Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 avril et 7 juillet 2023 et le 11 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la recommandation n° 2022-02 du 27 décembre 2022 du collège de déontologie institué auprès du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ;
2°) de mettre à la charge du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761 du code de justice administrative.
M. D... soutient que :
- le collège de déontologie a excédé sa compétence en se prononçant sur l'interprétation de l'article R. 743-52 du code de commerce, en méconnaissance de l'article 3 de l'ordonnance du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels et de l'article 2 du décret du 13 avril 2022 relatif aux collèges de déontologie des officiers ministériels ;
- la procédure d'adoption de la recommandation est irrégulière, en ce que celle-ci est signée uniquement du président du collège de déontologie, ne mentionne pas les noms des membres présents lors de sa délibération et ne permet pas de vérifier si le quorum a été atteint, en méconnaissance des articles R. 133-10 et R. 133-13 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la procédure d'adoption de la recommandation a méconnu le principe d'impartialité, en ce que le président du collège de déontologie entretenait des liens avec l'associée du requérant, avec laquelle celui-ci était en conflit ;
- le collège de déontologie a commis une erreur de droit dans son interprétation de l'article R. 743-52 du code de commerce, en méconnaissance des articles 6 et 12 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales ;
- le collège de déontologie a retenu une interprétation de l'article R. 743-52 du code de commerce contraire à la liberté d'entreprendre, principe de valeur constitutionnelle et principe général du droit de l'Union européenne.
Le garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté des observations, enregistrées le 3 avril 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2024, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce conclut au rejet de la requête. Il déclare s'en remettre aux observations du garde des sceaux, ministre de la justice.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990
- l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 ;
- le décret n° 2022-545 du 13 avril 2022 ;
- le décret n° 2023-609 du 13 juillet 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B... E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une recommandation n° 2022-02 du 27 décembre 2022, le collège de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce a examiné la possibilité, pour un greffier associé exerçant au sein d'une société titulaire d'un office de greffier de tribunal de commerce, d'être en même temps directeur général d'une société d'exercice libéral par actions simplifiée titulaire d'un autre office de greffier de tribunal de commerce dans le ressort d'une autre cour d'appel. Il a estimé qu'une telle situation serait incompatible avec les dispositions des articles R. 743-52 et R. 742-53 du code de commerce. M. D..., greffier de tribunal de commerce, demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette recommandation.
Sur le cadre juridique du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels : " La présente ordonnance est applicable (...) aux greffiers des tribunaux de commerce (...) ". Selon le premier alinéa de l'article 2 de la même ordonnance : " Un code de déontologie propre à chaque profession est préparé par son instance nationale et édicté par décret en Conseil d'Etat. Ce code énonce les principes et devoirs professionnels permettant le bon exercice des fonctions et s'applique en toutes circonstances à ces professionnels dans leurs relations avec le public, les clients, les services publics, leurs confrères et les membres des autres professions ". En application du premier alinéa de l'article 3 de la même ordonnance : " Des collèges de déontologie sont institués auprès des instances nationales de chacune des professions mentionnées à l'article 1er. Ils participent à l'élaboration du code de déontologie de la profession et émettent des avis et des recommandations sur son application ". Aux termes de l'article 2 du décret du 13 avril 2022 relatif aux collèges de déontologie des officiers ministériels : " Le collège de déontologie (...) : / 1° Est consulté par l'instance professionnelle compétente préalablement à l'élaboration et à la mise à jour du code de déontologie de la profession ; / 2° Formule toute recommandation utile sur l'application du code de déontologie ; / 3° Emet des avis sur l'application du code de déontologie à des situations individuelles. / Le collège peut être saisi par le garde des sceaux, ministre de la justice, et par toute autorité de la profession habilitée à prendre les mesures prévues à l'article 6 de l'ordonnance n° 2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels ou à exercer l'action disciplinaire en application de ses articles 8 et 9. / Le collège peut également se saisir d'office (...) ".
3. D'autre part, en vertu de l'article L. 741-2 du code de commerce, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce est l'instance nationale de la profession de greffier de tribunal de commerce, dotée de la personnalité morale et chargée d'assurer la défense de ses intérêts collectifs. Selon le même article, il " prépare un code de déontologie édicté par décret en Conseil d'Etat énonçant les principes et devoirs professionnels permettant le bon exercice des fonctions de greffier des tribunaux de commerce " et " précise par voie de règlement, approuvé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, les règles professionnelles propres à assurer le respect de ce code ".
4. La recommandation contestée, prise en application des dispositions de l'article 2 du décret du 13 avril 2022, citées au point 2, procède à une interprétation du droit positif susceptible de produire des effets notables sur la situation des greffiers qui souhaitent être associés au sein de plusieurs sociétés titulaires d'un office de greffier de tribunal de commerce. Elle est donc susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, dont le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort en application des dispositions du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative.
Sur les moyens de la requête :
5. En premier lieu, en application de l'article liminaire du décret du 13 juillet 2023 relatif au code de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce, le greffier " exerce son activité à titre individuel, en société ou en qualité de greffier salarié, dans le respect des obligations juridiques, fiscales et sociales propres à chaque mode d'exercice ". Au titre de ces obligations figurent les conditions d'exercice de la profession, telles qu'elles sont définies par le code de commerce, notamment son article R. 743-52. Par suite, le collège de déontologie, compétent, en application de l'article 2 du décret du 13 avril 2022, pour formuler toute recommandation utile sur l'application du code de déontologie, n'a pas excédé sa compétence en se prononçant, par la recommandation attaquée, sur l'interprétation de l'article R. 743-52 du code de commerce.
6. En deuxième lieu, d'une part, aucune disposition applicable au collège de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce n'impose que les recommandations qu'il adopte comportent l'ensemble des mentions attestant de leur régularité. D'autre part et en tout état de cause, aux termes de l'article R. 133-10 du code des relations entre le public et l'administration : " Le quorum est atteint lorsque la moitié au moins des membres composant la commission sont présents, y compris les membres prenant part aux débats au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle, ou ont donné mandat ". Aux termes de l'article R. 133-13 du même code : " Le procès-verbal de la réunion de la commission indique le nom et la qualité des membres présents, les questions traitées au cours de la séance et le sens de chacune des délibérations. Il précise, s'il y a lieu, le nom des mandataires et des mandants ". Il résulte des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal de la séance du collège de déontologie des greffiers des tribunaux de commerce du 16 décembre 2022, que le quorum était atteint lors de cette séance, dont le procès-verbal mentionne bien le nom des membres présents. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, eu égard aux éléments avancés par le requérant, les liens allégués entre son associée au sein de la société titulaire de l'office du greffe du tribunal de commerce de Saint-Malo, avec laquelle il était en conflit, et M. F... G..., président du collège de déontologie, et notamment la circonstance que son associée a été juriste salariée de l'office du greffe du tribunal de commerce de Nantes, dont M. G... était greffier associé, pour une courte durée et plusieurs années auparavant, ne peuvent suffire à caractériser un défaut d'impartialité du collège de déontologie dans l'adoption de la recommandation attaquée.
8. En quatrième lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 721-1 du code de commerce : " Les tribunaux de commerce sont des juridictions du premier degré, composées de juges élus et d'un greffier (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 741-1 du même code : " Les greffiers des tribunaux de commerce sont des officiers publics et ministériels ". Aux termes de l'article L. 743-12 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Les greffiers des tribunaux de commerce peuvent exercer leur profession à titre individuel, en qualité de salarié d'une personne physique ou morale titulaire d'un greffe de tribunal de commerce, sous forme de sociétés civiles professionnelles ou sous forme de sociétés d'exercice libéral telles que prévues par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (...) ". Aux termes de l'article R. 742-29 du même code : " Une même personne peut, à sa demande, être nommée greffier de plusieurs tribunaux de commerce dont le siège est situé dans le même ressort de cour d'appel ". Aux termes de l'article R. 743-52 du même code : " Un greffier de tribunal de commerce associé, exerçant au sein d'une société, ne peut exercer la profession de greffier de tribunal de commerce à titre individuel ou en qualité de membre d'une autre société, quelle qu'en soit la forme ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 743-53 du même code : " Chaque greffier de tribunal de commerce associé exerce ses fonctions au nom de la société. Il consacre à la société toute son activité professionnelle et informe les autres greffiers associés de cette activité ".
9. D'autre part, selon le 1° du I de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, alors applicable : " plus de la moitié du capital et des droits de vote des sociétés d'exercice libéral peut aussi être détenue par des personnes, établies en France ou mentionnées au 6° du B du I de l'article 5, exerçant la profession constituant l'objet social de la société ". Selon l'article 12 de la même loi, alors applicable : " Les gérants, le président et les dirigeants de la société par actions simplifiée, le président du conseil d'administration, les membres du directoire, le président du conseil de surveillance et les directeurs généraux ainsi que les deux tiers au moins des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance doivent être des associés exerçant leur profession au sein de la société. (...) / Lorsqu'il est fait application de la possibilité mentionnée au 1° du I de l'article 6, le premier alinéa du présent article n'est pas applicable ".
10. Enfin, en vertu de l'article L. 227-6 du même code, relatif aux sociétés par actions simplifiées : " La société est représentée à l'égard des tiers par un président désigné dans les conditions prévues par les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social. / Dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du président qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve. / Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article. (...) "
11. Il résulte de ce qui précède que les conditions d'exercice particulières à la profession de greffier de tribunal de commerce, officier public et ministériel, en particulier celles prévues aux articles L. 743-12, R. 743-52 et R. 743-53 du code de commerce, autorisent l'exercice sous forme de sociétés, mais excluent qu'un greffier de tribunal de commerce associé, exerçant au sein d'une société, puisse exercer la profession de greffier de tribunal de commerce à titre individuel ou en qualité de membre d'une autre société dans le ressort d'une autre cour d'appel et exigent qu'un greffier associé exerçant ses fonctions au sein d'une société consacre à celle-ci toute son activité professionnelle. Les dispositions générales de la loi du 31 décembre 1990 applicables à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, qui n'imposent pas que le directeur général d'une société d'exercice libéral par actions simplifiée soit un associé exerçant sa profession au sein de cette société, dès lors qu'il en détient plus de la moitié du capital et des droits de vote, ne peuvent avoir pour effet de remettre en cause ces conditions d'exercice particulières à la profession de greffier de tribunal de commerce. Par suite, en estimant que les dispositions des articles R. 743-52 et R. 743-53 du code de commerce faisaient obstacle à ce qu'un greffier associé, exerçant au sein d'une société titulaire d'un office de greffier de tribunal de commerce, puisse être en même temps directeur général d'une société d'exercice libéral par actions simplifiée titulaire d'un autre office, dans le ressort d'une autre cour d'appel, eu égard au large pouvoir de direction attribué au directeur général dans une société par actions simplifiée pour agir au nom de celle-ci, lequel implique l'exercice, au moins partiel, de la profession de greffier dans cette société, et à la charge de travail que supposent de telles fonctions, le collège de déontologie n'a méconnu ni le sens ni la portée des dispositions précitées du code de commerce et n'a, dès lors, pas commis d'erreur de droit.
12. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la recommandation attaquée méconnaîtrait le principe de la liberté d'entreprendre n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la recommandation qu'il attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... D..., au conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Roze Noguelou, M. Bruno Delsol, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes conseillers d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 29 novembre 2024
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Bachschmidt
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana