Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 25 mai 2023 par laquelle le directeur général l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à la protection subsidiaire dont il bénéficiait et, à titre subsidiaire, de lui reconnaître la qualité de réfugié.
Par une décision n° 23032414 du 30 janvier 2024, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mai et 6 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Melka, Prigent, Drusch, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un mémoire présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, enregistré le 6 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 531-12 à L. 531-21, L. 532-11 à L. 532-15 et L. 562-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Poirson, auditrice,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. B... A... ;
Considérant ce qui suit :
Sur la question prioritaire de constitutionnalité
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser : 1° Qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ; 2° Qu'elle a commis un crime grave ; 3° Qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ; 4° Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ; 5° Qu'elle a commis, avant son entrée en France, un ou plusieurs crimes qui ne relèvent pas du champ d'application des 1°, 2°, 3° ou 4° et qui seraient passibles d'une peine de prison s'ils avaient été commis en France, et qu'elle n'a quitté son pays d'origine que dans le but d'échapper à des sanctions résultant de ces crimes./ Les 1° à 3° s'appliquent aux personnes qui sont les instigatrices, les auteurs ou les complices des crimes ou des agissements mentionnés à ces mêmes 1° à 3° ou qui y sont personnellement impliquées. "
3. Aux termes de l'article L. 512-3 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides met fin, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au bénéfice de la protection subsidiaire lorsque les circonstances ayant justifié l'octroi de cette protection ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment significatif et durable pour que celle-ci ne soit plus requise./ L'office met également fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au bénéfice de la protection subsidiaire dans les cas suivants : 1° Le bénéficiaire de la protection subsidiaire aurait dû être exclu de cette protection pour l'un des motifs prévus à l'article L. 512-2 ; 2° La décision d'octroi de la protection subsidiaire a résulté d'une fraude ; 3° Le bénéficiaire de la protection subsidiaire doit, à raison de faits commis après l'octroi de la protection, en être exclu pour l'un des motifs prévus à l'article L. 512-2./ Par dérogation au premier alinéa, la protection subsidiaire est maintenue lorsque son bénéficiaire justifie de raisons impérieuses tenant à des atteintes graves antérieures pour refuser de se réclamer de la protection de son pays. "
4. Aux termes de l'article L. 562-1 du même code : " Lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides envisage de mettre fin au statut de réfugié en application des articles L. 511-7 ou L. 511-8 ou au bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 512-3, il informe par écrit la personne concernée de l'engagement de cette procédure ainsi que de ses motifs. " L'article L. 562-2 dispose que : " La personne concernée est mise à même de présenter par écrit ses observations sur les motifs de nature à faire obstacle à la fin du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire. / Si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides estime toutefois nécessaire de procéder à un entretien personnel, celui-ci se déroule dans les conditions prévues aux articles L. 531-12 à L. 531-21. " Les articles L. 531-12 à L. 531-21 du même code portent sur l'organisation de l'entretien personnel devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Les articles L. 532-11 à L. 532-15 du même code encadrent la tenue de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile lorsqu'elle statue sur les recours formés contre les décisions de l'OFPRA.
5. M. A... soutient que les dispositions des articles L. 531-12 à L. 531-21, L. 532-11 à 532-15 et L. 562-2, en ce qu'elles ne prévoient pas, lorsqu'il est mis fin à la protection subsidiaire, la garantie tenant à ce que soit notifié à la personne concernée le droit de se taire, tant, le cas échéant, lors de l'entretien personnel devant l'OFPRA que lors de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, méconnaissent les dispositions de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le droit d'asile garanti par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que l'article 34 de la Constitution.
6. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par ses décisions n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024 et n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024, il résulte de ces dispositions le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Elles impliquent que la personne poursuivie ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
7. Par ailleurs, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, dispose en son quatrième alinéa que : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ".
8. En vertu des dispositions, citées au point 2, des articles L. 512-2 et L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il peut être mis fin au bénéfice de la protection subsidiaire soit lorsque l'intéressé n'encourt plus dans son pays les risques qui ont justifié l'octroi de cette protection, soit lorsqu'il apparaît qu'il aurait dû être exclu, en raison de ses agissements, du bénéfice de la protection lors de l'examen de sa demande initiale, soit encore lorsque, après avoir obtenu la protection subsidiaire, il vient à relever, en raison d'agissements postérieurs, d'une des causes d'exclusion prévues par l'article L. 512-2. Une telle décision mettant fin au bénéfice de la protection subsidiaire, qui repose ainsi sur le constat que l'intéressé n'a jamais rempli ou a cessé de remplir les conditions auxquelles est subordonné l'octroi de la protection subsidiaire, ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition.
9. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que les dispositions législatives contestées méconnaîtraient l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en tant qu'elles ne prévoient pas, lorsqu'il est envisagé de mettre fin à la protection subsidiaire, la garantie tenant à ce que la personne concernée soit informée du droit qu'elle a de se taire. L'exigence constitutionnelle de protection du droit d'asile n'implique pas davantage une telle garantie. Il s'ensuit que M. A... ne saurait non plus utilement soutenir que le législateur serait resté en-deçà de sa compétence.
10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les autres moyens du pourvoi :
11. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
12. Pour demander l'annulation de la décision qu'il attaque, M. A... soutient que la Cour nationale du droit d'asile l'a entachée :
- d'erreur de qualification juridique des faits pour avoir jugé que sa présence en France constituait une menace pour la société française justifiant que ne lui soit pas reconnue la qualité de réfugié ;
- d'erreur de qualification juridique des faits pour avoir retenu qu'il s'était rendu coupable d'un crime grave justifiant qu'il soit mis fin à sa protection subsidiaire ;
- d'omission à statuer sur ses conclusions présentées à titre subsidiaire, en jugeant dans les motifs de la décision que le requérant pouvait se prévaloir de la qualité de réfugié sans la lui reconnaître dans le dispositif.
13. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....
Article 2 : Le pourvoi de M. A... n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire, Mme Alexandra Poirson, auditrice-rapporteure.
Rendu le 24 octobre 2024
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Poirson
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana