Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 475500, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 28 juin 2023, 26 septembre 2023 et 28 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2022 fixant pour l'année 2022 le montant des crédits à verser aux établissements de santé au titre de l'article L. 162-23-5 du code de la sécurité sociale ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 475514, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin 2023, 26 septembre 2023 et 28 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2022 fixant pour l'année 2022 le montant des crédits à verser aux établissements de santé au titre de l'article L. 162-22-9-1 du code de la sécurité sociale ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la Fédération de l'hospitalisation privée ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 décembre 2024, présentée sous les deux numéros par la Fédération de l'hospitalisation privée ;
Considérant ce qui suit :
1. Conformément au 3° de l'article LO 111-3-5 du code de la sécurité sociale, la loi de financement de la sécurité sociale fixe chaque année, dans sa partie comprenant les dispositions relatives aux dépenses pour l'année à venir, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie de l'ensemble des régimes obligatoires de base ainsi que ses sous-objectifs. Le I de l'article L. 162-22-9-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur au titre de l'année 2022, prévoit que les tarifs nationaux des prestations donnant lieu à une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale pour les activités de médecine, de chirurgie, de gynécologie-obstétrique et d'odontologie des établissements de santé, à l'exception des forfaits déterminés en application du 2° de l'article L. 162-22-8-2, peuvent être minorés par l'application d'un coefficient, de manière à concourir au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, la valeur de ce coefficient pouvant être différenciée par catégorie d'établissements. Le III du même article prévoit qu'au regard notamment de l'avis du comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie mentionné à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 114-4-1, " l'Etat peut décider de verser aux établissements de santé tout ou partie du montant correspondant à la différence entre les montants issus de la valorisation de l'activité des établissements " par les tarifs nationaux mentionnés ci-dessus " et ceux issus de la valorisation de cette même activité par les tarifs minorés du coefficient mentionné au I du présent article ". Pour l'application de ces dernières dispositions, le premier alinéa de l'article R. 162-33-8 du même code prévoit que : " A compter de l'avis du comité d'alerte mentionné à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 114-4-1, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent, le cas échéant, avant le 31 décembre de l'année en cours et après consultation de l'observatoire économique de l'hospitalisation publique et privée, le montant des crédits à verser aux établissements dans les limites prévues aux III et IV de l'article L. 162-22-9-1. Ce montant peut être différencié par catégorie d'établissements ". Des dispositions similaires sont prévues, pour les activités de soins de suite et de réadaptation des établissements de santé, par les articles L. 162-23-5 et R. 162-34-7 du même code. Sur le fondement de ces dispositions respectives, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont fixé pour l'année 2022, par deux arrêtés du 28 mars 2022, les coefficients de minoration des tarifs destinés à concourir au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie concernant les établissements de santé, puis, au vu de l'avis du 14 octobre 2022 du comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie, par deux arrêtés du 28 décembre 2022, le montant des crédits à reverser à ces établissements au titre de la suppression ou de la diminution du coefficient de minoration des tarifs appliqués au titre de leur activité en 2022, aussi appelée " dégel ".
2. La Fédération de l'hospitalisation privée demande, par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, l'annulation pour excès de pouvoir des deux arrêtés du 28 décembre 2022 en tant qu'ils fixent le montant du " dégel " pour l'année 2022 des sommes dues aux établissements de santé privés à but lucratif, au titre des activités de médecine, chirurgie, gynécologie-obstétrique et odontologie, d'une part, et au titre des activités de soins de suite et de réadaptation, d'autre part.
Sur la légalité des actes attaqués :
3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
4. Il ressort des pièces des dossiers que les deux arrêtés attaqués qui devaient, en application des dispositions citées au point 1, être publiés avant le 31 décembre 2022 au regard de l'avis du comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie émis le 14 octobre 2022, ont été soumis pour avis, comme l'imposent les articles R. 162-33-8 et R. 162-34-7 du code de la sécurité sociale, au comité économique de l'hospitalisation publique et privée, créé par l'article L. 162-21-3 du même code et ayant succédé à l'observatoire économique de l'hospitalisation publique et privée. Pour ce faire, les membres de ce comité ont été saisis par un courriel du ministère chargé de la santé le 27 décembre 2022 à 19 heures 38, auquel était annexé un document de présentation de trente-quatre pages dont trois pages ont été complétées et modifiées par un nouvel envoi le 28 décembre à 11 heures 22, leur demandant de faire connaître leur avis pour le même 28 décembre 2022 à 17 heures. Le délai de huit jours pour la convocation de la séance, prévu par l'article 3 du règlement intérieur du comité pris sur le fondement de l'article D. 162-10-1 du même code, n'a donc pas été respecté, sans qu'une situation d'urgence motivée ne justifie une telle dérogation. Eu égard à la complexité des données financières d'exécution de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie à apprécier pour déterminer le niveau de diminution ou la suppression du coefficient de minoration des tarifs pour l'année en cours et aux enjeux que le montant des crédits correspondant représente pour l'équilibre financier des établissements de santé concernés, alors que le même article 3 du règlement intérieur prévoit un délai de dix jours pour que le comité émette un avis à compter de la date de réception de la saisine lorsqu'il est consulté pour l'application des articles L. 162-22-9-1 et L. 162-23-5 de ce code et qu'aucune réunion du comité n'a été organisée pour délibérer sur cet avis, la méconnaissance du délai de convocation comme du délai de délibération sont susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de l'avis rendu et, par suite, sur le contenu des arrêtés signés le jour même par les ministres compétents.
5. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, la fédération requérante est fondée à soutenir que ce vice de procédure est de nature à justifier l'annulation des deux arrêtés qu'elle attaque en tant, compte tenu de la nature du dispositif mis en place, qu'ils fixent le montant du " dégel " pour l'année 2022 des sommes dues aux établissements de santé privés à but lucratif, au titre des activités de médecine, chirurgie, gynécologie-obstétrique et odontologie, d'une part, et au titre des activités de soins de suite et de réadaptation, d'autre part.
Sur les conséquences de l'illégalité :
6. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
7. Il ressort des pièces des dossiers que la disparition rétroactive des arrêtés litigieux en tant qu'ils fixent le montant du " dégel " pour l'année 2022 des sommes dues aux établissements de santé privés à but lucratif, au titre des activités de médecine, chirurgie, gynécologie-obstétrique et odontologie et au titre des activités de soins de suite et de réadaptation, aurait, compte tenu de l'effet significatif d'une telle annulation sur les ressources des établissements de santé concernés pour l'année en cause, des conséquences manifestement excessives, eu égard aux intérêts en présence. Il y a lieu, par suite, d'en différer l'annulation jusqu'au 1er juillet 2025.
Sur les frais des instances :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la Fédération de l'hospitalisation privée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 28 décembre 2022 fixant pour l'année 2022 le montant des crédits à verser aux établissements de santé au titre de l'article L. 162-23-5 du code de la sécurité sociale et l'arrêté du 28 décembre 2022 fixant pour l'année 2022 le montant des crédits à verser aux établissements de santé au titre de l'article L. 162-22-9-1 du code de la sécurité sociale sont annulés en tant qu'ils fixent le montant des crédits à verser aux titre de ces articles aux établissements de santé mentionnés aux d et e de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale. Cette annulation prendra effet le 1er juillet 2025.
Article 2 : L'Etat versera à la Fédération de l'hospitalisation privée une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'hospitalisation privée, à la ministre de la santé et de l'accès aux soins et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon et M. Jean-Dominique Langlais conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 18 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly