Vu la procédure suivante :
Par une requête et trois mémoires, enregistrés les 13 mars, 13 mai, 28 mai et 31 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 16 novembre 2023 par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a prononcé sa radiation du tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes tenu par le conseil départemental des Yvelines de cet ordre ;
2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hugo Bevort, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. B... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a obtenu son diplôme de chirurgien-dentiste en 2001 à Alger et a fondé en octobre 2016 une clinique dentaire à Alger avec deux autres associés. Après que son diplôme algérien a été reconnu comme équivalent au diplôme français, M. B... a été autorisé à exercer en France en 2017. Il s'est inscrit au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes tenu par le conseil régional de Paris de cet ordre, le 31 janvier 2018. Après avoir été radié de ce tableau à sa demande pour créer son cabinet à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), le conseil départemental des Yvelines de l'ordre l'a inscrit à son tableau le 23 juin 2022, en l'autorisant par dérogation à poursuivre son exercice à Paris pour une durée de trois mois renouvelable. Après un signalement du président de l'ordre régional des médecins dentistes d'Alger en date du 18 février 2023, il a été convoqué devant le conseil départemental des Yvelines de l'ordre des chirurgiens-dentistes les 20 avril et 13 juin 2023. Ce conseil départemental a alors décidé de radier M. B... du tableau de l'ordre des Yvelines pour non-respect de la condition de moralité prévue par les dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique. Le 29 août 2023, la formation restreinte du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes, saisie d'un recours par M. B... contre la radiation prononcée par le conseil départemental, a confirmé la décision de radiation. Par une décision du 16 novembre 2023, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, saisie par M. B..., a également confirmé la radiation.
2. Aux termes de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique : " Les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes qui exercent dans un département sont inscrits sur un tableau établi et tenu à jour par le conseil départemental de l'ordre dont ils relèvent. / Ce tableau est transmis aux services de l'Etat et porté à la connaissance du public, dans des conditions fixées par décret. / Nul ne peut être inscrit sur ce tableau s'il ne remplit pas les conditions requises par le présent titre et notamment les conditions nécessaires de moralité, d'indépendance et de compétence. / La décision d'inscription ne peut être retirée que si elle est illégale et dans un délai de quatre mois. Passé ce délai, la décision ne peut être retirée que sur demande explicite de son bénéficiaire. / Il incombe au conseil départemental de tenir à jour le tableau et, le cas échéant, de radier de celui-ci les praticiens qui, par suite de l'intervention de circonstances avérées postérieures à leur inscription, ont cessé de remplir ces conditions. / Un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme ne peut être inscrit que sur un seul tableau qui est celui du département où se trouve sa résidence professionnelle, sauf dérogation prévue par le code de déontologie mentionné à l'article L. 4127-1. Un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme inscrit ou enregistré en cette qualité dans un Etat ne faisant pas partie de l'Union européenne ou n'étant pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen ne peut être inscrit à un tableau de l'ordre dont il relève. "
3. En premier lieu, saisi du recours administratif préalable obligatoire prévu par les dispositions de l'article L. 4112-4 du code de la santé publique contre une décision d'un conseil régional de l'ordre des chirurgiens-dentistes ayant lui-même statué sur un recours dirigé contre une décision prise par un conseil départemental relative à l'inscription au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes, il appartient au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de se prononcer à nouveau lui-même, au vu des circonstances de droit et de fait à la date de sa propre décision, sur le bien-fondé de l'inscription du praticien au tableau de l'ordre tenu par le conseil départemental compétent. Il en va également ainsi lorsque le recours dont est saisi le conseil national est relatif à une décision de radiation prise par le conseil départemental, en application des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique citées au point précédent. Il appartient alors au conseil national d'examiner si, compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il se prononce, les faits portés à la connaissance des instances ordinales sont, au titre de l'obligation d'assurer la tenue à jour du tableau de l'ordre, de nature à justifier une mesure de radiation de ce tableau.
4. En l'espèce, il ressort des termes mêmes de sa décision que, pour estimer que M. B... ne remplissait pas la condition de moralité exigée par le code de la santé publique pour être inscrit au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes en France et devait, pour ce motif, être radié du tableau de l'ordre, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre de cette profession s'est prononcée en prenant en compte les circonstances de fait à la date de sa décision. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, dont la décision est par ailleurs suffisamment motivée, n'a pas fait application des règles énoncées au point précédent régissant l'examen d'un recours administratif préalable obligatoire.
5. En second lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que la décision par laquelle le conseil départemental de l'ordre décide d'inscrire un praticien au tableau en application de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique a le caractère d'une décision individuelle créatrice de droits. S'il incombe au conseil départemental de tenir à jour ce tableau et de radier de celui-ci les praticiens qui, par suite de l'intervention de circonstances postérieures à leur inscription, ont cessé de remplir les conditions requises pour y figurer y compris lorsque les agissements du praticien sont de nature à caractériser une méconnaissance des conditions légales d'inscription au tableau de l'ordre, il ne peut, en l'absence de fraude, sans méconnaître les droits acquis qui résultent de l'inscription, décider de retirer celle-ci plus de quatre mois après l'avoir accordée.
6. Il ressort de l'ensemble des pièces du dossier qu'après son inscription au tableau de l'ordre tenu par le conseil départemental des Yvelines, M. B..., d'une part, a continué à être inscrit, en Algérie, au tableau de l'ordre tenu par le conseil régional d'Alger, ainsi qu'en atteste cette instance ordinale, et à y pratiquer l'art dentaire et non, uniquement des formations ou " coaching ", d'autre part, a exercé sa profession à Paris, au-delà de la période pour laquelle il avait bénéficié d'une autorisation transitoire pour ce faire. En se fondant, pour prononcer la radiation du tableau de l'ordre litigieuse, sur de tels agissements, contraires respectivement à l'interdiction d'une double inscription au tableau de l'ordre énoncée à l'article L. 4112-1 du code de la santé publique et au " principe de l'unicité du cabinet " prévu par l'article R. 4127-270 du même code, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle, et au regard de la nature et de la gravité des faits, ainsi qu'au demeurant à la persistance de l'intéressé a vouloir tromper les instances ordinales, n'a pas fait une application inexacte des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera la somme de 3 000 euros au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.