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22/10/2024 | FRANCE | N°490130

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 22 octobre 2024, 490130


Vu la procédure suivante :



La société Compagnie agricole du comté de Lohéac a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler pour excès de pouvoir le rejet implicite par le préfet de la Guadeloupe de sa réclamation du 10 mars 2022 tendant à l'obtention du concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, ordonnant l'expulsion de l'occupant sans titre d'une parcelle lui appartenant dans la commune de Sainte-Rose, ainsi que le reje

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Vu la procédure suivante :

La société Compagnie agricole du comté de Lohéac a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler pour excès de pouvoir le rejet implicite par le préfet de la Guadeloupe de sa réclamation du 10 mars 2022 tendant à l'obtention du concours de la force publique pour l'exécution d'un jugement du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, ordonnant l'expulsion de l'occupant sans titre d'une parcelle lui appartenant dans la commune de Sainte-Rose, ainsi que le rejet implicite de son recours gracieux du 22 juin 2022, et d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de lui accorder ce concours sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2201419 du 31 octobre 2023, le président du tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un pourvoi enregistré le 13 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie agricole du comté de Lohéac demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet François Pinet, avocat de la société Compagnie agricole du Comté de Lohéac.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Compagnie agricole du comté de Lohéac (CACL), par l'intermédiaire d'un huissier de justice, a sollicité du préfet de la Guadeloupe, par un courrier reçu le 10 mars 2022, le concours de la force publique en vue de l'exécution d'une décision d'expulsion prononcée par le juge judiciaire à l'encontre de l'occupant d'une parcelle dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Sainte-Rose. Une décision de refus implicite est née du silence gardé par le préfet sur cette demande le 10 mai suivant. Le même huissier a écrit au sous-préfet de Pointe-à-Pitre un courrier reçu le 22 juin suivant qui, eu égard à ses termes, doit être regardé comme un recours gracieux auprès du préfet contre cette décision. Par une requête enregistrée le 26 décembre 2022, la société CACL a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de ces deux décisions et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guadeloupe, sous astreinte, de lui accorder le concours de la force publique. La société CACL se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 31 octobre 2023 par laquelle le président du tribunal administratif de la Guadeloupe a, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ".

3. En premier lieu, il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de la Guadeloupe que le mémoire en défense du préfet de la Guadeloupe, enregistré le 17 juillet 2023, par lequel ce dernier opposait une fin de non-recevoir à la demande de la société CACL tirée de sa tardiveté, a été communiqué le 24 juillet 2023 à l'intéressée avec les indications suivantes : " Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites (...) dans les meilleurs délais. (...) Afin de ne pas retarder la mise en état d'être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ". De telles indications ne permettaient pas à la société CACL, en l'absence de date déterminée, de connaître de façon certaine le délai dans lequel elle était invitée à produire ses observations en réplique et, en l'absence d'audience, elle n'a pas été mise en mesure de les faire éventuellement valoir avant que le tribunal administratif ne rejette sa demande comme tardive. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que l'ordonnance attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière comme méconnaissant le principe général du caractère contradictoire de la procédure.

4. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Si l'huissier de justice est dans l'obligation de requérir le concours de la force publique, il s'adresse au préfet. (...) / Toute décision de refus de l'autorité compétente est motivée. Le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus ".

6. Enfin, en vertu de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration, toute demande adressée à l'administration fait, sauf exceptions, l'objet d'un accusé de réception. Aux termes de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation ". Aux termes de l'article R. 112-5 : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 (...) indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les délais de recours contre une décision tacite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu à l'article L. 112-3 ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne porte pas les mentions prévues à l'article R. 112-5 et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.

7. Le président du tribunal administratif ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, opposer à la société requérante le non-respect du délai de recours de deux mois prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que ni la réclamation de cette société du 10 mars 2022 ni son recours gracieux du 22 juin 2022 n'avait donné lieu à un accusé de réception indiquant que cette réclamation était susceptible de faire naître une décision implicite de rejet ainsi que la mention des voies et délais de recours contre une telle décision.

8. Il résulte de ce qui précède que la société CACL est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société CACL, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 31 octobre 2023 du président du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Guadeloupe.

Article 3 : L'Etat versera à la société CACL une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Compagnie agricole du comté de Lohéac et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2024 où siégeaient : Mme Laurence Helmlinger, assesseure, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 octobre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Laurence Helmlinger

La rapporteure :

Signé : Mme Amel Hafid

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Pilet


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 490130
Date de la décision : 22/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 oct. 2024, n° 490130
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Amel Hafid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : CABINET FRANÇOIS PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490130.20241022
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