Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2200833 du 20 février 2024, enregistrée le 23 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée devant ce tribunal par Mme A... B....
Par cette requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au greffe de ce tribunal les 25 mars et 20 septembre 2022 et le 9 février 2024, Mme B... demande au Conseil d'Etat : :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 janvier 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de renouveler sa nomination en qualité de magistrat exerçant à titre temporaire, ainsi que sa décision du 24 mars 2022 rejetant son recours gracieux ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 41-10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Peuvent être nommés magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions ". Aux termes du premier alinéa de l'article 41-12 de la même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. Six mois au moins avant l'expiration de leur premier mandat, ils peuvent en demander le renouvellement. Le renouvellement est accordé de droit sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il est de droit dans la même juridiction ".
2. D'autre part, la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature a, au VIII de son article 39 et au III de son article 50, abrogé, à compter du 1er juillet 2017, les dispositions relatives aux juges de proximité figurant au chapitre V quinquies de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée. Aux termes du II de l'article 50 de cette même loi organique : " Les juges de proximité dont le mandat est en cours à la date de publication de la présente loi organique peuvent être nommés, à leur demande, pour le reste de leur mandat, comme magistrats exerçant à titre temporaire dans le tribunal de grande instance du ressort dans lequel se trouve la juridiction de proximité au sein de laquelle ils ont été nommés, dans les formes prévues à l'article 41-12 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant de la présente loi organique. Leur demande doit intervenir dans le mois suivant la publication de la présente loi organique. Les dispositions relatives à la formation probatoire prévues au même article 41-12 ne leur sont pas applicables. Les dispositions du premier alinéa dudit article 41-12, concernant la nomination pour un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire, leur sont applicables ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, par un décret du Président de la République du 6 octobre 2008, Mme B... a été nommée au tribunal de proximité de Toulon pour y exercer les fonctions de juge de proximité pour un mandat de sept ans non renouvelable, sur le fondement des dispositions alors applicables de l'article 41-19 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Par deux décrets du Président de la République du 14 janvier 2013 et du 11 août 2016 respectivement, Mme B... a été placée, sur sa demande, en position de disponibilité au 1er février 2013 pour une durée de six mois, puis au 1er août 2016 pour une période de six mois. Par un décret du président de la République du 21-avril 2017, Mme B... a été nommée magistrat exerçant à titre temporaire au tribunal de grande instance de Toulon à compter du 1er juillet 2017 pour le reste de son mandat et pour un nouveau mandat, d'une durée de cinq ans. A l'approche du terme de ce mandat, Mme B... a, le 5 novembre 2021, sollicité le renouvellement de ses fonctions de magistrate exerçant à titre temporaire pour une nouvelle période de cinq ans. Par une décision du 24 janvier 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande, au motif qu'elle avait déjà effectué deux mandats en cette qualité. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, ainsi que de celle du 24 mars 2022 rejetant son recours gracieux dirigé contre ce refus.
4. D'une part, en vertu des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, les juges de proximité dont le statut a été abrogé au cours de leur mandat de sept ans non renouvelable et qui ont été, à leur demande, nommés, pour le reste de ce mandat, magistrats à titre temporaire, doivent être regardés comme l'ayant été au titre d'un premier mandat exercé en cette nouvelle qualité, et ce quelle que soit la durée restant à courir de leur mandat initial. Ces mêmes dispositions prévoient que, s'ils la sollicitent, leur nomination au titre d'un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire est soumise aux dispositions du premier alinéa de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, lesquelles précisent notamment que le mandat de magistrat à titre temporaire n'est renouvelable qu'une fois. La possibilité, pour un magistrat exerçant à titre temporaire ayant déjà accompli deux mandats, de faire l'objet d'un nouveau recrutement en cette qualité, qui n'est prévue par aucun texte, aurait pour effet de priver de leur portée ces dispositions.
5. D'autre part, aux termes de l'article 41-20 de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets plaçant la requérante en position de disponibilité pour convenances personnelles : " Les juges de proximité sont soumis au présent statut (...) ". En vertu de l'article 67 de la même ordonnance : " Tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : / 1° En activité ; / 2° En service détaché ; / 3° En disponibilité (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que, le 3 septembre 2016, soit dans le délai d'un mois à compter de la date de publication de la loi organique du 8 août 2016, Mme B... a demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 rappelées au point 2, applicables aux juges de proximité dont le mandat était en cours, du fait de l'abrogation de leur statut. Il ressort de ces mêmes pièces que le 3 janvier 2017, Mme B... a sollicité, en application des dispositions de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, le renouvellement de son mandat en se prévalant de ce qu'il s'était écoulé moins de six mois entre son installation en qualité de magistrat exerçant à titre temporaire et la fin de son mandat. Il est constant que, sur la base de ces demandes, Mme B... a été nommée magistrate à titre temporaire par un décret du Président de la République du 21 avril 2017, avec la précision selon laquelle cette nomination était prononcée " à compter du 1er juillet 2017, pour le reste de [son] mandat et pour un nouveau mandat ".
7. Si la requérante entend faire valoir que, lors de sa nomination en qualité de magistrate exerçant à titre temporaire, son mandat de juge de proximité avait expiré au terme du délai de sept ans initialement fixé, les périodes de mise en disponibilité dont elle a bénéficié, à sa demande, ont eu pour effet de maintenir ce mandat, de sorte que ce dernier était en cours à la date à laquelle elle a demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 en vue d'être nommée magistrate à titre temporaire. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que sa demande de nomination dans un nouveau mandat de magistrat à titre temporaire ne pouvait être légalement satisfaite. Par suite, c'est sans se méprendre sur l'interprétation de ces dispositions et en en faisant une exacte application que le garde des sceaux, ministre de la justice, a par la décision litigieuse du 24 janvier 2022, opposé un refus à la demande de Mme B... au motif qu'elle avait déjà exercé deux mandats, et ne pouvait donc prétendre à un nouveau mandat.
8. Au regard de l'objet des dispositions de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, qui visaient à faciliter l'accès au statut des magistrat exerçant à titre temporaire pour les juges de proximité dont le mandat était en cours en les dispensant des conditions prévues aux articles 41-10 et 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 pour les nouvelles nominations, les juges de proximité en position de disponibilité à la date de l'entrée en vigueur de cette loi ne sont pas placés dans la même situation que les juges de proximité dont le mandat était terminé à cette date, soit du fait de l'arrivée du terme normal de ce mandat, soit du fait de leur démission. Par suite, et en tout état de cause, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées méconnaîtraient les principes d'égalité ou de non-discrimination garantis par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er de son premier protocole additionnel, par l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, par la directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail et par les principes généraux du droit de l'Union.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2024 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 18 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo