Vu la procédure suivante :
Mme F... K..., Mme C... G... épouse K..., M. J... K..., Mme B... K..., Mme A... K... et Mme L... K... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer leurs préjudices liés à la vaccination de F... K... contre le virus de la grippe H1N1 en décembre 2009. Par un jugement n° 1707309, 1709000 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 19LY00750 du 23 mai 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, sur appel de la famille K..., a condamné l'ONIAM à verser à M. et Mme K..., en qualité de représentants légaux de leur fille F..., la somme de 77 677 euros, outre la somme représentative des frais d'assistance par tierce personne calculée selon les modalités indiquées au point 17 de l'arrêt, la somme de 10 781,14 euros à Mme C... K..., celle de 4 000 euros à M. K... et celle de 2 000 euros chacune à Mmes B..., A... et L... K... et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 juillet 2022, 25 octobre 2022, 4 mars 2024 et 24 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ONIAM demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel des consorts K... ;
3°) de mettre à la charge des consorts K... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat des consorts K....
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que F... K..., née le 23 juin 2005, a été vaccinée les 8 et 28 décembre 2009, dans le cadre d'une campagne de vaccination contre le virus H1N1 avec le vaccin Panenza(r) développé par le laboratoire pharmaceutique " Sanofi Pasteur ". A partir de l'été 2010, elle a présenté des troubles dont ses parents, qui les imputent à cette vaccination, ont demandé l'indemnisation à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique. L'ONIAM, après expertise, a reconnu, par décision du 8 juillet 2015, l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination et la pathologie dont souffre F... K... et lui a proposé une offre d'indemnisation provisionnelle des préjudices temporaires de 180 987,49 euros. Cette offre a été acceptée selon courrier du 28 septembre 2015 et l'indemnité a été versée le 7 octobre suivant. Le 8 juillet 2015 toujours, l'ONIAM a cependant refusé d'indemniser les préjudices propres de Mme C... G... épouse K..., mère de F.... Cette dernière a déféré cette décision au tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande d'indemnisation comme manifestement irrecevable par une ordonnance du 27 septembre 2016, annulée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 9 février 2017 qui a renvoyé l'affaire devant les premiers juges. Parallèlement, par lettre du 19 octobre 2017, l'ONIAM a refusé de procéder à l'indemnisation complémentaire de F... K... qu'il avait primitivement envisagée. F... K..., ses père et mère et ses deux sœurs ont porté leur demande d'indemnisation complémentaire devant le tribunal administratif de Lyon qui, ayant joint les deux instances dont il était saisi, a rejeté les demandes de la famille K... par un jugement du 20 décembre 2018. Par l'arrêt attaqué du 23 mai 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et condamné l'ONIAM à verser à M. et Mme K..., en qualité de représentants légaux de leur fille F..., la somme de 77 677 euros, outre la somme représentative des frais d'assistance par tierce personne calculée selon les modalités indiquées au point 17 de l'arrêt, la somme de 10 781,14 euros à Mme C... K..., celle de 4 000 euros à M. K... et celle de 2 000 euros chacune à Mmes B..., A... et L... K.... L'ONIAM se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : " I. - En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de prévenir et de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population, prescrire : / 1° Toute mesure réglementaire ou individuelle relative à l'organisation et au fonctionnement du système de santé ; (...) ". Sur le fondement de cette disposition, le ministre de la santé et des sports, par un arrêté en date du 4 novembre 2009, a pris des mesures d'urgence pour prévenir les conséquences de la pandémie de grippe A (H1N1), au nombre desquelles la mise en œuvre d'une campagne de vaccination qui a débuté le 20 octobre 2009 pour les professionnels de santé et le 12 novembre 2009 pour l'ensemble de la population.
3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22 ".
4. Il appartient ainsi à l'ONIAM de réparer, en application des dispositions citées au point 3, les conséquences dommageables qui seraient imputables aux vaccinations contre la grippe A réalisées dans le cadre de la campagne prévue par l'arrêté du ministre de la santé et des sports cité au point 2.
5. Aux termes de l'article R. 633-1 du code de justice administrative : " Dans le cas d'une demande en inscription de faux contre une pièce produite, la juridiction fixe le délai dans lequel la partie qui l'a produite sera tenue de déclarer si elle entend s'en servir. / Si la partie déclare qu'elle n'entend pas se servir de la pièce, ou ne fait pas de déclaration, la pièce est rejetée. (...) " Il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Lyon que, le 4 octobre 2021, les Hospices civils de Lyon (HCL), au sein desquels exerce le Pr H... D..., hypnologue, ont avisé l'ONIAM que le certificat médical daté du 23 décembre 2020 et censé émaner de celle-ci avait été falsifié dès lors que ce certificat avait été établi à une date où elle était en congé, que le papier à entête comportait des erreurs et que la signature apposée n'était pas sienne. Le 5 octobre 2021, l'ONIAM a fait état de cette circonstance devant la cour administrative d'appel en demandant le report de la clôture de l'instruction qui était fixée le même jour à 16h30. Puis, par deux requêtes enregistrées les 25 novembre 2021 et 25 janvier 2022, l'ONIAM a présenté des demandes en inscription de faux contre ce certificat, contre six autres pièces également censées émaner du Pr D... dont les HCL lui avaient signalé le caractère douteux dans un courrier du 8 novembre 2021, et enfin, contre l'expertise amiable du Dr E... et du Pr I..., dès lors qu'elle se fondait sur certaines de ces pièces. Ces requêtes ont été communiquées aux consorts K..., qui ont déclaré ne pas s'opposer à ce que les pièces en question soient écartées de la procédure. Par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a écarté des débats les six documents médicaux argués de faux, mais a jugé qu'elle pouvait prendre en compte le rapport d'expertise, dont elle a estimé qu'il ne s'était pas fondé sur les pièces litigieuses et qu'il était corroboré par d'autres documents médicaux versés au dossier.
6. Il ne ressort toutefois d'aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond autres que celles arguées de faux que F... K... était porteuse de l'allèle HLA DR15 DQ-B1*0602, qui est présent chez la quasi-totalité des patients atteints de narcolepsie de type 1, et présentait un taux d'hypocrétine, neurotransmetteur central impliqué dans la régulation du sommeil, de 30 µg/mL, les porteurs d'une narcolepsie de type 1 présentant en général un taux inférieur à 110 µg/mL. Par suite, en estimant que les mentions du rapport d'expertise sur ces deux points, décisifs dans la caractérisation d'une narcolepsie de type 1, ne résultaient pas des pièces litigieuses et étaient corroborées par d'autres éléments, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. L'ONIAM est, par suite, fondé à demander pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l'annulation de l'arrêt attaqué.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge des consorts K... la somme de 3 000 euros à verser à l'ONIAM. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'ONIAM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 mai 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les consorts K... verseront à l'ONIAM une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 4 : Les conclusions des consorts K... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et à Mme C... G... épouse K..., première majeure dénommée.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 octobre 2024 où siégeaient : Mme Laurence Helmlinger, assesseure, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 22 octobre 2024.