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18/11/2024 | FRANCE | N°488614

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 18 novembre 2024, 488614


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 488614, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 septembre et 28 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AF... BU..., M. BD... AR..., M. B... AW..., M. BA... E..., M. C... T..., Mme I... P..., M. D... AC..., M. BV... BK..., M. G... AH..., M. R... BX..., M. CB... AJ..., M. AE... J..., M. U... BQ..., M. CC... F..., M. BB... AB..., M. Z... AS..., M. BM... N..., M. BJ... AG..., M. AV... AZ..., M. BE... BR..., M. AA... L..., Mme CE... AN..., M. W... AM..., M.

BW... BN..., M. AQ... AK..., M. AU... Y..., M. BY... BT..., M. CD......

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 488614, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 septembre et 28 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. AF... BU..., M. BD... AR..., M. B... AW..., M. BA... E..., M. C... T..., Mme I... P..., M. D... AC..., M. BV... BK..., M. G... AH..., M. R... BX..., M. CB... AJ..., M. AE... J..., M. U... BQ..., M. CC... F..., M. BB... AB..., M. Z... AS..., M. BM... N..., M. BJ... AG..., M. AV... AZ..., M. BE... BR..., M. AA... L..., Mme CE... AN..., M. W... AM..., M. BW... BN..., M. AQ... AK..., M. AU... Y..., M. BY... BT..., M. CD... BI..., M. H... AY..., M. AL... AO..., M. D... BC..., M. BO... CA..., M. X... BH..., Mme Q... AP..., M. S... AI..., M. Z... AD..., M. BZ... BG..., M. BF... V..., M. O... AT..., M. D... K..., M. BS... BP... et M. BL... M... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-676 du 28 juillet 2023 modifiant le statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 500 euros à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 488685, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 octobre 2023 et 26 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... AX... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre les mesures transitoires permettant de pallier la suppression du grade de brigadier de police ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 ;

- le décret n°2020-1427 du 20 novembre 2020 ;

- le décret n° 2023-680 du 28 juillet 2023 ;

- l'arrêté du 15 décembre 2021 fixant les règles d'organisation générale, la nature et le programme des épreuves des examens professionnels pour l'avancement au grade de brigadier-chef de police de la police nationale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. BU... ET AUTRES ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 octobre 2024, présentée par M. BU... ET AUTRES ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes présentées par M. BU... ET AUTRES et par M. AX... sont dirigées contre le même décret n° 2023-676 du 28 juillet 2023 modifiant le statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que le décret a été signé par la Première ministre et contresignés par les ministres chargés de son exécution, l'ampliation n'ayant pas, pour sa part, à être revêtue de la signature de l'auteur de l'acte.

3. En deuxième lieu, il ressort de la copie de la minute de la section de l'administration du Conseil d'Etat, produite par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que le décret attaqué ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.

4. En troisième lieu, il ressort des documents produits par le ministre dans le cours de l'instruction que les convocations des membres du comité social d'administration du ministère de l'intérieur et des outre-mer, adressées le 26 mai 2023 en vue de la séance du 13 juin suivant, indiquaient que le projet de décret litigieux y serait examiné et comportaient en pièces jointes l'ensemble des documents utiles à l'information des membres, notamment le projet de texte et son rapport de présentation. En outre, il ressort des pièces versées au dossier que les quinze représentants du personnel membres de ce comité ont participé à la séance du 13 juin 2023 et que l'avis émis en faveur du texte a été adopté par quatorze voix. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute pour l'administration d'établir que le comité social d'administration a été régulièrement convoqué, que le quorum était atteint et que l'avis rendu sur ce texte a été émis à la majorité des membres présents.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

5. D'une part, le décret attaqué n° 2023-676 du 28 juillet 2023 modifie le décret du 23 décembre 2004 portant statut particulier du corps d'encadrement et d'application de la police nationale afin notamment de supprimer le grade de brigadier de police, ce dont il résulte que le corps d'encadrement et d'application de la police nationale ne comprend désormais plus que les trois grades de gardien de la paix, de brigadier-chef de police et de major de police.

6. D'autre part, le décret n° 2023-680 du 28 juillet 2023 modifiant le décret du 28 mai 2010 fixant l'échelonnement indiciaire des corps et des emplois des personnels des services actifs de la police nationale révise les grilles des trois grades du corps d'encadrement et d'application, notamment en revalorisant les indices bruts du grade de gardien de la paix et celui du 6ème échelon du grade de brigadier-chef à compter du 1er août 2023, et fixe, à titre transitoire, les indices des échelons de brigadier-chef de classe normale.

En ce qui concerne les moyens invoqués par M. BU... ET AUTRES :

7. Le décret attaqué définit les conditions de reclassement des agents du corps en prévoyant notamment, à son article 17, qu'à la date de son entrée en vigueur, à savoir le 1er août 2023, les brigadiers seront reclassés dans le grade transitoire de brigadier-chef de classe normale, à un échelon provisoire égal ou immédiatement supérieur à celui qu'ils détenaient en conservant une ancienneté réduite à proportion de la réduction de la durée de leur nouvel échelon par rapport à leur ancien échelon, qu'au 1er janvier 2024, les agents classés aux échelons provisoires 1 à 7 seront reclassés à un échelon égal du même grade et qu'au 1er janvier 2029, les agents du grade de brigadier-chef de classe normale seront reclassés dans le grade de brigadier-chef à l'échelon comportant un indice égal ou, à défaut, immédiatement supérieur, à celui dont ils bénéficiaient en conservant leur ancienneté acquise. Ce décret prévoit par ailleurs qu'au 1er août 2023, les gardiens de la paix sont reclassés dans leur grade à un échelon égal ou immédiatement inférieur à celui qu'ils détenaient et révise l'échelonnement de ce grade en réduisant la durée de certains échelons et en créant un 13ème échelon sommital.

8. S'il est constant que les dispositions combinées du décret attaqué relatif au statut particulier du corps et du décret du même jour fixant le nouvel échelonnement indiciaire dans le corps peuvent conduire à ce que certains agents appartenant au grade de gardien de la paix bénéficient, durant la période transitoire de reclassement, de durée limitée, d'un traitement indiciaire plus favorable que les agents d'ancienneté égale dans le corps qui détenaient le grade de brigadier avant l'intervention du décret attaqué et ont été automatiquement promus dans le grade de brigadier-chef, il ne s'en déduit aucune inversion de l'ordre d'ancienneté de ces agents s'agissant de leur classement dans un grade ou un échelon, ni même au demeurant aucune inversion des trajectoires de leurs progressions indiciaires respectives. M. BU... ET AUTRES ne sont ainsi fondés à soutenir ni que les dispositions du décret attaqué méconnaissent le principe d'égalité de traitement entre les agents d'un même corps, ni qu'il serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il instaurerait un traitement défavorable à l'égard des agents qui détenaient le grade de brigadier.

En ce qui concerne les moyens invoqués par M. AX... :

9. Les articles 15 et 15-1 du décret du 23 décembre 2004, dans leur rédaction issue des articles 9 et 10 du décret attaqué, prévoient que les gardiens de la paix peuvent être promus au grade de brigadier-chef, par inscription sur un tableau annuel d'avancement au choix ou un tableau annuel d'avancement établi à l'issu d'un examen professionnel. Cette possibilité se substitue à celle, auparavant ouverte à ces agents, par les articles 12 et 12-1 du décret du 23 décembre 2004 dans leur version antérieure, d'être promus au grade de brigadier par inscription sur un tableau annuel d'avancement au choix ou un tableau annuel d'avancement établi à l'issue d'un examen professionnel. L'article 24 du même décret prévoit, à titre transitoire, que les dispositions des articles 15 et 15-1 s'appliqueront à compter de l'année 2027 et qu'au titre des années 2024 à 2026, les gardiens de la paix ne pourront, par dérogation à celles-ci, être promus au grade de brigadier-chef. Enfin, l'article 19 du décret attaqué prévoit, à titre transitoire, que les tableaux d'avancement aux grades de brigadier établis au titre de l'année 2023 demeurent valables jusqu'au 31 décembre 2023.

10. Il résulte de ces dispositions qu'à l'exception de ceux qui ont été promus au grade de brigadier avant le 31 décembre 2023 au titre de leur inscription sur un tableau d'avancement établi au titre de l'année 2023, les gardiens de la paix ne peuvent, à titre transitoire entre le 1er août 2023 et le 1er janvier 2027, être promus à un grade supérieur.

11. En premier lieu, si le principe d'égalité impose de traiter de la même façon les personnes se trouvant dans la même situation, il n'impose pas de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Ainsi, en admettant même que le fait pour certains gardiens de la paix d'avoir rempli, avant l'intervention de la réforme, une ou plusieurs conditions permettant d'être promus au grade de brigadier, en vertu des articles 12 et 12-1 du décret du 23 décembre 2004 dans leur rédaction antérieure, les place dans une situation différente, au regard de l'objet des règles en cause, de celle des agents qui ne remplissaient aucune de ces conditions, le pouvoir réglementaire pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité de traitement entre agents d'un même corps, s'abstenir de définir des règles propres à ces agents qui tiendraient compte de cette différence de situation. Dès lors, M. AX... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu'en ne tenant pas compte de cette différence de situation en dehors de la mesure rappelée au point 10 en faveur des agents inscrits sur un tableau d'avancement pour 2023, les dispositions suspendant jusqu'au 1er janvier 2027 la possibilité pour les gardiens de la paix d'être promus au grade supérieur méconnaissent ce principe.

12. En deuxième lieu, M. AX... ne peut utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait les exigences de clarté et d'intelligibilité de la norme au motif que les dispositions de l'article 15-1 du décret du 23 décembre 2004 telles qu'il les modifie contrediraient celles de l'article 3 de l'arrêté du 15 décembre 2021 visé ci-dessus, pris pour l'application des dispositions du même article 15-1 dans leur rédaction antérieure.

13. En troisième lieu, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il en va ainsi en particulier lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

14. Si, comme le soutient le requérant, les dispositions du décret attaqué qui font obstacle à ce que les gardiens de la paix puissent être promus à un grade supérieur jusqu'en 2027 sont susceptibles d'affecter négativement, de manière transitoire, leurs perspectives de promotion, il résulte toutefois des dispositions de l'article 17 de ce décret, qui prévoient le reclassement de ces agents au 1er août 2023 et de l'article 1er du décret du 28 juillet 2023 fixant le nouvel échelonnement indiciaire dans le corps, qui revalorisent avec effet à la même date l'ensemble des indices du grade, que tous les gardiens de la paix ont bénéficié d'une revalorisation indiciaire à la date d'intervention du décret attaqué. En outre, l'article 6 du décret attaqué réduit la durée de plusieurs échelons du grade de gardien de la paix et son article 3 crée un treizième échelon sommital dans ce grade. Il résulte de ces éléments, qui sont de nature à améliorer à la fois la rémunération des intéressés et leurs perspectives d'évolution au sein du grade, et du caractère limité dans le temps de la mesure critiquée, que cette dernière ne peut, en tout état de cause, être regardée comme portant une atteinte excessive à un intérêt public ou privé au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi par le décret. Par suite, M. AX... ne saurait valablement soutenir qu'en s'abstenant de prendre d'autres mesures transitoires plus favorables aux gardiens de la paix remplissant une ou plusieurs conditions permettant d'être promus au grade de brigadier, le pouvoir réglementaire aurait méconnu le principe de sécurité juridique.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 juillet 2023 qu'ils attaquent.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font alors obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. BU... ET AUTRES et la requête de M. AX... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. AF... BU..., premier requérant dénommé, à M. A... AX... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 18 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Amel Hafid

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 488614
Date de la décision : 18/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 nov. 2024, n° 488614
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amel Hafid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:488614.20241118
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