Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 février, 27 février et 2 mai 2024, au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B... A... demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur les demandes, adressées les 5 juin et 10 octobre 2023, tendant au retrait du décret du 12 février 1965 en tant qu'il porte libération des liens d'allégeance du requérant à l'égard de la France ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de retirer le décret du 12 février 1965 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la nationalité française ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brocher, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un décret du 12 février 1965, M. A... a été libéré de ces liens d'allégeance avec la France. M. A... a demandé au ministre de l'intérieur et des outre-mer, par des courriers reçus les 7 juin et 12 octobre 2023, de proposer au Premier ministre de retirer ce décret. Il demande au Conseil d'Etat d'annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur ces demandes.
Sur la fin de non-recevoir :
2. Aux termes de l'article 23-4 du code civil : " Perd la nationalité française le Français, même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. Cette autorisation est accordée par décret ".
3. Les dispositions du code civil, qui régissent aujourd'hui l'acquisition et la perte de la nationalité française, n'organisant aucune procédure d'abrogation ni de retrait d'un décret autorisant la perte de la qualité de Français, il appartient à celui qui a été l'objet d'une telle décision, s'il souhaite recouvrer la nationalité française, de solliciter sa réintégration dans la nationalité française dans le cadre de l'une des deux procédures prévues par les articles 24-1 et 24-2 du code civil. L'intéressé peut toutefois, s'il s'avère qu'elle n'a pas été effectivement prise sur sa demande ou qu'elle est entachée d'un vice du consentement, contester cette décision devant le juge de l'excès de pouvoir dans les délais de recours contentieux ou, eu égard aux effets d'une telle décision, demander à l'administration à tout moment de la retirer pour ces motifs.
4. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur et des outre-mer, M. A... ne conclut pas à l'annulation du décret du 12 février 1965 mais des décisions implicites ayant refusé de le retirer. Dès lors, en l'absence d'accusés de réception de ses demandes, sa requête, enregistrée le 2 février 2024, n'est pas tardive.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes de l'article 91 du code de la nationalité dans sa rédaction applicable à la date du décret dont le retrait a été demandé : " Perd la nationalité française, le Français, même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. /Cette autorisation est accordée par décret. Le mineur doit, le cas échéant, être autorisé ou représenté dans les conditions prévues aux articles 53 et 54. " Et aux termes de l'article 54 de ce code " Le mineur âgé de dix-huit ans peut réclamer la qualité de Français sans aucune autorisation. " Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de prescription en disposant autrement, le décret prononçant la libération des liens d'allégeance d'un mineur de plus de dix-huit ans ne pouvait être pris si, à la date de sa signature, ce mineur n'avait pas personnellement signé une demande à cette fin.
6. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 12 février 1965 portant libération des liens d'allégeance avec la France de M. A..., alors âgé de plus de dix-huit ans, a été pris sur la demande formulée le 8 août 1964 par sa mère, pour lui-même et pour son frère. Si cette demande a également été signée par le requérant, elle ne peut être regardée comme présentée personnellement par lui. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête M. A... est fondé à demander l'annulation des décisions attaquées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".
8. L'annulation prononcée par la présente décision implique nécessairement que le ministre de l'intérieur et des outre-mer propose au Premier ministre de retirer le décret du 12 février 1965 portant libération des liens d'allégeance avec la France de M. A.... Il y a lieu de lui enjoindre de le faire dans un délai de trois mois, sans qu'il soit à ce stade nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions implicites du ministre de l'intérieur et des outre-mer sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de proposer au Premier ministre de retirer le décret du 12 février 1965 portant libération des liens d'allégeance avec la France de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy