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25/07/2024 | FRANCE | N°492943

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 25 juillet 2024, 492943


Vu la procédure suivante :



Par un mémoire, enregistré le 5 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Reconquête demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2024 par laquelle le président de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 20 000 euros, de renvoyer au Conse

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 5 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Reconquête demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 25 janvier 2024 par laquelle le président de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 20 000 euros, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 22-1 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Griel, avocat de l'association Reconquête ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 22-1 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction applicable au litige : " Le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés peut, lorsqu'il estime que les conditions mentionnées aux deuxième et troisième alinéas sont réunies, engager les poursuites selon une procédure simplifiée. Le président de la formation restreinte ou l'un de ses membres désigné à cet effet statue seul sur l'affaire. / Le président de la commission peut engager les poursuites selon la procédure simplifiée lorsqu'il estime que les mesures correctrices prévues aux 1°, 2° et 7° du III de l'article 20 constituent la réponse appropriée à la gravité des manquements constatés, sous réserve que l'amende administrative encourue, mentionnée au 7° du même III, n'excède pas un montant de 20 000 € et que l'astreinte encourue, mentionnée au 2° dudit III, n'excède pas un montant de 100 € par jour de retard à compter de la date fixée par la décision. / En outre, le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ne peut engager les poursuites selon la procédure simplifiée que lorsque l'affaire ne présente pas de difficulté particulière, eu égard à l'existence d'une jurisprudence établie, des décisions précédemment rendues par la formation restreinte de la commission ou de la simplicité des questions de fait et de droit qu'elle présente à trancher. / Le président de la formation restreinte ou le membre qu'il a désigné peut, pour tout motif, refuser de recourir à la procédure simplifiée ou l'interrompre. Dans ce cas, le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés reprend la procédure conformément aux exigences et aux garanties prévues à l'article 22. / Le président de la formation restreinte ou le membre qu'il a désigné statue sur la base d'un rapport établi par un agent des services de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, habilité dans les conditions définies au dernier alinéa de l'article 10 et placé, pour l'exercice de cette mission, sous l'autorité du président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / Le rapport mentionné au cinquième alinéa du présent article est notifié au responsable de traitement ou au sous-traitant, qui est informé du fait qu'il peut se faire représenter ou assister, présenter des observations écrites et demander à être entendu. Le président de la formation restreinte ou le membre qu'il a désigné peut solliciter les observations de toute personne pouvant contribuer à son information. Il statue ensuite et ne peut rendre publiques les décisions qu'il prend. (...) / Les modalités de mise en œuvre de la procédure simplifiée ainsi que les garanties applicables en matière de prévention des conflits d'intérêts pour les agents désignés rapporteurs sont fixées par décret en Conseil d'Etat ".

3. L'association requérante soutient que ces dispositions portent atteinte à la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration d 26 août 1789 et au principe d'égalité devant la justice, en ce qu'elles ne définissent pas les conditions de recours à la procédure simplifiée sur la base de critères objectifs et rationnels, ne permettent pas à la personne poursuivie de s'opposer au recours à cette procédure simplifiée et de demander l'application de la procédure ordinaire et attribuent un pouvoir de sanction à une personne seule, qui n'a pas la qualité de magistrat.

4. En vertu de l'article 6 de la Déclaration du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En vertu de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative ou publique indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En outre, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

5. En premier lieu, par les dispositions contestées, le législateur a entendu, dans un objectif de bonne administration, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, en instaurant une procédure simplifiée de sanction, faciliter et accélérer le traitement des dossiers peu complexes, de faible gravité et présentant des enjeux limités. Pour pouvoir recourir à cette procédure, il a fixé des critères cumulatifs tenant à la gravité des manquements constatés et à la difficulté de l'affaire. D'une part, ces manquements ne peuvent justifier qu'un rappel à l'ordre ou une injonction de mise en conformité ainsi qu'une amende administrative d'un montant ne pouvant excéder 20 000 euros. D'autre part, l'affaire ne doit pas présenter de difficulté particulière, eu égard à l'existence d'une jurisprudence établie, des décisions précédemment rendues par la formation restreinte de la commission ou de la simplicité des questions de fait et de droit qu'elle présente à trancher. En retenant de tels critères, qui sont suffisamment précis et définis de façon objective et rationnelle, le législateur n'a pas instauré de distinctions injustifiées.

6. En deuxième lieu, aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle n'exige, dans le cadre d'une procédure de sanction, la faculté pour la personne poursuivie de choisir la procédure qui lui sera appliquée. En tout état de cause, dans le cadre résultant de l'article 22-1 de la loi du 6 janvier 1978, le président de la formation restreinte ou le membre qu'il a désigné peut, pour tout motif, refuser de recourir à la procédure simplifiée ou l'interrompre, impliquant dès lors le retour à la procédure ordinaire.

7. En troisième lieu, il ne résulte d'aucun principe ni d'aucune règle de valeur constitutionnelle qu'une sanction doive être prise par une formation collégiale ou qu'elle ne puisse être prise par une personne statuant seule que si celle-ci a la qualité de magistrat.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question, soulevée par l'association requérante, de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la procédure simplifiée prévue par l'article 22-1 de la loi du 6 janvier 1978, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il y n'a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ainsi invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Reconquête.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Reconquête, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 25 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

Le secrétaire :

Signé : M. Brian Bouquet


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 492943
Date de la décision : 25/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2024, n° 492943
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP LE GRIEL

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492943.20240725
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