Vu la procédure suivante :
Le président de l'université de Strasbourg a saisi la section disciplinaire du conseil académique de l'université de poursuites disciplinaires visant Mme A... B..., maîtresse de conférences. Par une décision du 11 octobre 2018, la section disciplinaire a infligé à Mme B... la sanction de l'interdiction d'exercice de toutes fonctions d'enseignement dans l'établissement pour une durée de trois ans, avec privation de la moitié du traitement.
Par une décision du 27 novembre 2019, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de Mme B..., prononcé sa relaxe.
Par une décision n° 438191 du 14 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette décision et renvoyé l'affaire au CNESER, statuant en matière disciplinaire.
Par une décision du 15 mars 2023, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a, sur renvoi du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, relaxé Mme B....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'université de Strasbourg demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par Mme B... ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'université de Strasbourg ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le président de l'université de Strasbourg a engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre de Mme A... B..., maîtresse de conférences au sein du département de linguistique appliquée et de didactique des langues (DLADL), devant la section disciplinaire du conseil académique de cet établissement. Par une décision du 11 octobre 2018, la section disciplinaire a sanctionné Mme B... en lui interdisant d'exercer toutes fonctions d'enseignement dans l'établissement pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement. Par une décision du 27 novembre 2019, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a, sur appel de Mme B..., prononcé sa relaxe. Par une décision n° 438191 du 14 mars 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cette décision. Par une décision du 15 mars 2023 contre laquelle l'université de Strasbourg se pourvoit en cassation, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a, sur renvoi du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, relaxé Mme B....
Sur le pourvoi :
2. La règle en vertu de laquelle les décisions de justice doivent être motivées et au nombre de celles qui s'imposent à toutes les juridictions. Elle s'applique ainsi au CNESER, statuant en matière disciplinaire ainsi que le rappelle le second alinéa de l'article R. 232-41 du code de l'éducation, dans sa version applicable au litige.
3. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a annulé la décision de la section disciplinaire du conseil académique de l'université de Strasbourg pour insuffisance de motivation sans indiquer les motifs justifiant cette appréciation. En statuant ainsi, il a méconnu les dispositions citées au point 2. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l'université de Strasbourg est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
Sur l'appel de Mme B... :
5. Il ressort des énonciations de la décision de la section disciplinaire du conseil académique de l'université de Strasbourg que, pour juger que Mme B... avait méconnu ses obligations déontologiques et que ses agissements fautifs justifiaient la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement dans l'établissement pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement, la section disciplinaire s'est bornée à qualifier de manière générale le comportement de l'intéressée sans préciser ni analyser les faits qui lui étaient reprochés. En statuant ainsi, la section disciplinaire a entaché sa décision d'insuffisance de motivation. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son appel, Mme B... est fondée à en demander l'annulation.
6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la plainte transmise par le président de l'université de Strasbourg à la section disciplinaire du conseil académique de cet établissement
Sur la plainte transmise par le président de l'université de Strasbourg :
En ce qui concerne la matérialité et le caractère fautif des faits reprochés à Mme B... :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 952-2 du code de l'éducation : " Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité ". Aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable à la date des faits litigieux, désormais codifié aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. / (...) Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité (...) ".
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les faits reprochés à Mme B... consistant à avoir enregistré le cours d'un enseignant du DLADL sans son accord et à avoir utilisé le budget du diplôme d'université de français langue étrangère en méconnaissance de la réglementation et de la déontologie ne sont pas établis.
9. En second lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... a, dans des courriels adressés à des enseignants-chercheurs du DLADL, lors de réunions en présence de ces enseignants ou devant des étudiants auxquels elle dispensait un enseignement, dénigré certains de ses collègues en des termes parfois injurieux, qu'elle a par ailleurs tenu, lors de certains enseignements, des propos dégradants portant sur les capacités intellectuelles de personnes étrangères, qu'elle a fait intervenir à plusieurs reprises son époux dans le cours qu'elle assurait, sans en informer au préalable sa hiérarchie, qu'à l'occasion de l'une de ces interventions, les étudiants ont été amenés à remplir un questionnaire nominatif de personnalité comportant des questions inappropriées, en particulier sur leur orientation sexuelle, ces questionnaires devant être utilisés par l'intéressée dans le cadre d'une recherche sans que les étudiants en aient été avertis, enfin qu'elle a déposé, sur la plateforme d'un appel à projets, un dossier de candidature pour l'un de ses projets scientifiques, l'accompagnant d'un document intitulé " lettre doyenne " laissant penser qu'elle avait obtenu le soutien de la doyenne de la faculté alors que tel n'était pas le cas. L'ensemble de ces agissements, constatés sur au moins quatre années, constituent de la part de Mme B... une méconnaissance de l'exigence de dignité rappelée par les dispositions de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 citées au point 7 et de l'obligation d'exercer ses fonctions d'enseignante-chercheuse avec tolérance et objectivité, qui découle des dispositions de l'article L. 952-2 du code de l'éducation citées au même point, peu important l'absence d'intention manifestement malveillante de sa part et l'aggravation progressive de ses difficultés relationnelles avec ses collègues, qui, contrairement à ce qu'elle soutient, ne révèlent pas de harcèlement moral à son encontre.
En ce qui concerne la sanction :
10. Aux termes de l'article L. 952-8 du code de l'éducation : " (...) les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l'enseignement supérieur sont : / 1° Le blâme ; / 2° Le retard à l'avancement d'échelon pour une durée de deux ans au maximum ; / 3° L'abaissement d'échelon ; / 4° L'interdiction d'accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ; / 5° L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; / 6° La mise à la retraite d'office ; / 7° La révocation. / Les personnes à l'encontre desquelles a été prononcée la sixième ou la septième sanction peuvent être frappées à titre accessoire de l'interdiction d'exercer toute fonction dans un établissement public ou privé, soit pour une durée déterminée, soit définitivement ".
11. Eu égard à la gravité des fautes commises par Mme B..., tant en ce qui concerne la nature des manquements qui lui sont reprochés qu'en ce qui concerne leur diversité et leur étendue dans le temps, il convient de la sanctionner en lui interdisant d'exercer toutes fonctions d'enseignement au sein de l'université de Strasbourg pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... le versement d'une somme de 3 000 euros à l'université de Strasbourg au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'université de Strasbourg qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 15 mars 2023 du CNESER, statuant en matière disciplinaire, est annulée.
Article 2 : La décision du 11 octobre 2018 de la section disciplinaire du conseil académique de l'université de Strasbourg est annulée.
Article 3 : Il est interdit à Mme B... d'exercer toutes fonctions d'enseignement au sein de l'université de Strasbourg pendant trois ans, avec privation de la moitié de son traitement.
Article 4 : Mme B... versera la somme de 3 000 euros à l'université de Strasbourg au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'université de Strasbourg et à Mme A... B....
Copie en sera adressée au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.