Vu la procédure suivante :
Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre et 15 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'association " Préservons la forêt des Colettes ", l'association " Stop mines 03 ", M. BI... AH..., Mme R... AI..., Mme M... AJ..., M. Z... AZ..., Mme S... BA..., Mme AW... BB..., M. C... AM..., M. AC... BC..., Mme BR... BC..., M. AB... BD..., M. G... AL..., Mme AK... AL..., Mme BE... V..., Mme AG... BT..., M. I... X..., M. U... AS..., M. AR... J..., Mme AY... BX..., Mme AQ... AO..., M. AA... BV..., Mme BW... BV..., M. D... K..., Mme BK... K..., M. A... K..., Mme AT... K..., M. H... Y..., Mme AX... Y..., M. AN... L..., Mme BL... BM..., M. AE... BN..., Mme BH... BN..., Mme BZ... M... BY..., Mme BR... BU..., M. AP... AU..., Mme BF... AU..., M. AE... CA... AD..., M. O... E..., Mme T... N..., Mme F... BQ..., Mme AW... B..., Mme AF... AV..., Mme BG... BJ..., M. Q... P..., Mme BP... P..., M. W... BS... et Mme BO... BS... demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2024-740 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imérys dans l'Allier, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'environnement, notamment son article L. 411-2-1 ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres, et à la SCP Spinosi, avocat de la société Imerys ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 novembre 2024, présentée par l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. D'une part, le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits en vertu du 1° du I de cet article : " La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Sont interdits en vertu du 2° du I du même article : " La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ". Sont interdits en vertu du 3° du I du même article : " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, dont celui énoncé au c) qui mentionne " l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ", " d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique " et " les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".
3. D'autre part, en vertu du I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, issu de l'article 19 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte : " Un projet industriel qui revêt, eu égard à son objet et à son envergure, notamment en termes d'investissement et d'emploi, une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale, peut être qualifié par décret de projet d'intérêt national majeur ".
4. L'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant du même article 19, dispose à son second alinéa que : " Le décret, prévu au I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d'intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l'appui d'un recours dirigé contre l'acte accordant la dérogation prévue au même c ".
5. A l'appui de leur recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imérys dans l'Allier, l'association Préservons la forêt des Colettes et autres demandent que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement.
6. Ces dispositions, applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Les griefs tirés de ce que ces dispositions législatives méconnaîtraient les articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement, porteraient atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et seraient entachées d'incompétence négative au regard de l'article 34 de la Constitution, soulèvent des questions qui peuvent être regardées comme présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Préservons la forêt des Colettes ", représentante unique, pour l'ensemble des requérants, à la société Imerys et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.