Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 30 octobre 2023 et le 30 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Fédération Droit au Logement et le Syndicat de la magistrature demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction adressée le 30 août 2023 par le ministre de l'intérieur et des outre-mer et la secrétaire d'Etat chargée de la ville aux préfets sous le titre " Fermeté systématique envers les délinquants auteurs de violences urbaines " ;
2°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code civil ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carole Hentzgen, auditrice,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la Fédération Droit au Logement et autre.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par une instruction du 30 août 2023 intitulée " Fermeté systématique envers les délinquants auteurs de violences urbaines ", le ministre de l'intérieur demande aux préfets de " mobiliser tous les outils prévus par la loi pour expulser les délinquants des logements sociaux qu'ils occupent ". Il rappelle, en particulier, qu'en vertu de l'article 1728 du code civil et de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, incombe au preneur d'un logement et aux personnes vivant sous son toit l'obligation d'usage paisible des lieux, dont la méconnaissance peut constituer le fondement d'une demande en résiliation du bail. Il ordonne aux préfets de proposer " systématiquement aux bailleurs et au parquet de [leur] département de conclure un protocole d'accord pour échanger les informations nécessaires à la conduite de ces procédures ", d'accorder le concours de la force publique pour l'expulsion des occupants d'un logement dont le bail a été ainsi résilié et de solliciter le bailleur " pour qu'il poursuive la procédure d'expulsion jusqu'à son terme ", " demande le concours de la force publique " et " procède à l'éviction des occupants du logement où réside le fauteur de troubles ".
2. En premier lieu, l'instruction citée au point précédent se borne à demander aux préfets de solliciter les bailleurs sociaux ayant obtenu une décision judiciaire de résiliation de bail contre les personnes qu'elle identifie afin qu'ils en poursuivent l'exécution et d'accorder le concours de la force publique à cette fin. Par suite, l'instruction attaquée ne saurait être regardée comme instituant, au bénéfice des préfets, des pouvoirs de contrôle ou de direction à l'encontre de ces bailleurs ni comme leur permettant de se substituer à ces derniers pour introduire de telles demandes. Le moyen tiré de ce qu'elle serait, pour ce motif, entachée d'erreur de droit et d'incompétence doit ainsi être écarté.
3. En deuxième lieu, le préfet étant, en vertu de l'article 72 de la Constitution, le représentant dans le département de chacun des membres du Gouvernement et y ayant la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois, le moyen tiré de ce que l'instruction attaquée méconnaîtrait sa compétence en mettant à sa charge des démarches auprès des bailleurs sociaux pour les inciter à rechercher l'expulsion de certains occupants dont la résiliation du bail a été prononcée par le juge judiciaire, eu égard à l'intérêt qui s'attache à la disponibilité des logements sociaux ainsi qu'à l'exécution des décisions de justice, ne peut qu'être écarté.
4. En troisième lieu, si l'instruction attaquée demande aux préfets d'entreprendre les démarches rappelées au point 1 lorsque des actes délictuels ou criminels, dans des domaines qu'elle énumère, ont été commis " à proximité du lieu d'habitation ", elle n'a pas pour objet et ne pourrait légalement avoir pour effet d'étendre l'action en résiliation du bail à des faits ne pouvant être regardés comme constitutifs d'un manquement des preneurs à leur obligation d'user paisiblement de la chose louée et de ses accessoires, qu'il appartient au demeurant au seul juge judiciaire de caractériser. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'instruction attaquée aurait pour effet de détourner l'action judiciaire en résiliation à des fins qui lui sont étrangères et serait, pour ce motif, entachée d'erreur de droit, d'erreur manifeste d'appréciation, de détournement de procédure et d'incompétence.
5. Enfin, toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette exécution. Toutefois, des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire statuant sur la demande d'expulsion ou sur la demande de délai pour quitter les lieux et telles que l'exécution de l'expulsion serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique.
6. Contrairement à ce que soutiennent l'association Fédération Droit au Logement et autre, l'instruction attaquée n'a pas pour objet et ne saurait légalement avoir pour effet de permettre aux préfets d'accorder le concours de la force publique en méconnaissance des principes rappelés au point précédent. Le moyen tiré de ce qu'elle serait, pour ce motif, entachée d'erreur de droit et d'incompétence doit donc être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que l'association Fédération Droit au Logement et autre ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'instruction qu'ils attaquent. Leur requête ne peut donc qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Fédération Droit au Logement et autre est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Fédération Droit au Logement, première requérante dénommée et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Carole Hentzgen, auditrice-rapporteure.
Rendu le 8 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Carole Hentzgen
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet