Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de lui délivrer un titre d'identité et de voyage en qualité d'étranger bénéficiant de la protection subsidiaire et d'enjoindre au préfet de ce département de lui délivrer un titre de voyage dans un délai de deux jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 2400107 du 17 janvier 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 janvier, 7 mars et 30 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand que M. A..., ressortissant afghan bénéficiaire de la protection subsidiaire en vertu d'une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 novembre 2017, a sollicité auprès du préfet du Puy-de-Dôme la délivrance d'un titre de voyage en qualité d'étranger bénéficiant de la protection subsidiaire. M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision implicite par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de lui délivrer ce titre de voyage. Par une ordonnance du 17 janvier 2024, à l'encontre de laquelle M. A... se pourvoit en cassation, la juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer :
3. Si le ministre de l'intérieur et des outre-mer produit à l'appui de son mémoire enregistré le 24 avril 2024 une décision positive faisant état d'un accord pour la délivrance du titre demandé par M. A..., aucun titre n'a été à ce jour délivré à ce dernier. Par suite, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que la requête serait privée d'objet.
Sur le pourvoi :
4. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que la juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, pour rejeter la demande de M. A..., estimé que les circonstances de l'espèce ne caractérisaient pas une situation d'urgence. En statuant ainsi, alors que, d'une part, l'intéressé avait produit à l'appui de sa demande un certificat médical relatif à l'état de santé de sa mère, hospitalisée à Peshawar (Pakistan) pour plusieurs maladies, dont il ressort que son pronostic vital est engagé et qu'elle souhaite voir son fils une dernière fois et, d'autre part, que M. A... ne pouvait, pour se rendre sur place, eu égard à son statut, qu'attendre la délivrance du titre d'identité et de voyage prévu à l'article L. 561-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'ordonnance attaquée doit être annulée.
6. Il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.
Sur la demande de suspension :
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la condition d'urgence doit être, dans les circonstances de l'espèce, regardée comme remplie.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 561-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ne s'y opposent, l'étranger titulaire d'un titre de séjour en cours de validité auquel le bénéfice de la protection subsidiaire a été accordé en application de l'article L. 512-1 qui se trouve toujours sous la protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut se voir délivrer un document de voyage dénommé "titre d'identité et de voyage" l'autorisant à voyager hors du territoire français. Ce titre permet à son titulaire de demander à se rendre dans tous les Etats, à l'exclusion de celui ou de ceux dans lesquels il est établi qu'il est exposé à l'une des atteintes graves énumérées au même article L. 512-1 ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative compétente ne peut s'opposer à la délivrance d'un tel titre que pour l'un des motifs qui y sont mentionnés.
9. Il ressort des pièces du dossier que la demande présentée par M. A... tendant à la délivrance d'un titre d'identité et de voyage sur le fondement de ces dispositions a fait l'objet d'une décision implicite de rejet et que sa demande de communication des motifs de cette décision est restée sans réponse. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, paraît, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision implicite par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de délivrer à M. A... le titre sollicité.
10. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a rejeté la demande de titre d'identité et de voyage de M. A..., jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la requête tendant à leur annulation.
11. Il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, le document de voyage sollicité à titre provisoire. Dans ces circonstances il y a lieu de prononcer contre l'Etat, à défaut pour lui de justifier de l'exécution de la présente décision dans un délai de 15 jours à compter de sa notification, une astreinte de 100 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle cette décision aura reçu exécution.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 17 janvier 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision implicite du préfet du Puy-de-Dôme rejetant la demande de délivrance d'un titre d'identité et voyage à M. A... est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Puy-de-Dôme de délivrer à titre provisoire le titre d'identité et de voyage mentionné à l'article L. 561-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à M. A....
Article 4 :. Une astreinte de 100 euros par jour est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il n'est pas justifié de l'exécution de la présente décision dans le délai mentionné à l'article 3 ci-dessus. Le préfet du Puy-de-Dôme communiquera à la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.
Article 5 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'Etat.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy