Vu la procédure suivante :
La société anonyme (SA) BNP Paribas a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge d'une somme totale, en droits et majorations, de 246 160 121 euros, dont 147 444 922 euros au titre de l'impôt sur les sociétés et de la contribution sociale à l'impôt sur les sociétés des exercices clos en 2009 et 2010, 41 764 931 euros au titre de l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale à l'impôt sur les sociétés et la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2011, 23 395 182 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour la période correspondant aux années 2008 à 2010, 1 907 843 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée pour la période correspondant à l'année 2013, 1 046 676 euros au titre de la taxe professionnelle puis de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des années 2009 et 2010, 26 006 986 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de la taxe sur les salaires pour la période correspondant à l'année 2011 et 4 593 581 euros au titre des deux mêmes taxes pour la période correspondant à l'année 2012. Par un jugement n° 1900130 du 28 octobre 2021, ce tribunal, après avoir constaté un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements prononcés en cours d'instance, a accordé à la SA BNP Paribas la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contributions sociales et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises correspondant à la réintégration d'intérêts non versés par sa succursale italienne pour les exercices clos en 2009, 2010 et 2011, des majorations correspondantes ainsi que d'un montant de 24 175 326 euros de pénalités au titre des exercices clos en 2009 et 2010, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 21PA06650 du 14 juin 2023, la cour administrative d'appel de Paris, faisant partiellement droit à l'appel formé par la société contre l'article 3 de ce jugement, a réduit ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2010 et 2011, respectivement, de 11 133 931 euros et de 10 646 122 euros, prononcé la réduction correspondante des impositions en litige, et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 août 2023, 10 novembre 2023 et 21 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société BNP Paribas demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 5 de cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- la convention signée le 31 août 1994 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société BNP Paribas ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de vérifications de sa comptabilité, la société BNP Paribas a, notamment, été assujettie, d'une part, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contributions additionnelles à cet impôt et de cotisation minimale de taxe professionnelle et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des exercices clos en 2009 et 2010 résultant de la remise en cause, par application de la procédure de répression des abus de droit, du bénéfice du régime de faveur prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts dont elle avait fait application aux dividendes qu'elle avait perçus de la société Bank of the West, dont des titres lui avaient été cédés par sa filiale BancWestCorporation, et d'autre part, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013 procédant de la soumission à cette taxe des commissions de succès facturées par son département " corporate finance ", que la société avait regardées comme exonérées de cette taxe en vertu du e du 1° de l'article 261 C du même code. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 juin 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir réduit ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés, a rejeté le surplus des conclusions de l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il avait rejeté ses demandes de décharge.
Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l'arrêt en tant qu'il a statué sur les rehaussements opérés en matière d'impôt sur les sociétés et de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises :
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur à la date des exercices en litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (...) ".
3. En vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges ".
4. Enfin, en application du premier alinéa de l'article L. 432-12 du code monétaire et financier devenu, à compter du 10 janvier 2009, l'article L. 211-27 du même code, la pension de titres est définie comme l'opération par laquelle, d'une part, et moyennant un prix convenu, des titres financiers sont cédés en pleine propriété, d'autre part, le cédant et le cessionnaire s'engagent respectivement et irrévocablement, le premier à reprendre les titres, le second à les lui rétrocéder pour un prix et à une date convenus. Selon les dispositions des articles L. 432-18 et L. 432-19 du même code, reprises aux articles L. 211-32 et L. 211-33, la pension entraîne, chez le cédant, le maintien à l'actif de son bilan des titres financiers mis en pension et l'inscription au passif du bilan du montant de sa dette vis-à-vis du cessionnaire, tandis que les titres financiers reçus en pension ne sont pas inscrits au bilan du cessionnaire, qui enregistre à l'actif de son bilan le montant de sa créance sur le cédant. Aux termes de l'article L. 432-17 du même code, repris à l'article L. 211-31 : " La rémunération du cessionnaire, quelle qu'en soit la forme, constitue un revenu de créance. Elle est traitée sur le plan comptable comme des intérêts. / Lorsque la durée de la pension couvre la date de paiement des revenus attachés aux titres financiers donnés en pension, le cessionnaire les reverse au cédant qui les comptabilise parmi les produits de même nature ".
5. Il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que par trois actes conclus en 2002, 2005 et 2007, la société holding BancWestCorporation (BWC), immatriculée dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis), a par trois fois cédé à la société BNP Paribas, qui la contrôlait intégralement, une part minoritaire du capital de la société Bank of the West (BoW), que BWC détenait initialement à hauteur de 100%. Le produit de ces cessions était destiné au remboursement d'un emprunt souscrit par BWC pour financer une prise de participation dans une société tierce. Par un pacte d'actionnaires, BWC et BNP Paribas ont convenu d'options d'achat, au bénéfice de BWC, et de vente, au bénéfice de BNP Paribas, la première pouvant être exercée à chaque date anniversaire des cessions, la seconde seulement à l'échéance d'une période de 9 années et dans le cas où BWC n'aurait pas procédé au rachat des titres. Le prix d'exercice de l'option d'achat était déterminé à partir du prix initial de la cession diminué des dividendes de BoW servis à BNP Paribas, et majoré d'intérêts fixes capitalisés par trimestres. Quant au prix d'exercice de l'option de vente, il correspondait au prix de l'option d'achat majoré de 45 millions de dollars.
6. La cour a jugé que, compte tenu notamment de ce que la société BNP Paribas ne supportait, en vertu des stipulations des actes juridiques conclus avec sa filiale, aucun risque d'actionnaire, et qu'elle ne retirerait pas davantage de contrepartie substantielle de la succession d'opérations de cession et rétrocession de titres prévue par ces contrats, de ce que BWC était assurée de retrouver, à l'échéance des conventions, le contrôle intégral de sa filiale BoW, et enfin de ce que la rémunération versée à BNP Paribas, déterminée à l'avance, correspondait en réalité aux intérêts dus dans le cadre d'une opération de pension, les opérations en litige étaient constitutives d'un montage artificiel et devaient, par application de la procédure de répression des abus de droit, être requalifiées en opérations de pension de titres, de sorte que la rémunération versée à la société BNP Paribas n'avait pas la nature de dividendes éligibles au régime de faveur de l'article 216 du code général des impôts, mais celle de produits de créances intégralement soumis à l'impôt sur les sociétés.
7. En déduisant de ces éléments que l'administration était fondée à réintégrer dans les bases de l'impôt sur les sociétés dû en France par la société BNP Paribas les produits de créances qui auraient dû être comptabilisés en l'absence de montage artificiel, alors au demeurant que la simple requalification à laquelle l'administration a procédé sans écarter aucun acte n'était pas de nature à justifier la mise en œuvre des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, sans répondre au moyen, qui n'était pas inopérant compte tenu des stipulations des articles 7 et 11 de la convention fiscale conclue entre la France et les Etats-Unis, tiré par la société de ce que de tels revenus ne pouvaient en tout état de cause être rattachés qu'au bénéfice de son établissement stable situé aux Etats-Unis, prêteur exerçant une activité de centrale de trésorerie, et ne pouvaient être taxés en France, la cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation.
Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l'arrêt en tant qu'il a statué sur les rehaussements de taxe sur la valeur ajoutée :
8. Aux termes de l'article 135 paragraphe 1 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Les États membres exonèrent les opérations suivantes: / (...) f) les opérations, y compris la négociation mais à l'exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion des titres représentatifs de marchandises et des droits ou titres visés à l'article 15, paragraphe 2 ". Assurant la transposition de ces dispositions, l'article 261 C du code général des impôts dispose que : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les opérations bancaires et financières suivantes : / (...) / e. Les opérations, autres que celles de garde et de gestion portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion des titres représentatifs de marchandises et des parts d'intérêt dont la possession assure en droit ou en fait l'attribution en propriété ou en jouissance d'un bien immeuble ou d'une fraction d'un bien immeuble ; / (...) ".
9. Il résulte des dispositions citées ci-dessus de la directive du 28 novembre 2006, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que lorsqu'une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d'une prestation ou livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.
10. Pour juger que la société BNP Paribas devait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'ensemble des prestations facturées par son département " corporate finance ", qui a pour activité le conseil et l'assistance de clients réalisant des opérations de fusion-acquisition, y compris les prestations pour lesquelles la société soutient qu'une rémunération sous forme de " commission de succès " est versée qui entrerait dans les prévisions de l'exonération prévue au e du 1° de l'article 261 C du code général des impôts cité au point 8, la cour s'est fondée sur ce qu'il résultait de l'instruction que cette commission rémunérait, en cas de succès d'une opération, l'ensemble des prestations accomplies, et que, même dans le cas où les contrats conclus avec les clients prévoyaient une prestation liée à la négociation des titres, cette prestation n'avait ni le caractère d'une prestation distinctement rémunérée, ni celui d'une prestation prépondérante au sein de prestations indissociables, ni enfin celui de prestation principale au sein de prestations complexes.
11. En premier lieu, en relevant que les contrats produits devant elle, portant au demeurant sur des périodes antérieures aux périodes de taxation en litige, ne permettaient pas de considérer que la commission de succès qui était versée à BNP Paribas en cas de succès de l'opération avait un lien avec l'accomplissement d'une prestation entrant dans le champ du e du 1° de l'article 261 C du code général des impôts, la cour a porté sur les faits et les pièces qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
12. En deuxième lieu, dès lors qu'elle jugeait qu'il ne résultait d'aucune pièce produite au débat que l'objet d'une telle commission était la rémunération d'une prestation déterminée, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas méconnu les principes rappelés au point 9 ni inexactement qualifié les faits en refusant de la regarder comme rémunérant une prestation revêtant le caractère de prestation principale au sein d'une opération complexe.
13. En troisième et dernier lieu, la cour, qui s'est prononcée au vu de l'instruction et a, sans dénaturation, regardé comme insuffisamment probant le tableau synthétique établi par la requérante elle-même, n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, que la société BNP Paribas est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a statué sur les rehaussements d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010 à raison de la requalification des opérations liées à la société BWC ainsi que, par voie de conséquence, sur les rehaussements de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre de l'année 2010.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société BNP Paribas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 juin 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il a statué sur les rehaussements d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquels la société BNP Paribas a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010 à raison de la requalification des opérations liées à la société BWC, et sur les rectifications de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre de l'année 2010.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société BNP Paribas est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme BNP Paribas et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 juin 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle