Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'octroi du plafond réglementaire puis du montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police nationale, d'autre part, d'annuler les arrêtés des 5 mai 2017 et 4 mai 2018 par lesquels le ministre de l'intérieur a fixé la liste des postes de chef de circonscription de sécurité publique et de chef de service ou d'unité organique bénéficiant de ce montant forfaitaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de modifier les arrêtés des 5 mai 2017 et 4 mai 2018 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 706 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'absence de versement de l'indemnité sollicitée, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2019.
Par un jugement n° 1903486 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21NC01142 du 10 octobre 2023, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le même jour, la cour administrative d'appel de Nancy, sur l'appel de M. A..., a annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en tant que celui-ci a rejeté ses conclusions indemnitaires, et, en application des dispositions de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, transmis au Conseil d'Etat la requête de M. A... dans cette mesure.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par cette demande, et par un nouveau mémoire, enregistré le 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 206 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison du refus illégal du ministre de l'intérieur de le rendre éligible au plafond règlementaire puis au montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance, du 1er mars 2017 au 31 mars 2019, avec intérêts au taux légal à compter du 7 septembre 2018 et capitalisation des intérêts ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2013-1144 du 11 décembre 2013 modifié ;
- l'arrêté du 5 mai 2017 fixant la liste des postes de chef de circonscription de sécurité publique et de chef de service ou d'unité organique bénéficiant du montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police nationale ;
- l'arrêté du 4 mai 2018 fixant la liste des postes de chef de circonscription de sécurité publique et de chef de service ou d'unité organique bénéficiant du montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police nationale ;
- l'arrêté du 6 avril 2019 fixant la liste des postes de chef de circonscription de sécurité publique et de chef de service ou d'unité organique bénéficiant du montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police nationale
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., commandant divisionnaire, qui exerce depuis le 1er mars 2017 les fonctions de chef du groupe d'intervention régional (GIR) de Lorraine, a, par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 6 mai 2019, demandé, à titre principal, d'une part, l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés ministériels des 5 mai 2017 et 4 mai 2018 par lesquels le ministre de l'intérieur avait fixé, en application de l'article 4 du décret du 11 décembre 2013, la liste des postes de chef de circonscription de sécurité publique et de chef de service ou d'unité organique bénéficiant du montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police nationale, et d'autre part, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 14 706 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis pour n'avoir pas pu percevoir cette indemnité. Par un jugement du 26 février 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes comme manifestement irrecevables car tardives. Sur appel de M. A..., la cour administrative d'appel de Nancy, a, par un arrêt du 10 octobre 2023, annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions indemnitaires et, transmis son recours, dans cette mesure, au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 341-1 du code de justice administrative. M. A... a porté ses conclusions indemnitaires à la somme de 17 206 euros.
Sur la légalité de la non inscription du poste de chef du GIR de Lorraine sur la liste des postes ouvrant droit au plafond règlementaire puis au montant forfaitaire de l'indemnité de responsabilité et de performance :
2. Aux termes de l'article 1er du décret du 11 décembre 2013 portant création d'une indemnité de responsabilité et de performance allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police : " En raison des responsabilités particulières qu'ils assument et des contraintes inhérentes à leurs fonctions ainsi que des résultats qu'ils obtiennent, une indemnité de responsabilité et de performance est allouée aux fonctionnaires du corps de commandement de la police nationale (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret en vigueur entre le 14 décembre 2013 et le 1er avril 2017 : " Les responsabilités particulières inhérentes aux postes de chef de circonscription de sécurité publique ou de certains services ou unités organiques ouvrent, pour leurs titulaires, le bénéfice du plafond réglementaire de leur part fonctionnelle. (...) Un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique fixe le nombre de postes concernés. Dans la limite de ce contingent, un arrêté du ministre de l'intérieur en fixe la liste ". Aux termes de ce même article 4, dans ses dispositions issues du décret n° 2017-454 du 30 mars 2017, en vigueur depuis le 1er avril 2017 : " (...) les responsabilités particulières inhérentes aux postes de chef de circonscription de sécurité publique ou de certains services ou unités organiques ouvrent, pour leurs titulaires, le bénéfice d'un montant forfaitaire, indépendant du grade du titulaire du poste, fixé par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique.(...) Un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique fixe le nombre de postes concernés. Dans la limite de ce contingent, un arrêté du ministre de l'intérieur en fixe la liste ". Par plusieurs arrêtés successifs, dont en particulier un arrêté du 5 mai 2017, un arrêté du 4 mai 2018 et un arrêté du 6 avril 2019, le ministre de l'intérieur a fixé la liste des postes concernés par le versement, jusqu'au 31 mars 2017, du plafond règlementaire de l'indemnité de responsabilité et de performance puis, à partir du 1er avril 2017, du montant forfaitaire de cette même indemnité, attribués pour les postes impliquant des responsabilités particulières.
3. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
4. M. A... soutient que le ministre de l'intérieur a méconnu le principe d'égalité entre agents publics d'un même corps en excluant le poste de chef du GIR de Lorraine de la liste des postes ouvrant droit au plafond règlementaire puis au montant forfaitaire de l'indemnité de responsabilité et de performance instituée par le décret du 11 décembre 2013, alors que tous les autres postes de chef d'un GIR occupés par un membre du corps de commandement de la police y ont figuré à la suite de l'arrêté du 4 mai 2018, que ce poste présente l'un des taux d'encadrement les plus importants parmi les GIR et que ni son assise territoriale ni ses liens avec les autorités administratives et judiciaires ne le différencient des autres services de même nature. A l'appui de son argumentation, il produit notamment une analyse du médiateur de la police nationale dont il ressort qu'aucune particularité ou élément organisationnel propre aux GIR inscrits sur la liste ne confèrent à leurs responsables une plus grande autorité ou autonomie opérationnelle que le GIR de Lorraine. Le ministre de l'intérieur, qui se borne à indiquer que l'ouverture progressive des postes de chef d'un GIR au bénéfice du plafond règlementaire puis du montant forfaitaire de la part fonctionnelle de l'indemnité de responsabilité et de performance a été déterminée pour des motifs budgétaires, n'a pas précisé les raisons pour lesquelles, au regard des critères retenus pour déterminer les postes inscrits sur la liste, il avait écarté le poste de chef du GIR de Lorraine, tout en retenant les postes analogues situés dans d'autres territoires, jusqu'à la modification opérée par l'arrêté du 6 avril 2019. Par suite, M. A... est fondé soutenir que la non inscription du poste de chef du GIR de Lorraine sur la liste des postes permettant de prétendre au plafond règlementaire puis au montant forfaitaire de l'indemnité de responsabilité et de performance instituée par le décret du 11 décembre 2013, est entachée d'une illégalité et que cette illégalité engage la responsabilité de l'Etat à son égard.
Sur les préjudices :
5. En premier lieu, il est constant que M. A... a ainsi subi, entre le 1er mars 2017 et le 1er avril 2019, une perte de rémunération égale à 11 095 euros, déduction faite des indemnités de permanence et de " l'astreinte spécifique mensuelle " perçues pendant cette période, dont il n'est pas contesté qu'elles ne sont pas cumulables avec l'indemnité litigieuse.
6. En deuxième lieu, M. A... soutient qu'il doit être tenu compte de l'incidence fiscale qu'il va subir, dans la mesure où les sommes dues au titre de l'année 2018, s'il les avait régulièrement perçues au cours de cette année, n'auraient pas dû être imposées, à la faveur de la mise en place du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, au titre de l'année 2019. Toutefois, le requérant, qui ne justifie notamment pas de son taux marginal d'imposition, n'apporte, en tout état de cause, pas les précisions suffisantes pour établir l'existence d'un préjudice.
7. Enfin, en raison des démarches qu'il a dû entreprendre pour recouvrer les sommes litigieuses et de l'absence de réponse de son administration à ses alertes réitérées, M. A... a subi, à tout le moins, des troubles dans ses conditions d'existence dont il sera fait une juste appréciation en lui attribuant, à ce titre, une somme de 500 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
8. Il n'y a lieu de faire droit à la demande de M. A... s'agissant du versement des intérêts au taux légal qu'à compter du 7 janvier 2019, date à laquelle l'administration a reçu sa demande s'agissant du paiement du principal, et uniquement pour les sommes qui lui étaient dues avant cette date. Il y a, par ailleurs, lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts à compter du 7 janvier 2020, date à compter de laquelle il était dû une année d'intérêts.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour la présente instance ainsi que pour les instances devant le tribunal administratif de Strasbourg et la cour administrative d'appel de Nancy.
D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. A... la somme de 11 595 euros, la fraction de cette somme due au 7 janvier 2019 portant intérêt au taux légal à compter de cette date. Les intérêts échus le 7 janvier 2020 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 novembre 2024 où siégeaient : Mme Laurence Helmlinger, assesseure, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 26 novembre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Laurence Helmlinger
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet