Vu les procédures suivantes :
1°) Sous le n° 494066, la commune de La Couronne a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 15 septembre 2020 refusant de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenues en 2019, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2019 et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire dans un délai d'un mois à compter du jugement.
Par un jugement n° 2003164 du 1er février 2022, le tribunal a annulé l'arrêté du 15 septembre 2020 en tant qu'il n'a pas inscrit la commune de La Couronne sur la liste des communes reconnues en état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols pour la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2019 et a enjoint à l'Etat de procéder à un nouvel examen de la demande de la commune.
Par un arrêt n° 22BX00519 du 5 mars 2024, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée devant ce tribunal par la commune de La Couronne, ainsi que ses conclusions présentées en appel.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai
et 6 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de La Couronne demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance et d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2°) Sous le n° 494067, la commune de Cognac a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 15 septembre 2020 refusant de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenues en 2019, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2019 et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire dans un délai d'un mois à compter du jugement.
Par un jugement n° 2003162 du 14 juin 2022, le tribunal a annulé l'arrêté du 15 septembre 2020 en tant qu'il n'a pas inscrit la commune de Cognac sur la liste des communes reconnues en état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols pour la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2019 et a enjoint à l'Etat de procéder à un nouvel examen de la demande de la commune.
Par un arrêt n° 22BX02120 du 5 mars 2024, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée devant ce tribunal par la commune de Cognac ainsi que ses conclusions présentées en appel.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 6 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Cognac demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance et d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
3°) Sous le n° 494069, la commune d'Aize a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 18 juin 2019 refusant de reconnaitre l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrain différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2018, pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 et, d'autre part, d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Par un jugement n° 2000006 du 24 novembre 2022, le tribunal a annulé l'arrêté du 18 juin 2019 en tant qu'il n'a pas inscrit la commune d'Aize sur la liste des communes reconnues en état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols pour la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2018 et a enjoint à l'Etat de procéder à un nouvel examen de la demande de la commune.
Par un arrêt n° 22BX03026 du 5 mars 2024, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée devant ce tribunal par la commune d'Aize ainsi que ses conclusions présentées en appel.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 6 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune d'Aize demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance et d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code des assurances, notamment son article L. 125-1 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat des communes de La Couronne, de Cognac et d'Aize ;
Considérant ce qui suit :
1. Les trois pourvois soulèvent les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. L'arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes à la préfecture. De manière exceptionnelle, si la durée des enquêtes diligentées par le représentant de l'Etat dans le département est supérieure à deux mois, l'arrêté est publié au plus tard deux mois après la réception du dossier par le ministre chargé de la sécurité civile ".
4. Les communes requérantes soutiennent que les dispositions contestées seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à affecter le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, ainsi que le principe de solidarité nationale et d'égalité des charges devant les calamités nationales garanti par le douzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'elles ne fixent ni conditions, ni critères, ni procédure suffisamment précise permettant d'apprécier " l'intensité anormale de l'agent naturel " et de constater l'état de catastrophe naturelle et en ce qu'elles n'imposent pas au pouvoir réglementaire le soin de le faire, conduisant ainsi l'autorité administrative à apprécier différemment, dans l'espace comme dans le temps, les évènements naturels affectant des communes placées dans des situations similaires.
5. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels (...) ". La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
6. D'une part, les dispositions litigieuses fixent les conditions dans lesquelles les ministres concernés se prononcent sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle afin de permettre l'indemnisation des sinistrés. Elles définissent les effets des catastrophes naturelles comme les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. Dès lors que les différents éléments de cette définition, dont le caractère général découle nécessairement de la diversité des phénomènes naturels concernés, s'appliquent à toutes les communes dans les mêmes conditions, quelles que soient la nature, la localisation ou la date des phénomènes en cause, il ne saurait être soutenu qu'elle porte par elle-même atteinte au principe de solidarité et d'égalité devant les calamités nationales, ni aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques des communes et des sinistrés.
7. D'autre part, les dispositions litigieuses subordonnent la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à une procédure préalable, définie de manière suffisamment précise, qui garantit, dans des conditions et délais identiques, l'examen au cas par cas de la situation de chacune des communes concernées par un même phénomène, caractérisé dans l'espace et dans le temps, en s'appuyant sur les avis, méthodologies et paramètres scientifiques accessibles en l'état des connaissances disponibles. La procédure ainsi instituée ne méconnaît pas davantage les principes de solidarité et d'égalité devant les calamités nationales, ni les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques des communes et des sinistrés.
8. Par suite, le législateur, sans méconnaître sa compétence, n'a porté aucune atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques des communes et des sinistrés, non plus qu'au principe de solidarité et d'égalité devant les calamités nationales.
9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux.
Sur les pourvois :
10. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
11. Pour demander l'annulation des arrêts qu'elles attaquent, les communes de La Couronne, de Cognac et d'Aize soutiennent, chacune en ce qui le concerne, que :
- les arrêtés litigieux seraient privés de base légale pour avoir fait application des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances, non conformes à la Constitution ;
- la cour a commis une erreur de droit, insuffisamment motivé son arrêt et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la méthodologie utilisée était adéquate, fiable, appropriée et conforme aux dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances ;
- la cour a dénaturé les pièces du dossier, insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en jugeant que la méthodologie reposait sur des critères qui sont rapportés à l'ensemble de la saison concernée ou à l'ensemble du territoire communal ;
- la cour a insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que la méthode était fiable et complète alors que celle-ci repose sur des paramètres de modélisation inconnus, et non sur les données de terrain ;
- elle a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la méthodologie permettait d'appréhender avec une pertinence et une précision suffisante l'intensité de l'aléa naturel :
- elle a dénaturé les pièces du dossier et insuffisamment motivé son arrêt en retenant que le seuil de déclenchement de la durée de retour, évalué à vingt-cinq ans, était adapté pour apprécier le caractère exceptionnel des catastrophes naturelles ;
- elle a commis une erreur de qualification juridique en retenant que les sécheresses de 2018 et 2019 subies, respectivement, par les trois communes de La Couronne, Cognac et Aize ne présentaient pas les caractères d'intensité et d'anormalité fixés par l'article L. 125-1 du code des assurances.
12. Sous le n° 494066, la commune de La Couronne soutient également que la cour a omis de statuer sur certaines conclusions présentées devant le tribunal administratif de Poitiers et dont elle était saisie par l'effet dévolutif de l'appel.
13. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission des pourvois.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les communes de La Couronne, de Cognac et d'Aize.
Article 2 : Les pourvois de la commune de La Couronne, de la commune de Cognac et de la commune d'Aize ne sont pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Couronne, de la commune de Cognac et de la commune d'Aize, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 septembre 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 25 octobre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café