Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 27 décembre 2023 par lequel le ministre de l'intérieur et des outre-mer a suspendu son traitement à compter du 1er décembre 2023 pour absence de service fait. Par une ordonnance n° 2402290 du 3 avril 2024, le juge des référés a fait droit à cette demande à compter du 4 décembre 2023 jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande d'annulation de cet arrêté ou jusqu'au terme du congé maladie de la requérante.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 avril et 31 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de Mme A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que Mme B... A..., technicienne de police technique et scientifique de la police nationale, a été placée sous contrôle judiciaire par une ordonnance d'une juge d'instruction du tribunal judiciaire de Marseille en date du 1er décembre 2023 avec interdiction de se livrer à toute activité professionnelle au sein du laboratoire de police scientifique de Marseille et d'entrer en contact, de quelque façon que ce soit, pendant toute l'information judiciaire, avec un certain nombre de personnes nominativement désignées et plus largement avec l'ensemble des professionnels travaillant au sein de la division " identification de la personne " de ce laboratoire. Il en ressort également que Mme A... a été placée en congé de maladie ordinaire de façon renouvelée à compter du 4 décembre 2023. Par un arrêté du 27 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a suspendu le traitement de l'intéressée à compter du 1er décembre 2023 pour absence de service fait. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 3 avril 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi par Mme A... sur le fondement des dispositions citées au point 1, a suspendu l'exécution de cet arrêté en tant qu'il suspend le traitement de l'intéressée à compter du 4 décembre 2023, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande d'annulation de cet arrêté ou jusqu'au terme de son congé maladie.
3. Aux termes de l'article L. 712-1 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire a droit, après service fait, à une rémunération comprenant : / 1° Le traitement ; / 2° L'indemnité de résidence ; / 3° Le supplément familial de traitement ; / 4° Les primes et indemnités instituées par une disposition législative ou réglementaire. " Aux termes de l'article L. 711-1 du même code : " La rémunération des agents publics exigible après service fait est liquidée selon les modalités édictées par la réglementation sur la comptabilité publique. " Aux termes de l'article L. 711-2 du même code : " Il n'y a pas service fait : / 1° Lorsque l'agent public s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de service ; / 2° Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie de ses obligations de service." Par ailleurs, aux termes de l'article L. 822-1 du même code : " Le fonctionnaire en activité a droit à des congés de maladie lorsque la maladie qu'il présente est dûment constatée et le met dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. " Aux termes de l'article L. 822-3 du même code : " Au cours de la période définie à l'article L. 822-2, le fonctionnaire en congé de maladie perçoit : / 1° Pendant trois mois, l'intégralité de son traitement ; / 2° Pendant les neuf autres mois, la moitié de son traitement. / Il conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. "
4. D'une part, les dispositions de l'article L. 822-3 du code général de la fonction publique selon lesquelles le fonctionnaire conserve, selon la durée du congé, l'intégralité ou la moitié de son traitement, ont pour seul objet de compenser la perte de rémunération due à la maladie en apportant une dérogation au principe posé par l'article L. 712-1 du même code subordonnant le droit au traitement au service fait. Elles ne peuvent avoir pour effet d'accorder à un fonctionnaire bénéficiaire d'un congé de maladie des droits à rémunération supérieurs à ceux qu'il aurait eus s'il n'en avait pas bénéficié.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que si Mme A... n'avait pas été placée en congé de maladie le 4 décembre 2023, elle n'aurait pu, en tout état de cause, percevoir son traitement en raison de l'interdiction professionnelle attachée à la mesure de contrôle judiciaire dont elle faisait l'objet depuis le 1er décembre 2023, qui s'opposait à ce qu'elle exerce ses fonctions au sein du laboratoire de police technique et scientifique de Marseille. Le versement d'une rémunération au titre de son congé maladie aurait donc pour effet, en méconnaissance de la règle ci-dessus énoncée, de lui accorder des droits supérieurs à ceux auxquels elle aurait pu prétendre si elle n'avait pas bénéficié d'un tel congé.
6. D'autre part, si l'article L. 531-1 du même code prévoit que " le fonctionnaire, auteur d'une faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois ", ces dispositions, contrairement à ce que soutient Mme A... en défense, ne font pas obligation à l'administration de prononcer la suspension qu'elles prévoient à la suite d'une faute grave et ne l'empêchent pas d'interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement du traitement d'un fonctionnaire pour absence de service fait, notamment lorsque ce dernier fait l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d'exercer ses fonctions.
7. Enfin, si tout fonctionnaire en activité tient de son statut, sous réserve de dispositions statutaires particulières, le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, la décision par laquelle l'autorité administrative interrompt le versement du traitement d'un fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d'exercer ses fonctions a pour seul objet de tirer les conséquences, sur le plan comptable, de l'absence de service fait, conformément à l'article L. 712-1 du code de la fonction publique précité. Par suite, les moyens, invoqués en défense par Mme A..., tirés de ce qu'une telle décision serait illégale, faute pour l'administration de lui avoir proposé une affectation compatible avec les termes de son contrôle judiciaire ou en raison de son application rétroactive à compter de la date d'effet de la décision judiciaire d'interdiction, sont inopérants.
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 711-2 du code général de la fonction publique était de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué en tant qu'il suspend le traitement pour absence de service fait de Mme A... à compter du 4 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a entaché son ordonnance d'une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à en demander l'annulation.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. Les moyens invoqués par Mme A... à l'appui de sa demande et tirés de ce que l'arrêté en litige méconnaîtrait le droit à la protection de la santé consacré par les préambules des Constitutions des 27 octobre 1946 et 4 octobre 1958, par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par la Charte sociale européenne en matière de santé, méconnaîtrait les articles L. 711-1 et suivants du code général de la fonction publique, serait entaché d'une erreur de droit, en tant qu'il suspend son traitement y compris après qu'elle a été placée en congé de maladie, serait entaché de détournement de pouvoir et aurait été signé par une autorité incompétente ne paraissent pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. L'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, la demande présentée par Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille doit donc être rejetée.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 3 avril 2024 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 4 juillet 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat et Mme Coralie Albumazard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 25 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Coralie Albumazard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet