Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 3 octobre 2022 et les 3 janvier et 12 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... et la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 7 avril 2022 par laquelle la formation restreinte du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté leur recours contre la décision du 15 février 2022 par laquelle la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin de l'ordre des chirurgiens-dentistes a refusé d'inscrire la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " au tableau de l'ordre, d'autre part, la décision du 3 août 2022 par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté implicitement leur recours contre la décision sur 7 avril 2022 ;
2°) d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes d'inscrire la SELARL " Cabinet de la Vallée du Kaysersberg " au tableau de l'ordre ;
3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bouthors, avocat de Mme A... et de la SELARL " Cabinet de la Vallée du Kaysersberg " et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, Mme B... A..., chirurgien-dentiste inscrite au tableau de l'ordre du Haut-Rhin et exerçant au sein d'une société d'exercice libéral à responsabilité (SELARL), a sollicité l'inscription au tableau de l'ordre d'une seconde SELARL dénommée " Cabinet de la vallée de Kaysersberg ", dont elle est l'associée unique. Par une décision du 15 février 2022, la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté cette demande. Par une décision du 7 avril 2022, la formation restreinte du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté le recours formé par Mme A... et la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " contre cette décision. Celles-ci demandent l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision de la formation restreinte du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 7 avril 2022, d'autre part, de la décision du 3 août 2022 par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a implicitement rejeté leur recours contre cette décision.
Sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision de la formation restreinte du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes :
2. Il résulte des dispositions des articles L. 4112-4 et R. 4112-5 du code de la santé publique que la décision d'un conseil départemental refusant d'inscrire un chirurgien-dentiste au tableau de l'ordre doit, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, faire l'objet d'un recours administratif devant le conseil régional puis, au besoin, devant le Conseil national. L'institution par ces dispositions d'un double recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser aux instances ordinales compétentes pour en connaître le soin d'arrêter une position définitive. Il s'ensuit que la décision prise à la suite de chacun de ces recours se substitue nécessairement à la décision précédente et que seule la décision du Conseil national est susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Il en résulte que les conclusions de la requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 avril 2022 du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes, statuant en formation restreinte, sont irrecevables, dès lors que la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 3 août 2022 s'y est substituée et qu'elle seule peut être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir. Elles ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes :
3. En premier lieu, ainsi qu'il est dit au point 2, la décision prise le 3 août 2022 par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, sur le recours formé par Mme A... et la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg ", s'est substituée à la décision prise à leur encontre par le conseil régional du Grand-Est des chirurgiens-dentistes, laquelle s'était substituée, sur le recours formé par les mêmes requérantes, à la décision du 15 février 2022 de la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Dès lors, Mme A... et la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " ne peuvent utilement soutenir que la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qu'elles attaquent est entachée d'illégalité en ce qu'elle n'annule pas la décision du 15 février 2022 de la présidente du conseil départemental du Haut-Rhin de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui serait entachée d'incompétence et aurait été prise en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure garanti par l'article R. 4112-2 du code de la santé publique.
4. En deuxième lieu, de première part, il résulte des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique qu'un chirurgien-dentiste ne peut être inscrit que sur un seul tableau, qui est celui du département où se trouve sa résidence professionnelle. Selon le premier alinéa de l'article R. 4113-4 du même code applicable à la constitution des sociétés d'exercice libéral de chirurgiens-dentistes, la société est constituée sous la condition suspensive de son inscription au tableau de l'ordre. Aux termes de l'article R. 4113-24 de ce code relatif au " principe de l'unicité du cabinet " : " Les membres d'une société d'exercice libéral de chirurgiens-dentistes ont une résidence professionnelle commune. / Toutefois, la société peut être autorisée par le conseil départemental de l'ordre à exercer dans un ou plusieurs cabinets secondaires si la satisfaction des besoins des malades l'exige et à la condition que la situation des cabinets secondaires par rapport au cabinet principal ainsi que l'organisation des soins dans ces cabinets permettent de répondre aux urgences. / (...) ".
5. De deuxième part, le " principe de l'unicité du cabinet " est également rappelé par des dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes. Ainsi, aux termes de l'article R. 4127-270 du code de la santé publique : " Le lieu habituel d'exercice d'un chirurgien-dentiste est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit au tableau du conseil départemental, conformément à l'article L. 4112-1. / Un chirurgien-dentiste exerçant à titre libéral peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle : / -lorsqu'il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l'offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins ; / -ou lorsque les investigations et les soins qu'il entreprend nécessitent un environnement adapté, l'utilisation d'équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants. / (...) La demande d'ouverture d'un lieu d'exercice distinct est adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l'activité envisagée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. (...) / L'autorisation est délivrée par le conseil départemental (...) ou, sur recours, par le conseil national, qui statue dans les mêmes conditions. / L'autorisation est personnelle et incessible. (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-271 du même code : " Toute activité professionnelle d'un praticien qui, en sus de son activité principale, exerce à titre complémentaire soit comme adjoint d'un confrère, soit au service d'une collectivité publique ou privée, notamment dans les services hospitaliers ou hospitalo-universitaires, soit comme gérant, est considérée comme un exercice annexe. / Pour l'application du présent code de déontologie, l'exercice en cabinet secondaire est considéré comme un exercice annexe ". Aux termes de l'article R. 4127-272 du même code : " Lorsqu'il exerce à titre libéral, le chirurgien-dentiste ne peut avoir que deux exercices, quelle qu'en soit la forme / (...) / Les dispositions du présent article ne font pas obstacle à l'application des dispositions propres aux sociétés d'exercice de la profession, et notamment de celles des articles R. 4113-24 et R. 4113-74. "
6. De troisième part, selon le premier alinéa de l'article R. 4113-31 du code de la santé publique, l'inscription de la société au tableau de l'ordre ne peut être refusée que si les statuts déposés ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires et notamment au code de déontologie. Il en résulte que les instances compétentes de l'ordre des chirurgiens-dentistes ne peuvent refuser l'inscription au tableau de l'ordre d'une société d'exercice libéral que si les statuts de cette société ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice de la profession ou si ces statuts ou, le cas échéant, des accords passés entre les associés ou des engagements contractés par la société avec des tiers sont susceptibles de conduire les professionnels qui y exercent à méconnaître les règles de la profession.
7. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, d'une part, qu'un chirurgien-dentiste exerçant à titre libéral peut, après autorisation du conseil de l'ordre, exercer une activité complémentaire sur un site distinct de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit au tableau de l'ordre. Il résulte également de ces dispositions, d'autre part, que, lorsqu'il exerce son activité principale au sein d'une société d'exercice libéral dont il est l'associé, le chirurgien-dentiste, s'il peut exercer au sein d'un cabinet secondaire de cette société si cette dernière a obtenu l'autorisation prévue par l'article R. 4113-24 de la santé publique cité au point 4, peut également créer une autre société d'exercice libéral sous réserve de respecter les conditions encadrant l'exercice sur un site distinct prévues par l'article R. 4127-270 du code de la santé publique cité au point 5, les autorités ordinales, saisies d'une demande d'inscription au tableau de l'ordre d'une telle société d'exercice libéral devant, si ces conditions ne sont pas réunies, refuser son inscription au tableau de l'ordre.
8. Il ressort des termes mêmes de la décision de la formation restreinte du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes, dont le Conseil national des chirurgiens-dentistes, en rejetant implicitement le recours formé par Mme A... et la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " contre cette décision, s'est approprié les motifs, que, pour rejeter la demande d'inscription au tableau de l'ordre de cette société, les autorités ordinales ont retenu qu'un chirurgien-dentiste ne pouvait être associé de deux sociétés d'exercice libéral et exercer en leur sein si les conditions permettant de déroger au " principe de l'unicité du cabinet " prévu par le code de la santé publique n'étaient pas remplies. En statuant ainsi, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui ne s'est pas mépris sur la portée de la demande qui lui était soumise, n'a pas, eu égard à ce qui a été dit au point 7, commis d'erreur de droit.
9. Il résulte de ce tout ce qui précède que les conclusions de la requête de Mme A... et de la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " tendant à l'annulation de la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 3 août 2022 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros à verser au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A... et de la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " est rejetée.
Article 2 : Mme A... versera au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la SELARL " Cabinet de la Vallée de Kaysersberg " et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Copie en sera adressée à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.