Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de lui communiquer le dossier de sa demande de visa et d'enjoindre à ce ministre de réexaminer sa demande de communication, dans un délai de sept jours et sous astreinte de cent euros par jour de retard. Par une ordonnance no 2401810/5 du 13 février 2024, le juge des référés a suspendu l'exécution de la décision en litige, enjoint au ministre de réexaminer la demande dans un délai de deux mois et rejeté les conclusions aux fins d'astreinte.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 février, 14 mars et 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Poirson, auditrice,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "
2. M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de lui communiquer le dossier de sa demande de visa dit " asile " et d'enjoindre à ce ministre de réexaminer, sous astreinte, sa demande de communication. Le ministre se pourvoit en cassation contre l'ordonnance 13 février 2024 par laquelle le juge des référés a suspendu l'exécution du refus en litige et lui a enjoint de réexaminer la demande.
3. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-5 du même code : " Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge, d'apprécier de façon objective et quels que soient les motifs pour lesquels le demandeur sollicite la communication d'un document administratif si, eu égard au contenu de celui-ci et aux utilisations que pourrait en faire toute personne susceptible de le demander, cette communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure. La circonstance qu'un document ne contient pas d'informations traitant de la conduite de la politique extérieure de la France ne permet pas, à elle seule, d'écarter le risque d'atteinte à cet intérêt.
4. Aux termes de l'article L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
5. D'une part, le dossier d'une demande de visa présente le caractère d'un document administratif, en principe communicable en vertu de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration cité au point 4. Il appartient à l'autorité administrative d'apprécier au cas par cas si la communication de son contenu serait de nature, en tout ou partie, à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 précités, notamment à la conduite de la politique extérieure. D'autre part, la communication d'une instruction générale sur les visas, comportant des directives destinées à orienter, de manière générale ou pays par pays, le travail des postes consulaires dans le traitement des demandes de visas, serait de nature à porter atteinte à la conduite de la politique extérieure. Il s'ensuit que le dossier d'une demande de visa " asile " est en principe communicable, y compris la " note diplomatique " par laquelle le poste consulaire soumet la demande au ministère, sous réserve de la suppression ou de l'occultation des pièces ou des éléments dont la divulgation serait de nature à porter atteinte aux secrets et intérêts déjà mentionnés, notamment en permettant de découvrir, directement ou par déduction, les orientations fixées par le ministère, dont celles relatives aux critères devant guider les appréciations portées par le poste.
6. Devant le juge des référés, le ministre, invoquant le c) de l'article L. 311-5 déjà cité, soutenait que les éléments du dossier, s'ils étaient divulgués, permettraient de déduire ses orientations en la matière. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'en suspendant l'exécution du refus de communication opposé à M. A..., au motif que les documents constituant le dossier que détient l'autorité administrative et qui se rapportent à l'instruction d'une demande de visa sont des documents administratifs communicables aux intéressés, sans rechercher si, en l'espèce, la communication ne porterait pas atteinte à la conduite de la politique extérieure, le juge des référés a commis une erreur de droit. Son ordonnance doit donc être annulée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. M. A..., ressortissant afghan, soutient que, résidant en Iran et risquant d'être renvoyé dans son pays, où il est menacé, il lui faut attaquer au plus vite, devant la juridiction administrative, le refus de visa opposé par les autorités françaises et qu'il a besoin, à cette fin, de se voir communiquer l'ensemble des documents sur lesquels s'est fondée l'administration. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que leur communication serait nécessaire à l'introduction d'un recours contentieux dirigé contre le refus de visa. La condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut donc être regardée comme remplie.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, que la demande de suspension présentée par M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris doit être rejetée.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 13 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 4 juillet 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Alexandra Poirson, auditrice-rapporteure.
Rendu le 24 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Poirson
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Vella