La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/07/2024 | FRANCE | N°494688

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 26 juillet 2024, 494688


Vu la procédure suivante :



La Ligue des droits de l'homme et l'association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Nice en date du 26 avril 2024 interdisant, de 23 heures à 6 heures, durant la période du 1er mai au 31 août 2024, la circulation sur la voie publique, dans certains secteurs de la ville, des mineurs âgés de moins de 13 ans

non accompagnés d'une personne majeure ainsi que celle des mineurs âgés de...

Vu la procédure suivante :

La Ligue des droits de l'homme et l'association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Nice en date du 26 avril 2024 interdisant, de 23 heures à 6 heures, durant la période du 1er mai au 31 août 2024, la circulation sur la voie publique, dans certains secteurs de la ville, des mineurs âgés de moins de 13 ans non accompagnés d'une personne majeure ainsi que celle des mineurs âgés de moins de 16 ans dans le secteur du quartier des Moulins. Par une ordonnance n°s 2402344 et 2402348 du 24 mai 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai et 18 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nice la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de L'homme et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Nice ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2024, présentée par la Ligue des droits de l'homme ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté en date du 26 avril 2024, le maire de Nice a interdit la circulation sur la voie publique, de 23 heures à 6 heures durant la période du 1er mai au 31 août 2024, à, d'une part, tout mineur âgé de moins de 13 ans et non accompagné d'une personne majeure dans plusieurs secteurs de la ville (Las planas, l'Ariane, Bon voyage, Pasteur, B... A..., Pilatte-Lorrain, Trachel Gare du Sud, Centre-ville Vieux Nice, Madeleine, Jean Vigo) et, d'autre part, tout mineur de moins de 16 ans dans le secteur du quartier des Moulins. La Ligue des droits de l'homme demande l'annulation de l'ordonnance du 24 mai 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". L'article L. 2212-2 du même code précise que : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ; / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (...) ".

4. L'article L. 2214-4 du même code prévoit que : " Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, tel qu'il est défini au 2° de l'article L. 2212-2 et mis par cet article en règle générale à la charge du maire, incombe à l'Etat seul dans les communes où la police est étatisée, sauf en ce qui concerne les troubles de voisinage. / Dans ces mêmes communes, l'Etat a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes. / Tous les autres pouvoirs de police énumérés aux articles L. 2212-2, L. 2212-3 et L. 2213-9 sont exercés par le maire y compris le maintien du bon ordre dans les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ". Enfin, l'article R. 2214-1 du même code dispose que : " Les communes chefs-lieux de département sont placées sous le régime de la police d'Etat ".

5. Ni les pouvoirs de police générale que l'Etat peut exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ni l'article 371-1 du code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l'enfant sont confiées par la loi à ses parents, qui ont à son égard droit et devoir d'éducation, ni les articles 375 à 375-9 du même code selon lesquels l'autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents et si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, prononcer des mesures d'assistance éducative, ni l'article L. 132-8 du code de la sécurité intérieure qui prévoit la possibilité pour le représentant de l'Etat dans le département de prendre des mesures restreignant la liberté d'aller et de venir des mineurs de treize ans la nuit en cas de risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité, ne font obstacle à ce que, tant pour contribuer à la protection des mineurs que pour prévenir les troubles à l'ordre public qu'ils sont susceptibles de provoquer, l'autorité investie du pouvoir de police générale découlant des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales en fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières. Toutefois, la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l'objectif pris en compte et proportionnées.

6. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales ne font pas obstacle à ce que le maire d'une commune dans laquelle la police est étatisée fasse usage, sous les conditions et pour les motifs exposés au point précédent, de son pouvoir de police générale pour restreindre la liberté de circulation des mineurs, dès lors que les mesures ainsi adoptées n'ont pas pour seul objet la répression des atteintes à la tranquillité publique au sens du premier alinéa de cet article.

7. Il ressort des pièces du dossier que le maire de Nice a pris l'arrêté dont la suspension est demandée afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique en limitant l'exposition des mineurs visés par cette mesure à certains faits de délinquance ainsi que la commission de tels faits par ces mineurs. En ne relevant pas d'office le moyen tiré de que le maire était incompétent pour prendre l'arrêté contesté au motif que la police de cette commune, chef-lieu du département des Alpes-Maritimes, est étatisée, le juge des référés, au regard de son office, n'a donc pas entaché son ordonnance d'erreur de droit.

8. En second lieu, il ressort de l'ordonnance attaquée que, pour juger que le moyen de l'association requérante, selon lequel aucun élément précis et circonstancié ne serait de nature à étayer l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public auxquels les mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs concernés par l'arrêté litigieux, n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la mesure litigieuse, le juge des référés a relevé que les données chiffrées produites par la commune de Nice faisaient état, au sein de cette commune, d'un nombre de victimes d'infractions pour 1 000 habitants supérieur à la moyenne française en 2023, que le nombre de mineurs de treize ans interpellés par les services de la police municipale sur les quatre premiers mois de l'année 2024 avait augmenté de 50 % par rapport à la même période en 2023 et que les mineurs représentaient 52 % des mis en cause dans les interpellations liées au trafic de stupéfiants dans le quartier des Moulins. En statuant ainsi, par une ordonnance suffisamment motivée, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

9. Il résulte de ce qui précède que la Ligue des droits de l'homme n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Nice, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Nice au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la Ligue des droits de l'homme est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Nice présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et à la commune de Nice.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 26 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

Le secrétaire :

Signé : M. Brian Bouquet


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 494688
Date de la décision : 26/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2024, n° 494688
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP SPINOSI ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:494688.20240726
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award