peut demander en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu'il soit enjoint à cet occupant sans titre d'évacuer ce lieu. / La demande est portée devant le président du tribunal administratif, qui statue sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'à leur arrivée en France en 2020, M. A... et Mme C... B... et leurs trois enfants, qui avaient présenté des demandes d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, ont été hébergés dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile géré par la Fondation Nice Patronage Saint Pierre-Actes et situé à Grasse. A la suite du rejet de leur demande d'asile et alors qu'après avoir été mis en demeure de le quitter, ils s'étaient maintenus dans leur logement, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, saisi par le préfet des Alpes-Maritimes sur le fondement des dispositions citées au point 1, leur a enjoint, par une ordonnance n° 2105757 du 17 décembre 2021, de quitter ce logement et, à défaut, autorisé leur expulsion. A la suite de cette ordonnance, M. et Mme B... et leurs enfants ont quitté le centre d'accueil pour demandeurs d'asile et ont été hébergés à l'hôtel Pinotel, géré par l'association ALC et situé à Antibes, dans le cadre, non du dispositif d'hébergement pour demandeurs d'asile prévu aux articles L. 551-11 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais du dispositif d'hébergement d'urgence prévu à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, la demande du 21 novembre 2023 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes, après que les époux B... ont refusé de quitter ce second logement, a demandé que soit ordonnée leur expulsion n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions citées aux points 1 et 2.
4. Il résulte de ce qui précède que la demande du préfet des Alpes-Maritimes était manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, dès lors qu'en dehors du cas prévu par l'article L. 552-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur une demande d'expulsion d'un occupant d'un immeuble appartenant à une personne morale de droit privé. Par suite, en statuant sur cette demande, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a méconnu les règles de compétence entre les deux ordres de juridiction. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référée engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Ainsi qu'il a été exposé au point 4, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur la demande d'expulsion de M. et Mme B.... Par suite, la demande du préfet des Alpes-Maritimes doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
7. M. et Mme B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. et Mme B..., au titre de ces dispositions, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 19 décembre 2023 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par le préfet des Alpes-Maritimes devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : L'Etat versera à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. et Mme B..., une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... et Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 décembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 18 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Christophe Pourreau
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard