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18/12/2024 | FRANCE | N°475020

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 18 décembre 2024, 475020


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société La Poste à lui verser une indemnité de 392 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2014 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 1999 prononçant sa radiation des cadres.



Par un jugement n° 1703438 du 20 septembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 20TL01585 du 11 avril 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société La Poste à lui verser une indemnité de 392 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2014 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 1999 prononçant sa radiation des cadres.

Par un jugement n° 1703438 du 20 septembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20TL01585 du 11 avril 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de M. B..., annulé ce jugement et condamné la société La Poste à verser à M. B... une somme de 140 768,68 euros, assortie des intérêts aux taux légal à compter du 21 octobre 2014 et de leur capitalisation à compter du 18 juillet 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juin 2023, 12 septembre 2023 et 29 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Poste demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2008-531 du 17 juin 2008 ;

- la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société La Poste et à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la société La Poste à l'indemniser des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 1999 le radiant des cadres. Par un arrêt du 11 avril 2023, la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de M. B..., annulé le jugement du 20 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande, et condamné la société La Poste à verser à M. B... une somme de 140 768,68 euros, assortie des intérêts aux taux légal à compter du 21 octobre 2014 et de leur capitalisation à compter du 18 juillet 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. La société La Poste se pourvoit contre cet arrêt. M. B... forme un pourvoi incident contre cet arrêt en tant qu'il refuse l'indemnisation du préjudice matériel résultant de la saisie de sa maison.

Sur le pourvoi :

2. En premier lieu, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter la fin de non recevoir tirée de la tardiveté du recours introduit par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier le 18 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Toulouse a retenu que le délai de recours, qui avait commencé à courir à compter de la décision implicite par laquelle la société La Poste avait rejeté la demande préalable d'indemnisation de M. B..., avait été interrompu par la demande d'aide juridictionnelle que ce dernier avait formée et n'avait pas recommencé à courir en l'absence de notification à M. B... de la décision prise sur cette demande.

3. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable le 18 juillet 2017, date à laquelle M. B... a introduit sa demande devant le tribunal administratif de Montpellier : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".

4. D'autre part, l'article 1er de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, repris à l'article L. 100-3 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Sont considérés comme autorités administratives au sens de la présente loi les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif ". Aux termes de l'article 21 de la même loi, repris aux articles L. 231-1 et L. 231-4 du même code : " I. - Le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation (...). / Le premier alinéa n'est pas applicable et, par dérogation, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (....) 2° Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ; / 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ; / (...) ".

5. Si les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'excluent pas qu'elles s'appliquent à des décisions prises par des personnes privées, dès lors que ces décisions revêtent un caractère administratif, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande indemnitaire par une personne morale de droit privé qui n'est pas chargée d'une mission de service public administratif.

6. La société La Poste, dont les activités postales revêtent le caractère d'un service public industriel et commercial, est, en vertu de l'article 1-2 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom issu de la loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales, une société anonyme. Par suite, le silence qu'elle a gardé sur la demande d'indemnisation que lui a adressée M. B... n'a pu faire naître une décision implicite de rejet et le recours de M. B... tendant à la condamnation de la société La Poste à l'indemniser de son préjudice était recevable sans condition de délai.

7. Il y a lieu de substituer ce motif, qui ne comporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, à celui retenu par la cour pour écarter la fin de non recevoir tirée de la tardiveté de la requête de M. B.... Il en résulte que les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif retenu par la cour ne peuvent qu'être écartés.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion (...) ". Aux termes de l'article 2231 du même code dans sa rédaction issue de la même loi : " l'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ". Il résulte de ces dispositions que le délai de prescription d'une créance est interrompu par le recours pour excès de pouvoir formé contre la décision qui en est le fait générateur.

9. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le recours pour excès de pouvoir formé par M. B... contre la décision du 6 août 1999 prononçant sa radiation des cadres, qui avait trait au fait générateur de sa créance, avait interrompu le délai de prescription la cour administrative d'appel de Toulouse n'a pas commis d'erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Poste n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

Sur le pourvoi incident :

11. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Toulouse a rejeté les conclusions de M. B... à fin d'indemnisation d'un préjudice financier lié à la vente de sa maison au motif que ce préjudice ne présentait pas de caractère certain, et indemnisé le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence résultant de la saisie de cette maison et de l'expulsion de M. B... et de sa famille de celle-ci. En statuant ainsi alors qu'aucun préjudice ne saurait résulter de la seule différence entre l'estimation du prix de la maison fin 2013 et le prix de vente après saisie en 2001, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ni de contradiction de motifs

12. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident de M. B... doit être rejeté.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société La Poste la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. B..., au titre des articles L. 761 1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. B..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société La Poste est rejeté.

Article 2 : Le pourvoi incident de M. B... est rejeté.

Article 3 : La société La Poste versera à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société La Poste et à M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 4 décembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 18 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Jérôme Goldenberg

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475020
Date de la décision : 18/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES - DÉCISIONS IMPLICITES - SILENCE GARDÉ PAR LA POSTE SUR UNE DEMANDE D’INDEMNISATION – NAISSANCE D’UNE DÉCISION IMPLICITE DE REJET – ABSENCE [RJ1].

01-01-08 La société La Poste, dont les activités postales revêtent le caractère d’un service public industriel et commercial (SPIC), est, en vertu de l’article 1 2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, une société anonyme. Par suite, le silence qu’elle garde sur une demande d’indemnisation d’un préjudice ne peut faire naître une décision implicite de rejet et le recours tendant à condamner la société La Poste à indemniser ce préjudice est recevable sans condition de délai.

POSTES ET COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES - POSTES - SILENCE GARDÉ PAR LA POSTE SUR UNE DEMANDE D’INDEMNISATION – NAISSANCE D’UNE DÉCISION IMPLICITE DE REJET – ABSENCE [RJ1] – CONSÉQUENCE – RECOURS INDEMNITAIRE RECEVABLE SANS CONDITION DE DÉLAI.

51-01 La société La Poste, dont les activités postales revêtent le caractère d’un service public industriel et commercial (SPIC), est, en vertu de l’article 1 2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, une société anonyme. Par suite, le silence qu’elle garde sur une demande d’indemnisation d’un préjudice ne peut faire naître une décision implicite de rejet et le recours tendant à condamner la société La Poste à indemniser ce préjudice est recevable sans condition de délai.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - DÉLAIS - ABSENCE DE DÉLAIS - DEMANDE TENDANT À CE QUE LA POSTE INDEMNISE UN PRÉJUDICE [RJ1].

54-01-07-01 La société La Poste, dont les activités postales revêtent le caractère d’un service public industriel et commercial (SPIC), est, en vertu de l’article 1 2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, une société anonyme. Par suite, le silence qu’elle garde sur une demande d’indemnisation d’un préjudice ne peut faire naître une décision implicite de rejet et le recours tendant à condamner la société La Poste à indemniser ce préjudice est recevable sans condition de délai.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2024, n° 475020
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jérôme Goldenberg
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475020.20241218
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