Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 décembre 2023 et les 11 mars et 19 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° CS 2023-33 du 8 novembre 2023 par laquelle la commission des sanctions de l'AFLD a relaxé Mme A... B... des poursuites engagées par l'AFLD et de prononcer à son encontre les mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 du code du sport pour une durée de deux ans, ainsi que l'annulation de ses résultats individuels ;
2°) à titre subsidiaire, de prononcer toute autre sanction ;
3°) d'ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site de l'AFLD pendant la durée de la suspension ;
4°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du sport ;
- le décret n° 2021-1776 du 23 décembre 2021 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris le 14 novembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Eche, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a, par une décision du 8 novembre 2023, relaxé Mme B... des poursuites engagées contre elle par le collège de l'AFLD pour violation présumée des dispositions du I de l'article L. 232-9 du code du sport. La présidente de l'AFLD demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision et de prononcer à l'encontre de Mme B... une mesure de suspension d'une durée de deux ans, ainsi que l'annulation de ses résultats individuels, et d'ordonner la publication de sa décision sur le site de l'agence pendant cette durée.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes du I de l'article L. 232-9 du code du sport : " I. - Est interdite la présence, dans l'échantillon d'un sportif, des substances figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article, de leurs métabolites ou de leurs marqueurs. Il incombe à chaque sportif de s'assurer qu'aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. / La violation de l'interdiction mentionnée à l'alinéa précédent est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu'il y ait lieu de faire la preuve que l'usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel ou a résulté d'une faute ou d'une négligence du sportif ". Le dernier alinéa du même article dispose que : " La liste des interdictions mentionnées au présent article est la liste énumérant les substances et méthodes interdites élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait. Elle est publiée au Journal officiel de la République française ".
3. Aux termes de l'article L. 232-21 du code du sport : " La violation des dispositions du présent titre peut emporter pour son auteur une ou plusieurs des conséquences suivantes : / 1° La suspension définie au 2° du I de l'article L. 232-23 ; / (...) / 3° La publication de la décision de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage ". Aux termes de l'article L. 232-23 du même code : " I. - La commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage peut prononcer à l'encontre des personnes ayant enfreint les dispositions des articles L. 232-9 (...) : (...) / 2° Une suspension temporaire ou définitive : / a) De participer, à quelque titre que ce soit, à une compétition autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, par une fédération sportive, ou donnant lieu à remise de prix en argent ou en nature ; / b) De participer à toute activité, y compris les entraînements, stages ou exhibitions, autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, ou par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes reconnus d'éducation ou de réhabilitation en lien avec la lutte contre le dopage ; / c) D'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération sportive, d'une ligue professionnelle, d'une organisation signataire du code mondial antidopage ou de l'un de leurs membres ; / d) Et de prendre part à toute activité sportive impliquant des sportifs de niveau national ou international et financée par une personne publique (...) ".
4. Aux termes du I de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport : " (...) la durée des mesures de suspension mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 (...) : (...) 2° Est de deux ans lorsque ce manquement implique une substance ou méthode spécifiée. Cette durée est portée à quatre ans lorsqu'il est démontré par l'Agence française de lutte contre le dopage que le sportif a eu l'intention de commettre ce manquement (...) ".
5. Toutefois, aux termes du I de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport : " Lorsque l'intéressé établit dans un cas particulier l'absence de faute ou de négligence de sa part, la période de suspension prévue aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 n'est pas applicable ". En outre, le II de l'article L. 232-23-3-10 du même code dispose que " La durée des mesures de suspension prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 peut être réduite dans les conditions suivantes, qui s'excluent mutuellement : 1° Lorsque la violation implique une substance ou une méthode spécifiée autre qu'une substance d'abus, ou lorsque la substance interdite détectée, autre qu'une substance d'abus, provient d'un produit contaminé, et que l'intéressé peut établir son absence de faute ou de négligence significative, la sanction est au minimum un avertissement et au maximum une suspension d'une durée de deux ans, en fonction du degré de sa faute ; (...) / 3° (...) lorsque la violation implique l'absence de soumission au prélèvement d'un échantillon ou la présence dans un échantillon, l'usage, ou la possession non-intentionnels d'une substance ou d'une méthode interdite, si le sportif peut établir son absence de faute ou de négligence significative, la durée de suspension applicable peut être réduite en fonction du degré de faute, sans toutefois être inférieure à la moitié de la période de suspension normalement applicable. (...) / La durée des mesures de suspension prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-9 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité ".
6. Pour l'application de ces dispositions, l'article L. 230-7 de ce code renvoie aux définitions de l'absence de faute ou de négligence, de l'absence de faute ou de négligence significative et de la personne protégée qui figurent à l'annexe 1 du code mondial antidopage, dans sa version en vigueur au 1er janvier 2021 : " Absence de faute ou de négligence : Démonstration par le sportif ou l'autre personne du fait qu'il/elle ignorait, ne soupçonnait pas, ou n'aurait pas pu raisonnablement savoir ou soupçonner, même en faisant preuve de la plus grande vigilance, qu'il/elle avait utilisé ou s'était fait administrer une substance interdite ou une méthode interdite ou avait commis d'une quelconque façon une violation des règles antidopage. Sauf dans le cas d'une personne protégée ou d'un sportif de niveau récréatif, pour toute violation de l'article 2.1 [présence d'une substance interdite dans un échantillon fourni par le sportif], le sportif doit également établir de quelle manière la substance interdite a pénétré dans son organisme. / Absence de faute ou de négligence significative : Démonstration par le sportif ou l'autre personne du fait qu'au regard de l'ensemble des circonstances, et compte tenu des critères retenus pour l'absence de faute ou de négligence, sa faute ou sa négligence n'était pas significative par rapport à la violation des règles antidopage commise. Sauf dans le cas d'une personne protégée ou d'un sportif de niveau récréatif, pour toute violation de l'article 2.1, le sportif doit également établir de quelle manière la substance interdite a pénétré dans son organisme. (...) Personne protégée : Sportif ou autre personne physique qui, au moment de la violation des règles antidopage, (i) n'a pas atteint l'âge de seize (16) ans, (ii) n'a pas atteint l'âge de dix-huit (18) ans et n'est pas inclus(e) dans un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles et n'a jamais concouru dans une manifestation internationale dans une catégorie ouverte, ou (iii) est considéré(e) comme privé(e) de capacité juridique selon le droit national applicable, pour des raisons sans rapport avec l'âge ".
7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsqu'un manquement aux dispositions du I de l'article L. 232-9 du code du sport a été constaté, le sportif mis en cause doit, pour pouvoir bénéficier de l'application de l'exonération, de l'échelle spécifique de sanctions ou de la réduction de la période de suspension prévues respectivement au I et aux 1° et 3° du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, établir, d'une part, sauf dans le cas d'une personne dite protégée ou d'un sportif de niveau dit récréatif, de quelle manière la substance interdite a pénétré dans son organisme, d'autre part, qu'il ignorait, ne soupçonnait pas, ou n'aurait pas pu raisonnablement savoir ou soupçonner, même en faisant preuve de la plus grande vigilance, qu'il avait utilisé ou s'était fait administrer une substance interdite ou, le cas échéant, que sa faute ou sa négligence n'était pas significative par rapport au manquement commis.
Sur le litige :
8. Il résulte de l'instruction que Mme B... a fait l'objet d'un contrôle antidopage le 2 novembre 2023 à Sorgues (Vaucluse), à l'occasion d'un stage de l'équipe de France de BMX " Racing ". Les analyses effectuées par le laboratoire antidopage français à la suite de ce contrôle ont fait ressortir la présence dans ses urines de chlortalidone, substance dite spécifiée, appartenant à la classe S5 des diurétiques et agents masquants figurant sur la liste des substances interdites en permanence annexée au décret du 23 décembre 2021 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport. L'AFLD a engagé des poursuites à l'encontre de l'intéressée pour une violation présumée des dispositions du I de l'article L. 232-9 du code du sport.
9. Après avoir constaté que l'infraction poursuivie était constituée, la commission des sanctions a fait application des dispositions du I de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, aux termes desquelles la période de suspension prévue par l'article L. 232-23-3-3 n'est pas applicable lorsque l'intéressé établit dans un cas particulier l'absence de faute ou de négligence de sa part, en relevant d'une part, que les résultats négatifs d'une analyse capillaire démontraient que Mme B... n'avait pas eu recours à un usage répété de cette substance, d'autre part, qu'il était improbable qu'elle ait décidé de s'engager dans une démarche dopante, au regard de la gravité des conséquences auxquelles une suspension l'exposait, pour des gains insignifiants. Elle en a déduit que Mme B... devait être regardée comme ayant établi de manière suffisante que la présence de la substance interdite était " le fruit d'une contamination accidentelle d'origine alimentaire ou environnementale qui ne procède d'aucune faute ou négligence de sa part ". En statuant ainsi, alors que l'intéressée ne formulait que des hypothèses peu étayées et n'établissait pas de quelle manière cette substance était entrée dans son organisme, la commission des sanctions a méconnu les dispositions combinées du I de l'article L. 232-23-3-10 et L. 232-7 du code du sport.
10. En application du I de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport, la durée de la période de suspension à laquelle le manquement relevé à son encontre expose Mme B... est, s'agissant d'une substance spécifiée, de deux ans. Il ne résulte pas des éléments versés dans le cadre de l'instruction que Mme B... établirait, conformément à ce qui a été dit au point 7, pouvoir bénéficier des dispositions du I ou des 1° ou 3° du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport.
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, au regard du principe de proportionnalité, de prononcer à l'encontre de Mme B... une sanction d'interdiction, pendant une durée de deux ans à compter de la date de notification de la présente décision, de participer, à quelque titre que ce soit, à une compétition autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, par une fédération sportive, ou donnant lieu à remise de prix en argent ou en nature, de participer à toute activité, y compris les entraînements, stages ou exhibitions, autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, ou par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes reconnus d'éducation ou de réhabilitation en lien avec la lutte contre le dopage, d'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération sportive, d'une ligue professionnelle, d'une organisation signataire du code mondial antidopage ou de l'un de leurs membres et de prendre part à toute activité sportive impliquant des sportifs de niveau national ou international et financée par une personne publique.
12. En application de l'article L. 232-23-6 du code du sport, il y a lieu d'ordonner la publication de la présente décision sur le site internet de l'AFLD pour la durée de la suspension prononcée.
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par la présidente de l'AFLD au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'AFLD, qui n'est pas la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Une sanction d'interdiction, pendant une durée de deux ans, de participer, à quelque titre que ce soit, à une compétition autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, par une fédération sportive, ou donnant lieu à remise de prix en argent ou en nature, de participer à toute activité, y compris les entraînements, stages ou exhibitions, autorisée ou organisée par une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de ses membres, par une ligue professionnelle ou une organisation responsable de manifestations internationales ou nationales non signataires, ou par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes reconnus d'éducation ou de réhabilitation en lien avec la lutte contre le dopage, d'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération sportive, d'une ligue professionnelle, d'une organisation signataire du code mondial antidopage ou de l'un de leurs membres et de prendre part à toute activité sportive impliquant des sportifs de niveau national ou international et financée par une personne publique, est prononcée à l'encontre de Mme B....
Article 2 : La décision du 8 novembre 2023 de la commission des sanctions de l'AFLD est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 3 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'AFLD.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par l'AFLD est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'Agence française de lutte contre le dopage et à Mme A... B....
Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Julien Eche, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 1er octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Eche
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard