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26/11/2024 | FRANCE | N°492196

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 26 novembre 2024, 492196


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 28 février, 28 mai et 23 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 11 janvier 2024 rapportant le décret du 11 mai 2021 lui accordant la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de j

ustice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :
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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 28 février, 28 mai et 23 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 11 janvier 2024 rapportant le décret du 11 mai 2021 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant guinéen, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture d'Indre-et-Loire le 9 janvier 2019, par laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant. Il a été naturalisé par décret le 11 mai 2021. Par un bordereau du 26 janvier 2022, la préfecture d'Indre et Loire a informé le ministre chargé des naturalisations que M. B... avait deux enfants nés avant sa naturalisation, C... B... née le 15 décembre 2015 et D... B... née le 25 octobre 2018, toutes deux à Dixin, Conakry (Guinée). Par décret du 11 janvier 2024, le Premier ministre a rapporté le décret du 11 mai 2021 prononçant la naturalisation de M. B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, un décret rapportant un décret de naturalisation doit respecter la procédure énoncée aux articles 59 et 62 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. Conformément à ces dispositions, l'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification de l'engagement de la procédure de retrait pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. Ces observations doivent être portées par le ministre à la connaissance du Conseil d'Etat, avant que celui-ci se prononce par avis conforme. Les visas du décret attaqué font mention des observations en défense de M. B..., produites le 5 octobre 2023, soit antérieurement à l'avis du Conseil d'Etat, rendu le 18 décembre 2023. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressée à la date du décret lui accordant la nationalité française.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... n'a pas mentionné, lors du dépôt de sa demande de naturalisation le 9 janvier 2019, l'existence de ses deux filles C... B... née le 15 décembre 2015 et D... B... née le 25 octobre 2018 toutes deux à Dixin, Conakry (Guinée). Interrogé sur ses liens avec son pays d'origine lors de son entretien d'assimilation le 2 septembre 2019, M. B... n'a pas non plus évoqué ses deux filles nées en Guinée. Ces enfants, nés avant sa demande de naturalisation, auraient dû être portés à la connaissance des services instruisant sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de cette demande. S'il soutient être de bonne foi et avoir transmis en même temps que sa demande de naturalisation, les actes de naissance de ses deux filles nées en Guinée, il n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation. L'intéressé, dont la maîtrise la langue française est attestée par le compte-rendu de l'entretien d'assimilation du 2 septembre 2019 ainsi que par le fait qu'il réside en France depuis le 9 août 2013, qu'il y a fait ses études et qu'il y travaille, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'il a signé. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. En quatrième lieu, le décret attaqué se fonde sur le fait que la réalité de la situation familiale de M. B..., si elle avait été portée à la connaissance des services instructeurs, était de nature à modifier l'appréciation de la condition de résidence prévue à l'article 21-16 du code civil. La circonstance selon laquelle M. B... remplissait la condition de résidence à la date du décret de naturalisation est sans incidence sur la légalité du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de la violation combinée des articles 27-2 et 21-16 du code civil ne peut qu'être écarté.

7. En cinquième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27-2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé a obtenu la nationalité française par mensonge ou fraude. Ces dispositions ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union. Si M. B... soutient qu'il aurait perdu la nationalité guinéenne par jugement du tribunal de Conakry daté du 9 février 2024, à l'issue de la procédure de renonciation à cette nationalité, d'une part, cette procédure a été engagée à sa demande le 4 juillet 2023 postérieurement à la date à laquelle l'administration a sollicité en vain des précisions sur sa situation familiale, d'autre part, M. B... n'établit pas être dans l'impossibilité de recouvrer la nationalité guinéenne. Par suite, le Premier ministre a pu légalement prendre le décret attaqué en faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

8. En dernier lieu, les dispositions de l'article 27-2 du code civil, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union européenne, permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle le décret attaqué est intervenu et aux motifs qui le fondent, au Premier ministre, qui a procédé au contrôle de proportionnalité exigé par le droit de l'Union européenne, de rapporter légalement le décret accordant à M. B... la nationalité française.

9. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 11 janvier 2024 par lequel le Premier ministre rapporte le décret du 11 mai 2021. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 novembre 2024 où siégeaient : M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 26 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Jean-Yves Ollier

La rapporteure :

Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 492196
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 nov. 2024, n° 492196
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Caroline de Margerie
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492196.20241126
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