Vu la procédure suivante :
La Ligue des droits de l'homme a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Béziers en date du 22 avril 2024 interdisant la circulation sur la voie publique, de 23 heures à 6 heures, durant la période du 22 avril au 30 septembre 2024, de tout mineur âgé de moins de 13 ans et non accompagné d'une personne majeure, dans les périmètres des quartiers prioritaires de la ville. Par une ordonnance n° 2402422 du 15 mai 2024, le juge des référés a rejeté sa demande.
Par un pourvoi, enregistré le 22 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Béziers la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la commune de Béziers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2024, présentée par la Ligue des droits de l'homme ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté en date du 22 avril 2024, le maire de Béziers a interdit la circulation sur la voie publique, de 23 heures à 6 heures durant la période du 22 avril au 30 septembre 2024, de tout mineur âgé de moins de 13 ans et non accompagné d'une personne majeure, dans les périmètres des trois secteurs de la commune classés " quartiers prioritaires de la ville ". La Ligue des droits de l'homme demande l'annulation de l'ordonnance du 15 mai 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". L'article L. 2212-2 du même code précise que : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (...) ".
4. Ni les pouvoirs de police générale que l'Etat peut exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ni l'article 371-1 du code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l'enfant sont confiées par la loi à ses parents, qui ont à son égard droit et devoir d'éducation, ni les articles 375 à 375-9 du même code selon lesquels l'autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents et si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, prononcer des mesures d'assistance éducative, ni l'article L. 132-8 du code de la sécurité intérieure qui prévoit la possibilité pour le représentant de l'Etat dans le département de prendre des mesures restreignant la liberté d'aller et de venir des mineurs de treize ans la nuit en cas de risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité, ne font obstacle à ce que, tant pour contribuer à la protection des mineurs que pour prévenir les troubles à l'ordre public qu'ils sont susceptibles de provoquer, l'autorité investie du pouvoir de police générale découlant des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales en fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières. Toutefois, la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l'objectif pris en compte et proportionnées.
5. Il ressort de l'ordonnance attaquée que, pour juger que le moyen de l'association requérante, selon lequel aucun élément précis et circonstancié ne serait de nature à étayer l'existence de risques particuliers de troubles à l'ordre public relatifs aux mineurs, n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux, en l'état de l'instruction, quant à la légalité de la mesure litigieuse, le juge des référés a relevé que les éléments produits par la commune de Béziers faisant état, d'une part, d'un nombre de victimes pour 1 000 habitants d'infractions de destructions et dégradations, trafic de stupéfiants, coups et blessures volontaires et vols sans violence supérieur dans cette commune à la moyenne française en 2023 et, d'autre part, de la présence et de l'interpellation, depuis début 2024, de mineurs, y compris de moins de 13 ans, dans les secteurs et aux heures concernés par l'arrêté dont la suspension lui était demandée, permettaient de caractériser l'existence de risques de troubles à l'ordre public auxquels les mineurs, en particulier de moins de 13 ans, seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs. En statuant ainsi, par une ordonnance suffisamment motivée, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.
6. Il résulte de ce qui précède que la Ligue des droits de l'homme n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Béziers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Béziers au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la Ligue des droits de l'homme est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Béziers présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et à la commune de Béziers.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 26 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Bachschmidt
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet