Vu la procédure suivante :
Par un jugement du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris, statuant sur des demandes de l'association Oxfam France, de l'association Notre Affaire à Tous, de la Fondation pour la Nature et pour l'Homme et de l'association Greenpeace France, a enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre, au 31 décembre 2022, toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l'aggravation des dommages, à hauteur de la part non compensée d'émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2eq.
L'association Oxfam France, l'association Greenpeace France et l'association Notre Affaire à Tous ont ultérieurement saisi le tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, de demandes tendant à l'exécution du jugement du 14 octobre 2021. Par un jugement n° 2321828/4-1 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif a rejeté ces demandes d'exécution.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 février, 21 mai et 25 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Oxfam France et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de faire droit à leurs demandes tendant à l'exécution du jugement du 14 octobre 2021 ;
3°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de l'association Oxfam France et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, condamné l'État à verser à l'association Oxfam France, l'association Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l'Homme et l'association Greenpeace France la somme d'un euro chacune en réparation de leur préjudice moral et a, d'autre part, ordonné un supplément d'instruction avant de statuer sur les autres conclusions des requérantes tendant à ce que le tribunal enjoigne à l'État de prendre toutes les mesures permettant d'atteindre les objectifs que la France s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de faire cesser pour l'avenir l'aggravation du préjudice écologique constaté. Par un jugement du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre, avant le 31 décembre 2022, toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l'aggravation des dommages, à hauteur de la part non compensée d'émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2eq, sous réserve d'un ajustement au regard des données estimées du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA) au 31 janvier 2022. Ces deux jugements du tribunal administratif de Paris sont devenus définitifs.
2. L'association Oxfam France, l'association Greenpeace France, et l'association Notre Affaire à Tous ont ultérieurement saisi le tribunal administratif de Paris de demandes tendant à l'exécution du jugement du 14 octobre 2021. Par un jugement du 22 décembre 2023, dont l'association Oxfam France, l'association Greenpeace France, et l'association Notre Affaire à Tous demandent l'annulation, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes d'exécution.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. Toutefois, en cas d'inexécution d'un jugement frappé d'appel, la demande d'exécution est adressée à la juridiction d'appel. Si le jugement dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. Le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut renvoyer la demande d'exécution au Conseil d'Etat ".
4. La procédure prévue par l'article L. 911-4 du code de justice administrative se rattache à la même instance contentieuse que celle qui a donné lieu à la décision juridictionnelle dont il est demandé au juge d'assurer l'exécution. Ainsi, les voies de recours ouvertes contre la décision prise en application de cet article sont les mêmes que celles qui sont prévues contre la décision dont il est demandé au juge d'assurer l'exécution.
5. D'autre part, aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. / Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : / (...) 8° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ".
6. Il résulte de ces dispositions que lorsque le tribunal administratif statue sur une demande tendant d'une part au versement d'une indemnité n'excédant pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 du code de justice administrative, d'autre part à ce qu'il soit enjoint de faire cesser les causes du dommage dont il est demandé réparation ou d'en pallier les effets, son jugement est, dans son ensemble, susceptible d'appel.
7. Devant le tribunal administratif de Paris, les associations Oxfam France, Notre Affaire à Tous, Greenpeace France et de la Fondation pour la Nature et l'Homme ont demandé, d'une part, le versement d'une somme d'un euro en réparation des chacun des préjudices, moral et écologique, qu'elles invoquaient chacune respectivement et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de mettre un terme à l'ensemble des manquements à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique ou d'en pallier les effets, de faire cesser le préjudice écologique allégué, et notamment, dans le délai le plus court possible, de prendre les mesures nécessaires aux fins de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau compatible avec l'objectif de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète en-dessous du seuil de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, en tenant compte du surplus de gaz à effet de serre émis par la France depuis 1990 et des efforts supplémentaires que le respect de cet objectif implique, de prendre, à tout le moins, les mesures permettant d'atteindre les objectifs de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et d'augmentation de l'efficacité énergétique et les mesures nécessaires à l'adaptation du territoire national aux effets du changement climatique et, enfin, d'assurer la protection de la vie et de la santé des citoyens contre les risques liés au changement climatique.
8. Il s'ensuit que les jugements du tribunal administratif de Paris en date des 3 février et 14 octobre 2021 ayant statué sur ces conclusions étaient susceptibles d'appel. Il en va de même pour le jugement du 22 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a statué sur les demandes des associations requérantes tendant à l'exécution de ces jugements. Le recours formé par les associations Oxfam France, Notre Affaire à Tous et Greenpeace France, demandant l'annulation du jugement du 22 décembre 2023, présente ainsi le caractère d'un appel, qui ne ressortit pas à la compétence du Conseil d'Etat mais à celle de la cour administrative d'appel de Paris. Il y a donc lieu d'en attribuer le jugement à cette cour.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement de la requête des associations Oxfam France, Greenpeace France, et Notre Affaire à Tous est attribué à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Oxfam France, première dénommée pour l'ensemble des requérantes, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la présidente de la cour administrative d'appel de Paris.
Copie en sera adressée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et à l'association Initiatives pour le climat et l'énergie.