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30/10/2024 | FRANCE | N°474760

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 30 octobre 2024, 474760


Vu la procédure suivante :



L'association Souveraineté, identité et libertés (SIEL) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui attribuer la nuance politique " divers droite ". Par un jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 18PA04057 du 30 mars 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association Souveraineté, id

entité, libertés, annulé ce jugement ainsi que la décision du ministre de l'intérieur...

Vu la procédure suivante :

L'association Souveraineté, identité et libertés (SIEL) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 juillet 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui attribuer la nuance politique " divers droite ". Par un jugement n° 1714545 du 30 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18PA04057 du 30 mars 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association Souveraineté, identité, libertés, annulé ce jugement ainsi que la décision du ministre de l'intérieur du 24 juillet 2017.

Par un pourvoi, enregistré le 5 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions présentées par l'association SIEL devant le tribunal administratif et la cour administrative de Paris.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 3 et 4 ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 :

- le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Bardoul, avocat de l'association Souveraineté, identité et libertés ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 24 juillet 2017, le ministre de l'intérieur a refusé de faire droit à la demande de l'association Souveraineté, identité et libertés (SIEL) tendant à que soit rectifiée la nuance politique d'" extrême droite " attribuée à ses candidats pour être remplacée par celle de " divers droite ". Par un jugement du 30 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'association tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 mars 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association, prononcé l'annulation du jugement du tribunal administratif et de sa décision.

2. Aux termes de l'article 1er du décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus " : " Dans les services du ministère de l'intérieur (secrétariat général) et ceux des représentants de l'Etat dans les départements de métropole et d'outre-mer, dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, sont mis en œuvre deux traitements automatisés de données à caractère personnel concernant les candidats aux élections au suffrage universel et les mandats électoraux et fonctions électives que ces élections ont vocation à pourvoir. / Le premier traitement, appelé " Application élection ", comprend les données relatives aux candidatures enregistrées ainsi que les résultats obtenus par les candidats. / Le second traitement, appelé " Répertoire national des élus ", comprend les données relatives aux candidats proclamés élus ". En vertu de l'article 2 de ce décret, l'Application élection et le Répertoire national des élus enregistrent les données relatives, respectivement, aux candidats aux scrutins organisés pour l'élection, notamment, des conseillers municipaux et aux titulaires d'un mandat de maire ou d'adjoint au maire, de maire ou d'adjoint au maire d'arrondissement. Aux termes de son article 3 : " Conformément aux dispositions du IV de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, pour mettre en œuvre les traitements automatisés mentionnés à l'article 1er, le ministre de l'intérieur et les représentants de l'Etat mentionnés au même article 1er peuvent collecter, conserver et traiter sur supports informatiques ou électroniques des données faisant apparaître les appartenances politiques : / 1° Des candidats à l'un des scrutins mentionnés au I de l'article 2 et des listes ou binômes de candidats sur lesquels ils ont figuré ; / 2° Des personnes détentrices de l'un des mandats ou de l'une des fonctions énumérés au II de l'article 2 ". Aux termes de l'article 4 : " Les traitements automatisés mentionnés à l'article 1er ont pour finalités : / 1° Le suivi des candidatures enregistrées et des mandats et fonctions exercés par les élus en vue de l'information du Parlement, du Gouvernement, des représentants de l'Etat mentionnés à l'article 1er et des citoyens ; / 2° La centralisation des résultats de chaque tour de scrutin, leur conservation et leur diffusion sous forme électronique ; / (...)". Aux termes de l'article 5: " I. - Les données à caractère personnel et informations enregistrées portant sur les personnes mentionnées à l'article 2 sont les suivantes : / (...) / 6° Nuance politique attribuée au candidat par l'administration ; / 7° Nuance politique attribuée à la liste ou au binôme de candidats par l'administration ; / (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'elles habilitent, pour assurer la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus ", le ministre de l'intérieur à établir une " grille des nuances politiques " destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections en vue de l'information des pouvoirs publics et des citoyens. Ainsi que l'a relevé la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans la délibération n° 2013-406 du 19 décembre 2013 rendue à propos des traitements automatisés en cause, la nuance politique, qui est attribuée par l'administration, vise à placer tout candidat ou élu ainsi que toute liste sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps.

4. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué que, pour prononcer l'annulation de la décision du ministre litigieuse comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la circonstance que l'attribution de la nuance " extrême-droite " aux candidats du parti SIEL était principalement fondée sur la proximité de cette formation avec celle du Front national, révélée par différents indices, sans que puisse être regardé comme ayant été véritablement pris en considération le programme du parti requérant. D'une part, se fondant sur un moyen d'erreur de droit qui n'était pas invoqué devant elle et qui n'était pas d'ordre public et sans, en tout état de cause, en avoir informé au préalable les parties, la cour a elle-même entaché son arrêt d'erreur de droit. D'autre part, en ne précisant pas les raisons pour lesquelles elle estimait également que la décision attaquée était entachée d'erreur manifeste d'appréciation, la cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation. Le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer est dès lors fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la même mesure, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'autorité administrative ne serait pas compétente pour procéder à une classification des candidats au motif qu'une telle classification relèverait de l'analyse politique ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, la circonstance que les dispositions de l'article 5 du décret du 9 décembre, dont l'illégalité est invoquée par la voie de l'exception, ne précisent pas les critères à retenir pour la détermination des nuances politiques attribuées aux candidats ou aux listes de candidats est, en tout état de cause, sans incidence par elle-même sur leur légalité.

8. En troisième lieu, eu égard à l'objet de la " grille des nuances politiques " rappelé au point 3, qui implique qu'elle ne distingue qu'un nombre limité de nuances politiques en vue de la présentation des résultats électoraux, lesquelles se distinguent des étiquettes politiques que les candidats ou les formations politiques choisissent librement pour se présenter aux suffrages des électeurs, la décision administrative consistant à attribuer une nuance politique, par elle-même, ne constitue pas une entrave à la liberté du débat démocratique et ne porte pas davantage atteinte à la sincérité du scrutin. L'association SIEL ne justifie pas, en outre, en quoi, dans les circonstances de l'espèce, l'attribution de la nuance politique d'" extrême-droite " à sa formation aurait, en ce qui la concerne, constitué une entrave à la liberté du débat démocratique. Par suite, son moyen tiré d'une telle entrave ou atteinte doit être écarté.

9. En quatrième lieu, la circonstance que des nuances politiques propres à certaines formations leur soient attribuées compte tenu notamment de leur importance, alors que d'autres se voient désignées par des nuances communes à plusieurs candidats ou partis comme celle d'" extrême-droite ", ne porte pas par elle-même atteinte au principe d'égalité, eu égard aux différences qui existent entre ces différents candidats ou formations politiques. Par suite, l'association SIEL n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait méconnu le principe d'égalité.

10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour attribuer la nuance " extrême-droite " au parti politique Souveraineté, identité, libertés, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur un faisceau d'indices objectifs notamment l'identité des présidents de ce parti fondé en 2011 par M. F... E... et dirigé depuis 2014 par M. A... D..., ancien membre du Front national et leurs prises de position publiques, les positionnements stratégiques adoptés lors des élections, tels que son alliance avec le Front national lors des scrutins municipaux et régionaux de 2014 et 2015, le soutien apporté à la candidature de Mme C... B... à l'élection présidentielle de 2017 et son adhésion, en vue des élections législatives de 2017, à une structure politique avec différents partis tels que Le Parti de France, Jeanne, La ligue du Sud et Civitas sous l'appellation " Union des Patriotes ". Il ne ressort pas, en outre, des pièces du dossier que le programme du parti politique SIEL ou ses orientations n'aurait pas été pris en compte. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire droit à la demande du parti SIEL d'attribuer à ses candidats la nuance politique " divers droite " et non pas " extrême droite ".

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association SIEL n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 30 mars 2023 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par l'association Souveraineté, identité et libertés devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'association Souveraineté, identité et libertés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et à l'association Souveraineté, identité et libertés.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 septembre 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 30 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Lisa Gamgani

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 474760
Date de la décision : 30/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 oct. 2024, n° 474760
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Lisa Gamgani
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : BARDOUL

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474760.20241030
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