Vu les procédures suivantes :
1° Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner à la société Cemafroid, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administratif, de lui communiquer divers documents et informations en application des stipulations des articles 9-1 à 9-3 de la convention de délégation de service public du 12 juin 2008 ayant pour objet l'examen technique et la délivrance des attestations officielles de conformité des engins de transport sous température dirigée, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés du tribunal.
Par une ordonnance n° 2419605 du 31 juillet 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Sous le no 496783, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 août et 10 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande.
Sous le no 497747, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 septembre et 15 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande.
Il s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat quant à la disparition de l'objet du litige invoquée par la société Cemafroid et soutient que la juge des référés du tribunal administratif de Paris a :
- entaché son ordonnance d'une contradiction de motifs en jugeant, d'une part, que le ministre devait saisir le tribunal administratif dans les deux mois suivant le constat du défaut d'avis ou de proposition de l'instance de conciliation et, d'autre part, que cette saisine devait intervenir à l'issue d'un délai de deux mois suivant ce constat ;
- commis une erreur de droit en jugeant que sa demande était irrecevable au motif qu'il n'avait pas respecté le délai contractuel d'un mois laissé à l'instance paritaire de conciliation pour rendre son avis ou sa proposition alors, d'une part, que la procédure de conciliation avait été engagée, que, d'autre part, l'instance paritaire de conciliation devait être regardée comme ayant rendu un avis et, enfin, que le compte-rendu de la réunion de l'instance paritaire de conciliation datait du jour même de la réunion.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2024, la société Cemafroid conclut au non-lieu à statuer ou, à défaut, au rejet du pourvoi, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Sous le no 498359, par un pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 octobre, 15 et 18 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Cemafroid ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que, par un arrêté du 2 juin 2008, le ministre de l'agriculture et de la pêche a désigné le GIE Cemafroid comme organisme délégataire pour l'examen technique des moyens de transport des denrées alimentaires sous température dirigée et la délivrance des attestations officielles de conformité pour les engins de transport sous température dirigée. Le 12 juin 2008, une convention de délégation de service public a été conclue pour une durée de dix ans entre l'Etat, représenté par le ministre de l'agriculture et de la pêche, et le GIE Cemafroid. Par plusieurs arrêtés du ministre chargé de l'agriculture, en dernier lieu un arrêté du 9 juin 2023, et plusieurs avenants à la convention de délégation de service public, cette délégation a été prolongée jusqu'au 12 juin 2025. En vue de la réattribution de la délégation de service public après mise en œuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a demandé à la société Cemafroid, par plusieurs courriers et mises en demeure datés des 11 janvier 2022, 15 mars 2023, 28 avril 2023, 27 décembre 2023 et 24 mai 2024, la communication de divers documents comptables et financiers ainsi qu'un inventaire des biens nécessaires au fonctionnement de la délégation. Estimant n'avoir pas reçu l'ensemble des documents sollicités, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a, le 18 juillet 2024, demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner à la société Cemafroid, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, de lui communiquer divers documents et informations liés à cette délégation de service public. Par une première ordonnance du 31 juillet 2024, contre laquelle le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire se pourvoit en cassation sous le no 496783, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande. Le 7 août 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a réitéré sa demande. Par une deuxième ordonnance du 29 août 2024, contre laquelle le ministre se pourvoit en cassation sous le no 497747, ce juge des référés a rejeté cette nouvelle demande. Enfin, le 11 septembre 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a de nouveau réitéré sa demande. Par une ordonnance du 1er octobre 2024, contre laquelle le ministre se pourvoit en cassation sous le no 498359, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
2. Les pourvois nos 496783, 497747 et 498359, présentés par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, concernent des demandes identiques adressées successivement au juge des référés du tribunal administratif de Paris. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les pourvois nos 496783 et 497747 :
3. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ".
4. L'intervention de l'ordonnance du 29 août 2024 rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur la nouvelle demande en référé, à la substance identique, présentée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire postérieurement à l'introduction de son pourvoi en cassation dirigé contre la première ordonnance du 31 juillet 2024 du même juge des référés, rend sans objet les conclusions tendant à l'annulation de celle-ci. De même, l'intervention de la troisième ordonnance du 1er octobre 2024 rend sans objet les conclusions du ministre tendant à l'annulation de la deuxième ordonnance du 29 août 2024. Il n'y a, par suite, lieu de statuer ni sur le pourvoi tendant à l'annulation de l'ordonnance du 31 juillet 2024, ni sur celui dirigé contre l'ordonnance du 29 août 2024.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Cemafroid au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le pourvoi no 498359 :
6. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le juge saisi sur le fondement de l'article L. 521-3, s'il n'est pas tenu de compléter l'instruction écrite par la tenue d'une audience, doit s'assurer du caractère contradictoire de la procédure, selon des modalités adaptées à l'urgence.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le mémoire en défense présenté par la société Cemafroid a été communiqué par le greffe du tribunal administratif de Paris le 24 septembre 2024 au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Ce dernier était invité à produire ses observations éventuelles " dans les meilleurs délais ". Le juge des référés a rendu, le 1er octobre 2024, l'ordonnance attaquée, par laquelle il a rejeté la demande du ministre au motif que la mesure d'injonction sollicitée par le ministre se heurtait à une contestation sérieuse au sens des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative.
8. Les exigences du caractère contradictoire de la procédure ont été méconnues dès lors que, d'une part, l'indication portée dans l'acte de notification du mémoire en défense ne permettait pas au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en l'absence de date déterminée, de connaître le délai dans lequel il était autorisé à produire ses observations en réplique, et que, d'autre part, en l'absence d'audience, il n'a pas été mis en mesure d'exposer éventuellement celles-ci avant que le juge ne statue. Il suit de là, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'ordonnance attaquée, rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, doit être annulée.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. S'il n'appartient pas au juge administratif d'intervenir dans la gestion d'un service public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d'urgence, le juge des référés peut, de même, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, dans le cadre de ses obligations contractuelles, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
11. En vertu du II de l'article L. 231-1 du code rural et de la pêche maritime, il doit être procédé, dans l'intérêt de la protection de la santé publique, au contrôle des conditions techniques du transport des denrées alimentaires sous température dirigée. Aux termes de l'article R. 231-59-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " L'examen technique des moyens de transport des denrées alimentaires sous température dirigée, et la délivrance des attestations officielles de conformité peuvent être délégués, à l'issue d'un appel à candidatures assorti d'une publicité suffisante, à un organisme désigné par arrêté du ministre chargé de l'agriculture. L'avis d'appel à candidatures indique la durée pour laquelle ces missions sont déléguées. / (...) / L'organisme bénéficiaire de la délégation ci-dessus mentionnée procède à l'examen technique et délivre l'attestation aux frais du demandeur dans les conditions prévues dans le cahier des charges fixé par le ministre chargé de l'agriculture. Il peut confier l'exécution de certaines de ses missions à des opérateurs qualifiés présentant les mêmes garanties ; les conventions qu'il conclut à cet effet sont soumises à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture. / (...) ".
12. L'article 1-2 de la convention conclue, le 12 juin 2008, entre l'Etat et le GIE Cemafroid, mentionnée au point 1, stipule que les documents contractuels comprennent, par ordre de priorité, la convention, le mémoire technique du délégataire, joint à son offre lors de la procédure de sélection du délégataire, et le cahier des charges qui était annexé au règlement de la consultation. Il résulte de l'instruction que ces documents contractuels et l'arrêté du 2 juin 2008 mentionné au point 1 comportent d'importantes imprécisions et ambiguïtés, qui ont d'ailleurs été relevées par plusieurs audits depuis 2013, sur le périmètre exact de la délégation de service public, notamment sur la question de savoir s'il incombait au GIE Cemafroid, dans le cadre de la mission d'examen technique des moyens de transport des denrées alimentaires sous température dirigée qui lui avait été déléguée, de réaliser lui-même, au moyen des " tunnels d'essais " dont il dispose, les essais techniques au vu desquels il devait procéder au contrôle des conditions techniques de ces moyens de transport. Par suite, la demande de communication de divers documents liés à l'activité d'essai de la société Cemafroid, présentée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire au juge des référés, se heurte, en l'état de l'instruction, à une contestation sérieuse.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la société Cemafroid, que la demande du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire doit être rejetée.
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Cemafroid au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en sus de la somme mentionnée au point 5.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des pourvois du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire dirigées contre les ordonnances des 31 juillet et 29 août 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris.
Article 2 : L'ordonnance du 1er octobre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 3 : La demande présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sous le no 2424248 par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est rejetée.
Article 4 : L'Etat versera à la société Cemafroid la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et à la société Cemafroid.