Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° Y 21-22.162 du 6 juin 2024, enregistré le 11 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a sursis à statuer sur le litige opposant M. A... B... à la caisse primaire d'assurance maladie des Deux-Sèvres, concernant la suspension du versement des indemnités journalières durant un séjour professionnel à l'étranger, jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la légalité du neuvième alinéa de l'article 37 du règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations, annexé à l'arrêté du 19 juin 1947, au regard de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure civile ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament, Robillot, avocat de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui bénéficiait d'un temps partiel pour motif thérapeutique indemnisé par la caisse primaire d'assurance maladie des Deux-Sèvres, s'est vu refuser le versement d'indemnités journalières pendant la période du 6 juillet au 31 août 2019, au cours de laquelle il était en déplacement professionnel, au motif qu'il n'avait pas obtenu l'autorisation préalable de la caisse pour cette sortie de la circonscription. M. B... s'étant pourvu en cassation contre le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal judiciaire de Niort dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie des Deux-Sèvres, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, par un arrêt du 6 juin 2024, sursis à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la légalité du neuvième alinéa de l'article 37 du règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations, annexé à l'arrêté interministériel du 19 juin 1947, au regard de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale.
Sur la recevabilité des conclusions et moyens présentés par M. B... :
2. Il n'appartient pas à la juridiction administrative, saisie sur renvoi préjudiciel ordonné par l'autorité judiciaire, de trancher des questions autres que celles qui ont été renvoyées par cette autorité. En l'espèce, il ressort des énonciations de l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation que celle-ci a entendu surseoir à statuer seulement jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la légalité du neuvième alinéa de l'article 37 du règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations, annexé à l'arrêté du 19 juin 1947, au regard de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale. Par suite, les moyens soulevés par M. B... qui excèdent la portée de la question renvoyée sont irrecevables. M. B... ne peut pas non plus utilement soutenir que les dispositions en litige ne seraient pas applicables à la situation, qui est celle du litige qui l'oppose à la caisse primaire d'assurance maladie des Deux-Sèvres, d'un salarié en temps partiel pour motif thérapeutique, dès lors qu'il revient au seul juge judiciaire, faisant application de l'article 49 du code de procédure civile, de déterminer si la solution du litige dont il est saisi dépend de la question qu'il transmet à la juridiction administrative.
Sur la légalité des dispositions soumises au Conseil d'Etat :
3. D'une part, l'article L. 217-1 du code de la sécurité sociale dispose que toute caisse primaire d'assurance maladie élabore un règlement intérieur, soumis par l'article L. 281-4 du même code à l'approbation préalable de l'autorité compétente de l'Etat, opposable aux assurés lorsqu'il a été porté à leur connaissance et relatif aux formalités que doivent remplir les intéressés pour bénéficier des prestations de l'assurance maladie. En vertu de l'article L. 281-5 du même code, l'autorité compétente de l'Etat, dont l'article R. 281-6 de ce code précise qu'il s'agit du ministre chargé de la sécurité sociale, arrête, après avis du conseil de la Caisse nationale de l'assurance maladie, le modèle de ce règlement intérieur, comportant des dispositions obligatoires et des dispositions facultatives, les dispositions obligatoires du règlement intérieur modèle étant applicables dès leur publication.
4. L'article 1er de l'arrêté du 19 juin 1947 fixant le règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations prévoit à ce titre que : " Le règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations des assurances maladie, maternité et décès (...) est fixé conformément au règlement annexé au présent arrêté ". Selon l'article 2 de cet arrêté : " Toutes les dispositions dudit règlement intérieur modèle sont obligatoires, sauf celles qui sont prévues aux articles 27, 62 et 71 ". Au sein de cette annexe, les articles 37 à 41 constituent le " règlement des malades ". L'article 37 de l'annexe à cet arrêté est ainsi rédigé : " L'assuré ne doit demander la visite du praticien que s'il est dans l'impossibilité de se déplacer. Les visites de nuit et du dimanche ne doivent être demandées qu'en cas d'urgence. / Les frais payés par les malades pour se rendre au domicile du praticien sont exclusivement à leur charge. / Les malades sont tenus d'observer rigoureusement les prescriptions du praticien, notamment le repos au lit et à la chambre s'il a été ordonné. / Les malades ne doivent quitter leur domicile que si le praticien le prescrit dans un but thérapeutique. Les heures de sortie autorisées sont inscrites par le praticien sur la feuille de maladie. Elles doivent être comprises entre 10 heures et 12 heures le matin et entre 16 heures et 18 heures l'après-midi sauf justification médicale circonstanciée du médecin traitant et sous réserve de l'appréciation du contrôle médical. / Si, au cours d'une visite de contrôle d'un assuré malade, celui-ci n'est pas présent à son domicile, en dehors des heures de sortie autorisées, l'assuré est convoqué devant le contrôle médical dans les 8 jours qui suivent le passage de l'agent à son domicile. / En cas de reprise anticipée du travail de la part d'un assuré malade avant l'expiration de la durée de son congé, l'assuré doit en avertir la caisse dans les 24 heures. / Les médicaments et remèdes seront employés suivant les indications données par le praticien. Les médicaments ne doivent être demandés la nuit aux pharmaciens qu'en cas d'urgence justifiée et constatée (par une visite médicale de nuit), sauf le cas où, pour des raisons impérieuses, et par suite de l'éloignement du domicile du malade du lieu de l'officine, l'achat ne peut être effectué que de nuit. / L'assuré malade ne doit se livrer à aucun travail rémunéré ou non, sauf autorisation du médecin traitant. / Durant la maladie, le malade ne doit pas quitter la circonscription de la section ou du correspondant de la caisse à laquelle il est rattaché, sans autorisation préalable de la caisse. La caisse peut autoriser le déplacement du malade, pour une durée indéterminée, si le médecin traitant l'ordonne dans un but thérapeutique ou par convenance personnelle justifiée du malade et après avis du médecin conseil. / Le malade dont l'envoi en convalescence est jugé nécessaire par le praticien traitant doit en aviser la caisse avant son départ et attendre l'autorisation de celle-ci. Il doit, pendant la durée de la convalescence, se soumettre au contrôle dans les conditions fixées par la caisse. / En cas d'hospitalisation, le malade doit se soumettre aux prescriptions des médecins et au règlement de l'établissement. / Lorsque l'assuré tombe malade hors de la circonscription de la caisse qui assure normalement à son profit le service des prestations, il doit, dans les 48 heures, en aviser la caisse à laquelle il demande le service des prestations. / La caisse doit remettre à l'assuré sur sa demande, à l'occasion de la délivrance de la feuille de maladie, une notice lui énonçant les formalités auxquelles il doit se soumettre pour l'obtention des prestations et les déchéances qu'il peut encourir ". L'article 41 du même règlement intérieur prévoit par ailleurs qu'" aucun bénéficiaire de l'assurance maladie ne peut se soustraire aux divers contrôles. En cas de refus, les prestations, tant en argent qu'en nature, sont suspendues pour la période pendant laquelle le contrôle aura été rendu impossible et notification en est donnée à l'assuré. / L'assuré qui aurait volontairement enfreint le règlement des malades ou les prescriptions du médecin traitant, le conseil d'administration de la caisse ou un comité délégué par lui et composé d'administrateurs de la caisse peut retenir, à titre de pénalité, tout ou partie des indemnités journalières dues. / Dans tous les cas d'abus, la caisse poursuit le remboursement des frais inutiles ".
5. D'autre part, en vertu de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Le service de l'indemnité journalière est subordonné à l'obligation pour le bénéficiaire : / 1° D'observer les prescriptions du praticien ; / 2° De se soumettre aux contrôles organisés par le service du contrôle médical prévus à l'article L. 315-2 ; / 3° De respecter les heures de sorties autorisées par le praticien selon des règles et des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat après avis de la Haute Autorité de santé ; / 4° De s'abstenir de toute activité non autorisée ; / 5° D'informer sans délai la caisse de toute reprise d'activité intervenant avant l'écoulement du délai de l'arrêt de travail. / En cas d'inobservation volontaire de ces obligations, le bénéficiaire restitue à la caisse les indemnités versées correspondantes, dans les conditions prévues à l'article L. 133-4-1. / En outre, si l'activité mentionnée au 4° a donné lieu à des revenus d'activité, il peut être prononcé une sanction financière dans les conditions prévues à l'article L. 114-17-1 ". Selon l'article R. 323-11-1 du même code, pris pour son application, dans sa rédaction alors applicable : " Le praticien indique sur l'arrêt de travail : / - soit que les sorties ne sont pas autorisées ; / - soit qu'elles le sont. Dans ce cas, l'assuré doit rester présent à son domicile de 9 h à 11 h et de 14 h à 16 h, sauf en cas de soins ou d'examens médicaux. Toutefois, le praticien peut, par dérogation à cette disposition, autoriser les sorties libres. Dans ce cas, il porte sur l'arrêt de travail les éléments d'ordre médical le justifiant ".
6. Il résulte des dispositions de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale qu'elles ne soumettent les sorties de l'assuré qu'au respect des heures de sorties autorisées par le praticien, selon les règles et modalités précisées à l'article R. 323-11-1 de ce code, qu'il lui revient d'indiquer sur l'arrêt de travail, sous réserve par ailleurs pour le bénéficiaire de se conformer aux autres obligations résultant pour lui de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale, parmi lesquelles celles de se soumettre aux contrôles organisés le cas échéant par le service du contrôle médical et d'informer sans délai la caisse de toute reprise d'activité intervenant avant l'écoulement du délai de l'arrêt de travail. Si ces dispositions, qui définissent de façon limitative les obligations du bénéficiaire des indemnités journalières, imposent qu'un déplacement du malade, autre qu'une sortie de son domicile, le conduisant à résider momentanément à une autre adresse, soit opéré dans des conditions lui permettant de continuer à satisfaire à l'ensemble de ces obligations, notamment celle de se soumettre aux contrôles organisés par le service du contrôle médical, elles ne permettent pas que le déplacement du malade hors de la circonscription à laquelle il est rattaché soit soumis à une autorisation de la caisse.
7. Par suite, le neuvième alinéa de l'article 37 du règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie ne pouvait légalement, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale, et alors qu'aucune autre base légale ne le lui permet, imposer une telle autorisation. Ainsi, il y a lieu de déclarer que le neuvième alinéa de l'article 37 du règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations, annexé à l'arrêté du 19 juin 1947, est, pour ce motif, entaché d'illégalité.
D E C I D E :
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Article 1er : Il est déclaré que le neuvième alinéa de l'article 37 du règlement intérieur modèle provisoire des caisses primaires d'assurance maladie pour le service des prestations, annexé à l'arrêté du 19 juin 1947, est entaché d'illégalité.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Deux-Sèvres et à la présidente de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
Copie en sera adressée à la ministre de la santé et de l'accès aux soins et à la Caisse nationale de l'assurance maladie.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 novembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray et Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 28 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber