Vu la procédure suivante :
La société Arcos a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de la transition écologique de modifier, en application de son article 10.2, le contrat de concession qu'elle a conclu le 29 janvier 2016 avec l'Etat en vue de la construction et l'exploitation de l'autoroute de contournement ouest de Strasbourg, afin de décaler d'un an le calendrier de réalisation du projet, pour prendre en compte les conséquences des décisions des 20 et 26 septembre 2017 suspendant les travaux préparatoires de déboisement sur les parcelles situées sur le territoire des communes de Vendenheim, Kolbsheim et d'Ernolsheim-Bruche et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 125 863 456,80 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice que lui auraient causé les décisions des 20 et 26 septembre 2017. Par un jugement n° 1909074 du 9 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21PA00641 du 7 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Arcos contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 janvier et 8 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Arcos demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Arcos ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un contrat de concession conclu le 29 janvier 2016, l'Etat a confié à la société Arcos la construction et l'exploitation de l'autoroute de contournement ouest de Strasbourg (A 355), dont la mise en service était prévue le 30 septembre 2020. La construction de l'ouvrage comprenait la réalisation de travaux préparatoires puis de travaux définitifs ainsi qu'une phase finale de tests. Les travaux préparatoires portaient sur des sondages géotechniques, des diagnostics archéologiques préventifs et les déboisements associés, des fouilles archéologiques et le dévoiement des travaux devant être exécutés. En vue de la réalisation de ces travaux préparatoires, la société Arcos a obtenu, par deux arrêtés des 16 et 24 janvier 2017, délivrés respectivement par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et par le préfet du Bas-Rhin, l'autorisation de déroger à la protection stricte d'espèces protégées. Cette société devait, pour des motifs d'ordre écologique, mener ces travaux de déboisement entre le 1er septembre et le 15 octobre 2017 notamment dans la partie nord du projet, dans le massif du Krittwald sur le territoire de la commune de Vendenheim, et dans la partie sud du projet, dans la vallée de la Bruche sur le territoire des communes de Kolbsheim et d'Ernolsheim-Bruche. Par deux courriers électroniques des 20 et 26 septembre 2017, adressés au président de la société Vinci autoroutes, actionnaire indirect de la société Arcos, le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer du ministère de la transition écologique a sollicité la suspension des travaux de déboisement. Estimant que cette suspension l'avait empêchée de réaliser ces travaux aux dates prévues, retardant ainsi le projet d'un an, la société Arcos a adressé au ministère de la transition écologique, le 31 décembre 2018, une demande préalable tendant, d'une part, à ce que le contrat de concession soit modifié pour reporter d'un an le calendrier de réalisation de l'opération et, d'autre part, au versement de la somme de 125 863 456,80 euros TTC en réparation du préjudice subi du fait des décisions des 20 et 26 septembre 2017. Cette demande ayant fait naître une décision implicite de rejet, la société Arcos a porté cette demande devant le tribunal administratif de Paris qui l'a rejetée par un jugement du 9 décembre 2020. Par un arrêt du 7 novembre 2023, contre lequel la société Arcos se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que, pour rejeter les conclusions indemnitaires de la société Arcos liées aux retards dans la réalisation des travaux de déboisement, la cour s'est fondée sur la circonstance que la société n'avait pas, à la date où ces travaux ont été suspendus à la demande de l'Etat, pris les mesures préalables à l'abattage des arbres prévues par l'arrêté du 24 janvier 2017 et qu'elle n'était, par conséquent, pas en mesure de démarrer les travaux à cette date. Elle en a déduit que le lien de causalité entre la décision de l'Etat et le préjudice dont elle demande réparation n'était pas établi. Un tel motif dispensait la cour de se prononcer expressément sur la légalité de la décision litigieuse, sur le moyen tiré de ce que cette société n'aurait contribué que partiellement à la réalisation de son propre préjudice ou encore de préciser les autres circonstances qui auraient également pu faire obstacle au démarrage des travaux. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait insuffisamment motivé son arrêt, méconnu son office et, ce faisant, méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni méconnu son office en jugeant qu'en relevant que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat envers la société requérante n'étaient pas remplies, le tribunal administratif n'avait pas procédé à une substitution de motifs.
4. En troisième lieu, dès lors que la cour a confirmé le dispositif du jugement contesté devant elle en se fondant sur d'autres motifs que ceux retenus par le tribunal administratif de Paris, la requérante ne peut utilement soutenir qu'elle aurait commis une erreur de droit, méconnu son office et insuffisamment motivé son arrêt en n'annulant pas ce jugement au motif qu'il aurait à tort estimé que l'Etat concédant pouvait légalement ordonner la suspension des opérations de déboisement au titre de son pouvoir de direction et de contrôle.
5. En dernier lieu, en estimant que la société Arcos n'avait pas, à la date à laquelle les travaux de déboisement ont été suspendus, pris les mesures préalables à l'abattage des arbres prévues par l'arrêté du 24 janvier 2017, et que, par suite, cette société n'était pas en mesure de commencer ces travaux à cette date, la cour administrative d'appel de Paris a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. La cour ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de la requérante en retenant qu'elle ne contestait pas sérieusement l'étude établie par la Ligue de protection des oiseaux le 10 avril 2018 et, par suite, n'a, en tout état de cause, pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en se fondant sur les données de cette étude. Dès lors, en estimant qu'à supposer même que les travaux de déboisement n'aient pas été suspendus à la demande de l'Etat, la société requérante n'aurait en tout état de cause pas été en mesure de les achever avant le 15 octobre 2017, de sorte que le lien de causalité direct et certain entre la décision de l'Etat de suspendre les travaux et les retards dont la société demandait réparation à l'Etat n'était pas établi, la cour, qui n'était pas tenue de se prononcer sur la légalité de cette décision, n'a pas commis d'erreur de droit, ni méconnu son office, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Arcos doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Arcos est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Arcos et à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.