Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire additionnel, enregistrés les 26 février, 12 avril et 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 décembre 2023 portant déchéance de sa nationalité française ;
2°) d'enjoindre que lui soit remis sa carte d'identité et son passeport restitués à l'administration à compter de la notification de la décision à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code pénal ;
- la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boucard-Maman, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.
2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.
3. Par un décret du 26 décembre 2023 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, M. A... a été déchu de la nationalité après avoir été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 30 novembre 2017 pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal.
4. En premier lieu, aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".
5. Après avoir cité les textes applicables, le décret énonce que M. A..., qui a acquis la nationalité française le 24 octobre 2007, a été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 30 novembre 2017 à une peine de sept ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté de moitié, pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme de courant 2014 au 25 novembre 2014. Le décret contesté indique ensuite, après avoir relevé qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait perdu sa nationalité sénégalaise, ni par suite, que la déchéance de nationalité française aurait pour effet de le rendre apatride, que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant et aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 19-3 du code civil : " Est français l'enfant né en France lorsque l'un de ses parents au moins y est lui-même né. " L'article 23 de la loi du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la nationalité française et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " Les articles 23 et 24 du code de la nationalité sont applicables à l'enfant né en France avant le 1er janvier 1994 d'un parent né sur le territoire qui avait, au moment de la naissance de ce parent, le statut de colonie ou de territoire d'outre-mer de la République française ". M. A... étant né le 14 septembre 1994 ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de ce qu'étant né Français, il ne pouvait être déchu de sa nationalité sur le fondement des dispositions de l'article 25 du code civil ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... est né de parents sénégalais. La seule circonstance qu'il ne disposerait pas de documents d'identité sénégalais et ne figurerait pas dans les registres de l'état civil du Sénégal ne permet pas d'établir qu'il ne possède pas la nationalité de ce pays. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué l'a rendu apatride, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 25 du code civil et du droit de l'Union européenne, doit être écarté.
8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné aux peines mentionnées précédemment pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. A... est parti en Turquie le 27 février 2014 afin de rejoindre la Syrie et qu'il a activement participé aux combats dans les rangs du groupe djihadiste Jaysh Mohamed. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française n'a pas revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère disproportionné, sans que le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits ne permette de remettre en cause cette appréciation.
9. En dernier lieu, un décret portant déchéance de la nationalité française affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.