Vu la procédure suivante :
La Ligue des droits de l'Homme et Mme A... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 8 juillet 2024 par lequel le maire de Mandelieu-la-Napoule a réglementé les conditions d'accès aux plages et à la baignade sur le territoire de la commune jusqu'au 31 août 2024. Par une ordonnance n° 2404567 et 2404582 du 20 août 2024 prise sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.
Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 août et 24 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'Homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Mandelieu-la-Napoule la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'Homme ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nice que, par un arrêté du 8 juillet 2024, le maire de Mandelieu-la-Napoule a réglementé l'accès aux plages et à la baignade sur le territoire de la commune, à l'exception de la seconde anse de la Plage de la Rague, jusqu'au 31 août 2024, en interdisant leur accès " à toute personne dont la tenue n'est pas respectueuse des règles d'hygiène et de sécurité des baignades (...)/ ou est susceptible d'entraver ses mouvements lors de la baignade et de compliquer les opérations de sauvetage " et " à toute personne dont la tenue est susceptible d'entrainer tout autre trouble à l'ordre public, notamment des troubles à l'instar de ceux survenus en 2012 et 2016, voire des affrontements violents ". Il est constant que, par cet arrêté, le maire de Mandelieu-la-Napoule a entendu prohiber, sur les plages de la commune, à l'exception de la partie mentionnée de la Plage de la Rague, le port de tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse.
2. La Ligue des droits de l'Homme a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision. Par une ordonnance du 20 août 2024, prise sur le fondement de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande au motif que l'arrêté attaqué ne portait une atteinte grave et manifestement illégale à aucune liberté fondamentale. La Ligue des droits de l'Homme se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
3. En premier lieu, l'article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ". L'article L. 522-3 permet ainsi au juge des référés, lorsque les conditions qu'il fixe sont remplies, de statuer sans procédure contradictoire et sans audience publique.
4. En second lieu, en vertu de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de la police municipale qui, selon l'article L. 2212-2 de ce code, " a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ". L'article L. 2213-23 du même code dispose en outre que : " Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés (...). / Le maire réglemente l'utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours. / Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance (...). / Le maire est tenu d'informer le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées ".
5. Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 4 du maintien de l'ordre dans la commune, il doit concilier l'accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d'une commune du littoral édicte en vue de réglementer l'accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l'ordre public, telles qu'elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu'impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l'hygiène et la décence sur la plage. Il n'appartient pas au maire de se fonder sur d'autres considérations et les restrictions qu'il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public.
6. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que l'édiction par un maire, sur le fondement de ses pouvoirs de police administrative, d'une mesure restrictive d'une liberté garantie par la loi doit être adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des circonstances de temps et de lieu et justifiée par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges des référés que, dans la demande qu'elle lui a adressée, la Ligue des droits de l'Homme soutenait que le port de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse sur les plages publiques de Mandelieu-la-Napoule, objet réel de l'arrêté attaqué, n'était pas de nature à causer des troubles à l'ordre public justifiant leur interdiction pendant la saison estivale 2024.
7. Le juge des référés du tribunal administratif de Nice a jugé qu'il apparaissait manifeste, au seul vu de la demande, que celle-ci était mal fondée et l'a rejetée en application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, sans instruction contradictoire, et en particulier sans solliciter les observations de la commune sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public de nature à justifier, au regard des circonstances propres à la commune de Mandelieu-la-Napoule, l'interdiction de telles tenues sur les plages publiques de cette commune au cours de l'été 2024. En statuant ainsi, alors qu'il ne disposait pas des éléments lui permettant de s'assurer que la mesure contestée, à la date à laquelle elle a été prise, présentait un caractère adapté, nécessaire et proportionné au regard des circonstances de temps et de lieu et était justifiée par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a méconnu son office.
8. Toutefois, lorsque, postérieurement à l'introduction d'un pourvoi en cassation dirigé contre une ordonnance du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative d'une demande de suspension d'une décision administrative, cette décision, qu'elle ait ou non fait l'objet d'une suspension par le juge des référés, a épuisé ses effets à la date à laquelle le Conseil d'Etat statue, le pourvoi est, eu égard à la nature de la procédure de référé, privé d'objet. L'arrêté du maire de Mandelieu-la-Napoule du 8 juillet 2024 ayant pris fin le 31 août 2024, le pourvoi en cassation de la Ligue des droits de l'Homme a perdu son objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Ligue des droits de l'Homme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi de la Ligue des droits de l'Homme.
Article 2 : Les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'Homme au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'Homme.
Copie en sera adressée à la commune de Mandelieu-la-Napoule.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 septembre 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Lisa Gamgani
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana