Vu la procédure suivante :
La société du Dr A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 septembre 2018 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté son recours formé contre la décision du 15 mars 2018 du conseil départemental de Saône-et-Loire de l'ordre des médecins refusant sa demande d'exercice sur un site distinct de sa résidence professionnelle habituelle, ainsi que ladite décision du 15 mars 2018 du conseil départemental de Saône-et-Loire de l'ordre des médecins, et, d'autre part, de l'autoriser à exercer sur le site de la société Laser Vision Bourgogne à Chalon-sur-Saône. Par un jugement n° 1803243 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21LY00539 du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société du Dr A... B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 août et 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société du Dr A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de la société du Dr A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société du Dr A... B..., spécialisée en ophtalmologie et établie à Chalon-sur-Saône, a demandé au conseil départemental de Saône-et-Loire de l'ordre des médecins l'autorisation d'exercer sur un site distinct de sa résidence professionnelle habituelle en vue d'exercer une activité de chirurgie réfractive par laser Excimer au sein du centre exploité par la société Laser Vision Bourgogne à Chalon-sur-Saône. Par une décision du 15 mars 2018, le conseil départemental de l'ordre des médecins s'est opposé à cette demande. Par une décision du 27 septembre 2018, le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) a rejeté le recours qu'elle a formé contre cette décision. Par un jugement du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions. La société du Dr A... B... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon rejetant l'appel qu'elle a formé contre ce jugement. Eu égard au moyen qu'elle présente, elle doit être regardée comme demandant l'annulation de cet arrêt qu'en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation du jugement litigieux en ce qu'il rejette sa demande dirigée contre la décision du CNOM.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 4113-23 du code la santé publique, dans sa version applicable au présent litige : " I. - Le lieu habituel d'exercice d'une société d'exercice libéral de médecins est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle elle est inscrite au tableau de l'ordre. / Toutefois, dans l'intérêt de la population, la société peut être autorisée à exercer son activité sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle : / 1° Lorsqu'il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l'offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins ; ou / 2° Lorsque les investigations et les soins à entreprendre nécessitent un environnement adapté, l'utilisation d'équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants. / La société prend toutes dispositions pour que soient assurées sur l'ensemble des sites d'exercice la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins. / II. - La demande d'ouverture d'un site distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l'activité envisagée. (...) / Le conseil départemental saisi se prononce, par une décision motivée, dans un délai de trois mois à compter de la réception du dossier de demande complet. (...) / (...) / IV. - Les recours contentieux formés devant le tribunal administratif territorialement compétent contre les décisions de refus, de retrait ou d'abrogation d'autorisation ainsi que ceux dirigés contre les décisions d'autorisation ne sont recevables qu'à la condition d'avoir été précédés d'un recours administratif devant le Conseil national de l'ordre des médecins. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6122-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige : " Sont soumis à l'autorisation de l'agence régionale de santé les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation ou d'hospitalisation à domicile, et l'installation des équipements matériels lourds. / La liste des activités de soins et des équipements matériels lourds soumis à autorisation est fixée par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article L. 6122-3 du même code : " L'autorisation ne peut être accordée qu'à : / 1° Un ou plusieurs médecins, éventuellement associés pour leur exercice professionnel ou pour la mise en commun de moyens nécessaires à cet exercice ; / 2° Un établissement de santé ; / 3° Une personne morale dont l'objet porte, notamment, sur l'exploitation d'un établissement de santé, d'une activité de soins (...) ". Aux termes de l'article R. 6122-25 de ce code, dans sa version applicable au litige : " Sont soumises à l'autorisation prévue à l'article L. 6122-1 les activités de soins, y compris lorsqu'elles sont exercées sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation, énumérées ci-après : / 1° Médecine ; / 2° Chirurgie ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 6121-4 du même code : " Les alternatives à l'hospitalisation mentionnées à l'article L. 6121-2 ont pour objet d'éviter une hospitalisation à temps complet ou d'en diminuer la durée. Les prestations ainsi dispensées se distinguent de celles qui sont délivrées lors de consultations ou de visites à domicile. / Ces alternatives comprennent les activités de soins dispensées par : / (...) / 2° Les structures pratiquant l'anesthésie ou la chirurgie ambulatoires. / (...) / Dans les structures pratiquant l'anesthésie ou la chirurgie ambulatoires sont mis en œuvre, dans des conditions qui autorisent le patient à rejoindre sa résidence le jour même, des actes médicaux ou chirurgicaux nécessitant une anesthésie ou le recours à un secteur opératoire ".
4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que le législateur a entendu soumettre à autorisation non seulement la création des établissements de santé et l'installation de certains équipements matériels lourds, définis par l'article L. 6122-14 du code de la santé publique, mais aussi la création, la conversion et le regroupement des activités de soins ayant vocation, compte tenu des moyens qu'elles nécessitent, à faire l'objet d'une prise en charge hospitalière, y compris lorsqu'elles sont exercées sous la forme d'alternatives à l'hospitalisation ou d'hospitalisation à domicile, pour favoriser une meilleure réponse aux besoins de santé de la population et veiller à la qualité et à la sécurité des soins offerts. Sont ainsi soumis à autorisation les actes chirurgicaux qui, se distinguant des prestations délivrées lors de consultations ou de visites à domicile, nécessitent une anesthésie au sens de l'article D. 6124-91 du même code ou le recours à un secteur opératoire, lequel doit être conforme à des caractéristiques fixées par arrêté du ministre chargé de la santé en vertu de l'article D. 6124-302 de ce code, prévoyant notamment une zone opératoire protégée propre à garantir la réduction maximale des risques de nature infectieuse.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en l'état des données acquises de la science et des techniques utilisées, les interventions de chirurgie réfractive réalisées directement sur la cornée par le recours à des techniques de laser, dites extra oculaires par différence avec les interventions dites intra oculaires réalisées notamment sur le cristallin, si elles doivent répondre à des conditions d'hygiène et d'asepsie permettant de maîtriser le risque infectieux, n'impliquent pas, eu égard à la nature superficielle de l'effraction sur la cornée et à sa durée très courte, le recours à un secteur opératoire et ne nécessitent pas le recours à une anesthésie justifiant l'application des dispositions de l'article D. 6124-91 du code de la santé publique. Il s'ensuit qu'en jugeant que l'activité de chirurgie réfractive par laser à excimère qu'entendait exercer la société du Dr A... B... sur un site distinct constituait une activité de chirurgie ambulatoire soumise à autorisation en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique, de sorte que la demande de la société, qui ne disposait pas d'une telle autorisation, tendant à être autorisée à l'exercer sur un site distinct ne pouvait qu'être rejetée, la cour a inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède que la société du Dr A... B... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 22 décembre 2020 en tant que celui-ci a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 27 septembre 2018 du Conseil national de l'ordre des médecins.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Ainsi qu'il a été dit au point 5, les interventions de chirurgie réfractive litigieuses ne relèvent pas des activités de chirurgie soumises à autorisation de l'agence régionale de santé en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête d'appel, la société du Dr A... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 27 septembre 2018 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a rejeté son recours formé contre la décision du 15 mars 2018 du conseil départemental de Saône-et-Loire de l'ordre des médecins refusant de l'autoriser à exercer sur un site distinct de sa résidence professionnelle habituelle au motif qu'elle ne disposait pas d'une autorisation lui permettant d'exercer la chirurgie réfractive de l'œil par laser.
9. Dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Dijon du 22 décembre 2020 dans cette mesure et la décision du Conseil national de l'ordre des médecins du 27 septembre 2018.
10. Il n'y a pas lieu, en revanche, de statuer sur les conclusions de la société du Dr A... B... présentées à fin d'injonction dès lors qu'il résulte de l'instruction que cette société a transféré son siège social et son lieu d'exercice à l'adresse initialement sollicitée pour un exercice en site distinct, transfert dont le conseil départemental de Saône-et-Loire de l'ordre des médecins a pris acte au cours de sa séance plénière du 17 janvier 2019.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros à verser à la société du Dr A... B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société du Dr A... B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 30 juin 2022 et le jugement du tribunal administratif de Dijon du 22 décembre 2020 sont annulés en tant qu'ils rejettent les conclusions de la société du Dr A... B... afférentes à la décision du Conseil national de l'ordre des médecins du 27 septembre 2018 tendant à l'annulation, d'une part, de ce jugement en tant qu'il rejette ces conclusions, d'autre part de cette décision.
Article 2 : La décision du Conseil national de l'ordre des médecins du 27 septembre 2018 est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société du Dr A... B... est rejeté.
Article 4 : Le Conseil national de l'ordre des médecins versera à la société du Dr A... B... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Lyon et le tribunal administratif de Dijon par le Conseil national de l'ordre des médecins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société du Dr A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.
Copie en sera adressée au conseil départemental de Saône-et-Loire de l'ordre des médecins et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 octobre 2024 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillère d'Etat et M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 27 novembre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Fradel
Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune