Vu la procédure suivante :
La présidente du conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires a porté plainte contre la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, Mme J... B..., Mme I... C..., M. D... E..., M. G... F... et Mme H... A... devant la chambre régionale de discipline des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 19 octobre 2020, la chambre régionale de discipline a infligé à la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet et à M. F... la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de trois mois, assortie d'un sursis à hauteur de deux mois, à Mme B..., M. E... et Mme A... la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de soixante jours, assortie d'un sursis à hauteur de cinquante-trois jours, et à Mme C... la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de soixante jours, assortie entièrement du sursis.
Par une décision du 18 mars 2022, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires, sur appel des vétérinaires poursuivis, a confirmé ces sanctions à l'encontre de Mme B..., Mme C..., M. E..., M. F... et Mme A... et a prononcé à l'encontre de la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de trois mois, assortie entièrement du sursis.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 mai et 24 juillet 2022 et 24 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, Mme B..., Mme C..., M. E..., M. F... et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Le droit de l'Union, et plus particulièrement la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, doit-il être interprété en ce sens qu'il permet à un Etat membre d'interdire à des opérateurs économiques ayant une activité de production et de commercialisation d'aliments pour animaux de compagnie de détenir des parts ou actions du capital social d'un établissement vétérinaire ' " ;
4°) de mettre à la charge du conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat du Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, de Mme B..., de Mme C..., de M. E..., de M. F... et de Mme A..., et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires que la société AniCura AB, société de droit suédois, a fait l'acquisition en juin 2018 d'actions représentant 49,99 % du capital social de la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, alors constituée sous forme de société par actions simplifiée avant d'être transformée en société anonyme en juin 2020. A la suite de cette acquisition, la présidente du conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires a porté plainte devant la chambre régionale de discipline des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires contre la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet ainsi que contre les cinq associés de cette société et vétérinaires en exercice en son sein, Mme J... B..., Mme I... C..., M. D... E..., M. G... F... et Mme H... A.... Par une décision du 19 octobre 2020, la chambre régionale de discipline a infligé à la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet et à M. F... la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de trois mois, assortie d'un sursis à hauteur de deux mois, à Mme B..., M. E... et Mme A... la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de soixante jours, assortie d'un sursis à hauteur de cinquante-trois jours, et à Mme C... la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de soixante jours, assortie entièrement du sursis. Par une décision du 18 mars 2022, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a confirmé ces sanctions à l'encontre de Mme B..., Mme C..., M. E..., M. F... et Mme A... et a prononcé à l'encontre de la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet la sanction de la suspension temporaire d'exercice de la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une période de trois mois, assortie entièrement du sursis. La société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, Mme B..., Mme C..., M. E..., M. F... et Mme A... se pourvoient en cassation contre cette décision.
2. Aux termes du II de l'article L. 242-1 du code rural et de la pêche maritime : " L'ordre des vétérinaires veille au respect des principes d'indépendance, de moralité et de probité, à l'observation des règles déontologiques, en particulier du secret professionnel, et à l'entretien des compétences indispensables à l'exercice de la profession de vétérinaire, par les personnes mentionnées aux articles L. 241-1, L. 241-3 et L. 241-17 et par les sociétés de participations financières mentionnées à l'article L. 241-18. / (...) ". Aux termes de l'article L. 241-17 du même code : " I.- Les personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire peuvent exercer en commun la médecine et la chirurgie des animaux dans le cadre : / 1° De sociétés civiles professionnelles régies par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles ; / 2° De sociétés d'exercice libéral ; / 3° De toutes formes de sociétés de droit national ou de sociétés constituées en conformité avec la législation d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen et y ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement, dès lors qu'elles satisfont aux conditions prévues au II du présent article et qu'elles ne confèrent pas à leurs associés la qualité de commerçant. (...) / II. Les sociétés mentionnées au I répondent aux conditions cumulatives suivantes : (...) 2° La détention, directe ou indirecte, de parts ou d'actions du capital social est interdite : / a) Aux personnes physiques ou morales qui, n'exerçant pas la profession de vétérinaire, fournissent des services, produits ou matériels utilisés à l'occasion de l'exercice professionnel vétérinaire (...) ". Aux termes de l'article R. 242-33 de ce code : " I.- L'exercice de l'art vétérinaire est personnel. Chaque vétérinaire est responsable de ses décisions et de ses actes. / II.- Le vétérinaire ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. / III.- Le vétérinaire est tenu de remplir tous les devoirs que lui imposent les lois et règlements. (...) / VI.- Le vétérinaire n'exerce en aucun cas sa profession dans des conditions pouvant compromettre la qualité de ses actes. / VII.- Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur la santé publique notamment en matière d'antibiorésistance. (...) / XVIII.- Le vétérinaire ne peut pratiquer sa profession comme un commerce ni privilégier son propre intérêt par rapport à celui de ses clients ou des animaux qu'il traite. / (...) ".
3. Il résulte des dispositions du a) du 2° du II de l'article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime, citées au point précédent, que la " détention, directe ou indirecte " de parts ou d'actions du capital social de sociétés vétérinaires est interdite aux personnes physiques ou morales qui, n'exerçant pas la profession de vétérinaire, " fournissent des services, produits ou matériels utilisés à l'occasion de l'exercice professionnel vétérinaire ". Ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires préparatoires à la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable dont elles sont issues, doivent être entendues, s'agissant de dispositions d'interdiction, comme n'interdisant aux personnes physiques et morales, fournissant des services, produits ou matériels utilisés à l'occasion de l'exercice professionnel vétérinaire, de détenir, directement ou indirectement, des parts dans une société vétérinaire que pour autant qu'elles possèdent, du fait de telles activités, des intérêts susceptibles d'influencer l'exercice, par les vétérinaires, de la médecine et la chirurgie des animaux et, ce faisant, d'affecter le respect de leurs obligations déontologiques.
4. En l'espèce, il ressort des termes mêmes de sa décision que la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a retenu à l'encontre des requérants deux griefs, dont l'un tiré de ce qu'ils n'ont pas rempli tous les devoirs que leur imposent les lois et règlements dès lors que la participation de la société AniCura AB au capital de la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet est contraire aux dispositions du a) du 2° du II de l'article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime. A ce titre, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si la décision attaquée relève que la société AniCura AB a pour objet de " fournir des services dans le domaine des soins vétérinaires " et " d'offrir des produits de soins vétérinaires " et qu'elle apporte notamment une aide à la sélection des produits utilisés dans l'exercice vétérinaire et à la négociation des prix, les requérants soutenaient, sans être sérieusement contredits, qu'il ne s'agissait que de services de gestion, notamment d'assistance comptable, financière, juridique et administrative ainsi que de marketing et de négociation de prix. En en déduisant que les services fournis par la société AniCura AB à destination de sociétés vétérinaires devaient être regardés comme " utilisés à l'occasion de l'exercice professionnel vétérinaire " et constituaient ainsi une activité prohibée par les dispositions du a) du 2° du II de l'article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime, de sorte que la participation de la société AniCura AB à la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, qui est ainsi illégale, engage la responsabilité disciplinaire tant de cette dernière société que de ses associés vétérinaires, la chambre nationale de discipline a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, ni de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, Mme B..., Mme C..., M. E..., M. F... et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de la décision qu'ils attaquent.
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 18 mars 2022 de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, première requérante dénommée.
Copie en sera adressée au conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires, au Conseil national de l'ordre des vétérinaires et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2024 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Thalia Breton, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 21 octobre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
La rapporteure :
Signé : Mme Thalia Breton
Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune