Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 491629, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février, 9 mai et 14 novembre 2024, la société Free SAS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse n° 2023-2802 du 14 décembre 2023 portant sur la définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations imposées à cet opérateur à ce titre ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 491762, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 février, 14 mai et 12 novembre 2024, la société Bouygues Télécom demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 45 de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse n° 2023-2802 du 14 décembre 2023 portant sur la définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations imposées à cet opérateur à ce titre ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet article en tant qu'il s'applique au-delà des zones 1 et 2 identifiées par cette décision regroupant respectivement 77 communes et 29 communes présentant des conditions concurrentielles structurelles similaires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3° Sous le n° 491765, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 février, 14 mai 2024 et 14 novembre 2024, la Société Française du Radiotéléphone - SFR demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 45 et 46 de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse n° 2023-2802 du 14 décembre 2023 portant sur la définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations imposées à cet opérateur à ce titre ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive (UE) n° 2018/1972 du Parlement européen du 11 décembre 2018 ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brocher, avocat de Free mobile SAS, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Bouygues Télécom, de XPfibre et de la société française du radiotéléphone (SFR) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 novembre 2024, présentée par la société Free SAS.
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
En ce qui concerne le cadre général de la régulation des communications électroniques :
1. Il résulte de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, qui transpose notamment le b) du paragraphe 2 de l'article 3 de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code européen des communications électroniques, que l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) doit prendre, dans son domaine de compétence et dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d'atteindre les différents objectifs qu'il mentionne dont, au titre des 3°, 4°, 5° et 5° ter du II de cet article, le développement de l'investissement, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques, l'aménagement et l'intérêt des territoires et la diversité de la concurrence dans les territoires, la protection des consommateurs et la satisfaction des besoins de l'ensemble des utilisateurs, ainsi que l'évaluation et le suivi des questions liées à la configuration du marché et à la concurrence en ce qui concerne l'internet ouvert, et au titre des 1° et 2° du III du même article, l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, et la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence. Selon le 3° et le 4° du IV du même article, sans préjudice des objectifs définis au II et au III, l'ARCEP veille en outre à l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs et à la promotion, lorsque cela est approprié, de la concurrence par les infrastructures.
2. En vertu du dernier alinéa du IV de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, qui transpose le a) du paragraphe 4 de l'article 3 de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018, il appartient à l'ARCEP " d'assurer l'adaptation du cadre réglementaire à des échéances appropriées et de manière prévisible pour les différents acteurs du secteur ". Le dernier alinéa du paragraphe 1 de l'article 74 de la même directive dispose que " Lorsque les autorités de régulation nationales jugent approprié d'imposer des obligations en matière de contrôle des prix sur l'accès à des éléments de réseau existants, elles tiennent également compte des avantages que présentent des prix de gros prévisibles et stables pour garantir une entrée efficace sur le marché (...) ".
En ce qui concerne les mesures susceptibles d'être imposées aux opérateurs exerçant une influence significative sur un marché du secteur des télécommunications :
3. Les deux premiers alinéas de l'article L. 37-1 du code des postes et communications électroniques disposent que l'ARCEP " détermine, au regard notamment des obstacles au développement d'une concurrence effective, et après avis de l'Autorité de la concurrence, les marchés du secteur des communications électroniques pertinents, en vue de l'application des articles L. 38, L. 38-1 et L. 38-2. / Après avoir analysé l'état et l'évolution prévisible de la concurrence sur ces marchés, l'autorité établit, après avis de l'Autorité de la concurrence, la liste des opérateurs réputés exercer une influence significative sur chacun de ces marchés (...) ". En application du I de l'article L. 37-2 du même code, l'ARCEP " fixe en les motivant (...) 2° Les obligations des opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques, prévues aux articles L. 38 et L. 38-1 (...) ". En vertu du III de cet article, l'ARCEP " n'impose d'obligations aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques qu'en l'absence de concurrence effective et durable et les supprime dès lors qu'une telle concurrence existe. Lorsqu'elle envisage de supprimer de telles obligations, l'autorité veille à ce que les opérateurs bénéficient d'une période de préavis appropriée, établie en recherchant un équilibre entre la nécessité d'assurer une transition durable pour les bénéficiaires de ces obligations et les utilisateurs finals, le choix des utilisateurs finals et la nécessité de ne pas maintenir la régulation plus longtemps que nécessaire ".
4. Aux termes de l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques : " I. - Les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer, en matière d'interconnexion et d'accès, une ou plusieurs des obligations suivantes, proportionnées à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 : / (...) 3° Faire droit aux demandes raisonnables d'accès à des éléments de réseau ou à des moyens qui y sont associés (...) ; 4° Respecter des obligations tarifaires, notamment ne pas pratiquer des tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants (...) / IV. - Dans son appréciation du caractère proportionné des obligations qu'elle est susceptible d'imposer, au titre du présent article, l'autorité choisit la manière la moins intrusive de remédier aux problèmes relevés dans le cadre de l'analyse prévue à l'article L. 37-1 ". En vertu du I de l'article L. 38-1-1 du même code, l'ARCEP peut accepter des engagements souscrits auprès d'elle par ces opérateurs " lorsqu'elle établit que ces engagements sont de nature à contribuer à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1, et notamment au développement d'une concurrence effective dans le secteur des communications électroniques ". En vertu du III du même article, elle peut " décider de rendre contraignant tout ou partie de ces engagements, pour une période donnée qui ne peut dépasser la durée proposée par l'opérateur ". Enfin, en vertu du IV du même article, elle " évalue les conséquences de cette décision sur l'évolution du marché (...) ".
5. En vertu du II de l'article D. 311 du code des postes et des communications électroniques : " II.- Pour la mise en œuvre des obligations prévues au 4° de l'article L. 38, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse précise, en tant que de besoin, les mécanismes de recouvrement des coûts, les méthodes de tarification et les méthodes de comptabilisation des coûts, qui peuvent être distinctes de celles appliquées par l'opérateur. Elle peut également demander à cet opérateur de respecter un encadrement pluriannuel des tarifs (...). / L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse veille à ce que les méthodes retenues promeuvent l'efficacité économique, favorisent une concurrence durable et optimisent les avantages pour le consommateur (...) ".
6. Aux termes de l'article L. 38-2-3 du code des postes et des communications électroniques qui transpose l'article 81 de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 : " I.- Lorsque les opérateurs, considérés comme exerçant une influence significative sur un ou plusieurs marchés pertinents, en application de l'article L. 37-1, décident de déclasser des parties du réseau soumises à des obligations fixées conformément à l'article L. 37-2, ou de les remplacer par une infrastructure nouvelle, ils notifient, au préalable et en temps utile, à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse leur projet. / II.- L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse évalue les conséquences pour le marché, déterminé en application de l'article L. 37-1, de la procédure de déclassement, ou de remplacement. Après avoir vérifié que le fournisseur d'accès a établi les conditions appropriées pour la migration (...), qu'il respecte les conditions de la procédure qu'il a notifiée, et après avoir rendu publiques les mesures envisagées conformément au V de l'article L. 32-1, elle peut supprimer les obligations fixées conformément à l'article L. 37-2 pour les parties du réseau mentionnées au I ".
Sur le litige :
7. Il ressort des pièces du dossier que, sur le fondement du règlement (CE) n° 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale, puis des dispositions du code des postes et communications électroniques citées aux points 3 à 5 relatives aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché, l'ARCEP a depuis 2000 imposé à la société France Télécom, devenue Orange, de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à la boucle locale de cuivre et la sous-boucle locale de cuivre en proposant une offre de gros d'accès dégroupé, ainsi que les ressources et services associés à des tarifs reflétant les coûts correspondants.
8. Si l'article 44 de la décision de l'ARCEP n° 2023-2802 du 14 décembre 2023 portant sur la définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations imposées à cet opérateur à ce titre maintient ce principe d'orientation des tarifs vers les coûts, il y est dérogé dans deux cas. D'une part, son article 45 dispose que la société Orange n'est soumise qu'à une obligation de pratiquer des tarifs non excessifs pour les accès situés dans les communes dont au moins 95 % des locaux sont raccordables à l'infrastructure en fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH) depuis plus de 9 mois selon l'observatoire des abonnements et déploiements du haut et très haut débit de l'Autorité. D'autre part, son article 46 dispose que la société Orange n'est soumise à aucune obligation tarifaire pour les accès situés dans une commune dans laquelle elle a mis fin à la commercialisation de nouveaux abonnements utilisant le réseau de cuivre depuis 6 mois et pour laquelle elle a annoncé qu'interviendra dans moins de deux ans une fermeture technique par zone, qui consiste en une interruption définitive de la commercialisation des produits et services existants sur le réseau de boucle locale de cuivre. Par ailleurs, l'article 49 de cette décision accepte et rend opposable l'engagement pris par la société Orange concernant les plafonds des tarifs non excessifs applicables pour les années 2024 et 2025.
9. La société Free a formé une requête qui doit être regardée comme tendant à l'annulation des articles 45 et 49 de cette décision. La société Bouygues Télécom demande l'annulation de l'article 45, et la Société Française du Radiotéléphone - SFR des articles 45 et 46 de cette décision. Il y a lieu de joindre ces trois requêtes qui présentent à juger des questions communes.
Sur la légalité externe :
10. En premier lieu, en vertu de l'article D. 303 du code des postes et communications électroniques, les projets de décision de l'ARCEP imposant des obligations à un opérateur exerçant une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques font l'objet, notamment, d'une consultation de la Commission européenne dans les conditions prévues aux articles L. 36-15 et D. 296 du même code. Il résulte du paragraphe 8 de l'article 32 de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 que les autorités de régulation nationale doivent tenir " le plus grand compte " des observations formulées par la Commission européenne lors d'une telle consultation.
11. L'ARCEP, après avoir mentionné aux points 4.6.1 et 6.1 de la décision attaquée les observations émises par la Commission européenne sur la période d'assouplissement des mesures tarifaires pendant la migration du réseau de cuivre vers la fibre a, d'une part, rappelé les raisons qui la conduisent à considérer que, dans les communes dans lesquelles 95 % des locaux étaient raccordables à l'infrastructure FttH depuis plus de neuf mois, l'ampleur et les conditions du déploiement des infrastructures exerçaient une pression concurrentielle suffisante pour qu'un remède tarifaire de non-excessivité soit justifié et proportionné et, d'autre part, précisé qu'elle pourrait réévaluer les critères d'application de ce remède, voire le modifier, pour tenir compte de l'évolution des conditions concurrentielles au cours du cycle d'analyse de marché, en particulier au regard du déploiement par Orange de son réseau FttH et d'un éventuel retard du calendrier de fermeture de la boucle locale de cuivre. Ainsi, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'ARCEP, qui n'était pas tenue de se conformer aux observations de la Commission, aurait méconnu l'obligation de tenir le plus grand compte de celles-ci.
12. En deuxième lieu, conformément aux dispositions de l'article L. 37-2 du code des postes et communications électroniques citées au point 3, la décision attaquée énonce les considérations de fait et de droit sur lesquelles elle est fondée. Par suite le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit être écarté.
Sur la légalité interne :
13. En premier lieu, l'objectif fixé au 8° du III de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, relatif à " la sécurité, la prévisibilité et la cohérence du pouvoir réglementaire, afin notamment de promouvoir les investissements de long terme dans l'octroi, le renouvellement, la modification, la restriction, la location, la cession et le retrait des droits d'utilisation du spectre radioélectrique ", ne concerne que l'utilisation du spectre radioélectrique. Il ne saurait par suite être utilement invoqué à l'encontre de la décision attaquée.
14. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques que l'ARCEP, lorsqu'elle définit les obligations tarifaires incombant aux opérateurs exerçant une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques, doit veiller, en prenant des mesures raisonnables et proportionnées en vue d'atteindre les différents objectifs mentionnés par l'article L. 32-1 du même code et, le cas échéant, en acceptant et rendant contraignants sur le fondement de l'article L. 38-1-1 du même code les engagements pris par cet opérateur, à ce que les mesures retenues notamment promeuvent l'efficacité économique, favorisent une concurrence durable et optimisent les avantages pour le consommateur.
15. D'une part, les sociétés requérantes soutiennent que l'augmentation des tarifs qu'autorise l'article 45 de la décision attaquée permet à la société Orange de bénéficier d'une rente de situation d'autant plus importante qu'elle aura, même si elles la répercutent sur les utilisateurs finals, une incidence limitée sur leur migration du réseau de cuivre vers la fibre, que la portée de l'obligation de non excessivité des tarifs est insuffisamment définie et que la période pendant laquelle elle s'appliquera pourra s'allonger en fonction des modifications que la société Orange est libre d'apporter à son plan de fermeture de la boucle locale de cuivre. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la disposition litigieuse ne s'applique que dans les communes dans lesquelles au moins 95 % des locaux sont raccordables à l'infrastructure en fibre optique depuis plus de 9 mois, ce qui permet à la quasi-totalité des utilisateurs finals de basculer du réseau cuivre vers la fibre, et qu'existe depuis plusieurs années une migration régulière et importante des utilisateurs finals du réseau cuivre vers la fibre dont rien n'indique qu'elle ne serait pas appelée à se poursuivre. En outre, ni la circonstance que la disposition attaquée ne définisse pas la notion de tarif non excessif, ni celle que les engagements de la société Orange, acceptés à l'article 49, concernant le plafonnement de ces tarifs, ne soient pris que pour une partie de la période concernée par la décision d'analyse des marchés, ne caractérisent une méconnaissance des dispositions mentionnées au point 14, l'ARCEP ayant au demeurant précisé dans sa décision qu'elle pourrait examiner de nouveaux engagements d'Orange ou définir la trajectoire d'évolution du remède tarifaire applicable. La société Free ne saurait en tout état de cause utilement se prévaloir de la recommandation (UE) 2024/539 de la Commission européenne du 6 février 2024 sur la promotion réglementaire de la connectivité gigabit, qui est postérieure à la décision attaquée. Enfin, il résulte de l'article L. 38-2-3 du code des postes et des communications électroniques que, dans l'hypothèse où les échéances fixées par le plan de fermeture de la boucle locale de cuivre notifié par la société Orange et au regard duquel a été prise la mesure contestée, ne seraient pas respectées, il appartiendra à l'ARCEP, ainsi qu'elle l'a au demeurant relevé dans sa décision, d'apprécier s'il y a lieu de modifier celle-ci afin d'assurer le respect des principes rappelés au point 14.
16. D'autre part, les sociétés requérantes soutiennent qu'Orange captera les utilisateurs finals du réseau de cuivre qui migreraient vers la fibre à la suite d'une répercussion de la mesure contestée sur le prix de leurs abonnements, dès lors qu'elle est souvent le seul opérateur d'infrastructure en fibre présent dans une zone déterminée. Toutefois, la circonstance que la société Orange soit le seul opérateur d'infrastructure en fibre présent dans une zone ne fait pas obstacle à ce que d'autres opérateurs puissent concurrencer la société Orange dans ces zones, grâce aux mécanismes de mutualisation, mis en œuvre sous la forme d'un accès passif aux lignes, en particulier en cofinancement, prévus par le cadre de régulation. Il n'est au surplus pas contesté qu'il existe au moins un autre opérateur que la société Orange en mesure de commercialiser des offres à très haut débit en fibre optique dans 97 % des locaux éligibles aux offres FttH.
17. Il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 45 et 49 de la décision attaquée, qui tirent les conséquences de l'évolution des conditions de concurrence sur le marché de fourniture en gros d'accès local en position déterminée résultant notamment de la forte et rapide migration des utilisateurs finals du réseau de cuivre vers la fibre et du développement d'une offre alternative à celle de la société Orange sur le réseau de fibre optique, n'ont pas fait une inexacte application des dispositions citées aux points 1 à 5 et ne sauraient être regardées comme méconnaissant l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'elles mettraient nécessairement la société Orange en situation d'abuser de sa position dominante sur ce marché. L'article 106 de ce traité ne peut en outre être utilement invoqué à l'encontre de mesures qui sont sans lien avec l'octroi ou le maintien de droits spéciaux ou exclusifs.
18. En troisième lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que l'ARCEP a, dans sa décision n° 2020-1446 d'analyse de marché du 6e cycle (2020-2023) du 15 décembre 2020, maintenu l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts tout en indiquant que " dans les zones où les déploiements de l'infrastructure fibre permettraient l'émergence de conditions concurrentielles équivalentes à celles observées sur la boucle locale cuivre, le contrôle tarifaire portant sur les offres d'accès à la boucle locale cuivre pourrait être ajusté à terme ", puis soumis le projet de la décision contestée à consultation du public du 20 février au 3 avril 2023 puis de nouveau du 29 juin 2023 au 18 septembre 2023 et que, parallèlement à cette seconde consultation, elle a mené une consultation publique sur la proposition d'engagements de la société Orange sur le plafond des tarifs non excessifs pour la période 2024-2025.
19. D'autre part, les critères permettant de déterminer les zones dans lesquelles s'applique l'obligation de pratiquer des tarifs non excessifs ainsi que les conditions dans lesquelles la société Orange doit informer suffisamment à l'avance les autres opérateurs de leur application ou leur évolution sont définis par la décision attaquée et les plafonds de ces tarifs, que l'ARCEP n'est pas tenue de déterminer, sont fixés pour la période 2024-2025 par les engagements de la société Orange, acceptés et rendus opposables par l'ARCEP.
20. Il résulte de ce qui précède qu'en adoptant les articles 45 et 49 de la décision attaquée, l'ARCEP n'a méconnu ni le dernier alinéa du IV de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, en vertu duquel l'ARCEP doit assurer l'adaptation du cadre de régulation de manière prévisible, ni, en tout état de cause, le paragraphe 1 de l'article 74 de la directive (UE) 2018/1972 ou le principe de sécurité juridique.
21. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 46 de la décision litigieuse ne permettraient pas l'exercice d'une concurrence effective et loyale sur le marché en cause n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.
22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la société Orange, que les conclusions des sociétés requérantes tendant à l'annulation des dispositions contestées, en ce compris les conclusions subsidiaires de la société Bouygues Télécom tendant à l'annulation de l'article 45 en tant qu'il s'applique au-delà des zones 1 et 2 identifiées par la décision attaquée, regroupant respectivement 77 communes et 29 communes présentant des conditions concurrentielles structurelles similaires, doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'ARCEP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés requérantes une somme de 1 500 euros à verser chacune à la société Orange au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la société Free SAS, de la société Bouygues Télécom et de la Société Française du Radiotéléphone - SFR sont rejetées.
Article 2 : La société Free SAS, la société Bouygues Télécom et la Société Française du Radiotéléphone-SFR verseront chacune une somme de 1 500 euros à la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Free SAS, à la société Bouygues Télécom, à la Société Française du Radiotéléphone - SFR, à la société Orange et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 17 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Jérôme Goldenberg
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard