Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 6 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros, avec intérêts à compter de la demande indemnitaire, jusqu'au versement effectif de l'intégralité de la somme, et, le cas échéant, capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure engagée devant le tribunal administratif de Marseille l'opposant à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., sage-femme au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice moral qu'elle estime avoir subi en raison de la durée excessive de la procédure qu'elle a engagée devant le tribunal administratif de Marseille à la suite de la décision du 15 septembre 2021 du directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille l'ayant suspendue de ses fonctions.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (...) ". Cette condition de recevabilité de la requête doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle.
3. Mme B... a, par courrier du 17 avril 2024, adressé une réclamation préalable au garde des sceaux, ministre de la justice, dont il a été accusé réception le 18 avril 2024. Le silence gardé sur cette demande pendant deux mois a fait naître une décision implicite de rejet de cette réclamation. L'intervention d'une telle décision en cours d'instance a régularisé la requête. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice ne peut qu'être écartée.
Sur les conclusions à fins d'indemnisation :
4. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.
5. Il résulte de l'instruction que, par une requête enregistrée le 7 octobre 2021 au greffe du tribunal administratif de Marseille, Mme B... a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 septembre 2021 du directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille l'ayant suspendue de ses fonctions pour non-respect de l'obligation vaccinale et ayant interrompu le versement de son traitement. L'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille a produit le 4 février 2022 un mémoire en défense, auquel Mme B... n'a pas répliqué. Alors que ce litige ne présente aucune difficulté particulière, l'affaire n'a pas, à la date de la présente décision, été inscrite au rôle d'une formation de jugement. Dans ces conditions, Mme B... est fondée à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et à demander réparation du préjudice qu'elle a subi de ce fait.
6. Il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice moral de Mme B..., en lui allouant la somme de 500 euros tous intérêts compris à la date de la présente décision.
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que Mme B... demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme B... la somme de 500 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée pour information à la présidente de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2024 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 21 octobre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
Le rapporteur :
Signé : M. Laurent Cabrera
Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune