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18/07/2024 | FRANCE | N°468687

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 18 juillet 2024, 468687


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2201402 du 3 novembre 2022, enregistrée le 4 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête et les mémoires présentés à ce tribunal par Mme A... B....

Par cette requête et des mémoires complémentaires, enregistrés au greffe du tribunal administratif de Toulon les 24 mai, 20 septembre et 3 octobre 2022, ainsi

qu'un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2201402 du 3 novembre 2022, enregistrée le 4 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Toulon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête et les mémoires présentés à ce tribunal par Mme A... B....

Par cette requête et des mémoires complémentaires, enregistrés au greffe du tribunal administratif de Toulon les 24 mai, 20 septembre et 3 octobre 2022, ainsi qu'un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 15 janvier et 4 mars 2024, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 24 janvier 2022 lui refusant le renouvellement de son mandat aux fonctions de magistrate exerçant à titre temporaire dans le cadre d'un nouveau recrutement ainsi que la décision du 24 mars 2022 rejetant son recours gracieux formé contre ce refus ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes des premier et dernier alinéa de l'article 41-10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Peuvent être nommés magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions (...) / Les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent demeurer en fonctions au-delà de l'âge de soixante-quinze ans ". Aux termes du premier alinéa de l'article 41-12 de la même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. Six mois au moins avant l'expiration de leur premier mandat, ils peuvent en demander le renouvellement. Le renouvellement est accordé de droit sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il est de droit dans la même juridiction ".

2. D'autre part, la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature a, au VIII de son article 39 et au III de son article 50, abrogé, à compter du 1er juillet 2017, les dispositions relatives aux juges de proximité figurant au chapitre V quinquies de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Aux termes du II de l'article 50 de la même loi organique : " Les juges de proximité dont le mandat est en cours à la date de publication de la présente loi organique peuvent être nommés, à leur demande, pour le reste de leur mandat, comme magistrats exerçant à titre temporaire dans le tribunal de grande instance du ressort dans lequel se trouve la juridiction de proximité au sein de laquelle ils ont été nommés, dans les formes prévues à l'article 41-12 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant de la présente loi organique. Leur demande doit intervenir dans le mois suivant la publication de la présente loi organique. Les dispositions relatives à la formation probatoire prévues au même article 41-12 ne leur sont pas applicables. Les dispositions du premier alinéa dudit article 41-12, concernant la nomination pour un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire, leur sont applicables ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, par un décret du Président de la République du 6 octobre 2008, Mme B... a été nommée juge de proximité au tribunal d'instance de Toulon pour un mandat courant jusqu'au 16 novembre 2015. Par un décret du Président de la République du 28 octobre 2015, elle a été placée, sur sa demande, en position de disponibilité pour convenances personnelles pour une durée de neuf mois à compter du 10 novembre 2015. Puis, par deux nouveaux décrets successifs du Président de la République en date du 24 août 2016 et du 4 janvier 2017, elle a été maintenue en disponibilité jusqu'au 1er juillet 2017. Par un décret du président de la République du 9 juin 2017, Mme B... a été nommée magistrate exerçant à titre temporaire au tribunal de grande instance de Toulon à compter du 1er juillet 2017 pour le reste de son mandat en cours ainsi que pour un nouveau mandat de cinq ans à compter du 9 juillet 2017. Elle demande l'annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 24 janvier 2022 rejetant sa demande de renouvellement de son mandat en qualité de magistrat exerçant à titre temporaire et de la décision du 24 mars 2022 rejetant son recours gracieux formé contre ce refus.

4. En premier lieu, d'une part, en vertu des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, les juges de proximité dont le statut a été abrogé au cours de leur mandat de sept ans non renouvelable et qui ont été, à leur demande, nommés, pour le reste de leur mandat, magistrats à titre temporaire, doivent être regardés comme l'ayant été au titre d'un premier mandat exercé en cette nouvelle qualité, et ce quelle que soit la durée restant à courir de leur mandat initial. Ces mêmes dispositions prévoient que, s'ils la sollicitent, leur nomination au titre d'un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire est soumise aux dispositions du premier alinéa de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, lesquelles précisent notamment que le mandat de magistrat à titre temporaire n'est renouvelable qu'une fois. La possibilité pour un magistrat exerçant à titre temporaire ayant déjà accompli deux mandats de faire l'objet d'un nouveau recrutement en cette qualité, qui n'est prévue par aucun texte, aurait pour effet de priver de leur portée ces dispositions.

5. D'autre part, aux termes de l'article 41-20 de l'ordonnance précitée du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets plaçant la requérante en position de disponibilité pour convenances personnelles : " Les juges de proximité sont soumis au présent statut (...) ". En vertu de l'article 67 de la même ordonnance : " Tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : / 1° En activité ; / 2° En service détaché ; / 3° En disponibilité (...) ". Aux termes de l'article 72 de cette ordonnance : " La mise en position (...) de disponibilité (...) est prononcée par décret du Président de la République, sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice et après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente (...). (...) La réintégration des magistrats est prononcée conformément aux dispositions des articles 28, 37, 38 et 72-2 de la présente ordonnance ".

6. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que Mme B... a demandé, dans le délai d'un mois à compter de la publication de la loi organique du 8 août 2016, à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 rappelées au point 2, applicables aux juges de proximité dont le mandat était en cours, puis a sollicité, par une seconde demande, présentée au titre des dispositions de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, le renouvellement de son mandat en se prévalant de ce qu'il s'était écoulé moins de six mois entre son installation en qualité de magistrate exerçant à titre temporaire et la fin de son mandat. Il est constant que, sur la base de ces demandes, Mme B... a été nommée magistrate à titre temporaire par décret du Président de la République du 9 juin 2017, avec la précision selon laquelle cette nomination était prononcée " à compter du 1er juillet 2017, pour le reste de la durée de [son] mandat et pour un nouveau mandat " de cinq ans.

7. Si la requérante entend faire valoir que son mandat de juge de proximité avait expiré le 16 novembre 2015 au terme du délai de sept ans initialement fixé, les placements en position de disponibilité successifs dont elle a bénéficié, à sa demande, pour la période du 10 novembre 2015 au 1er juillet 2017, ont eu pour effet de maintenir ce mandat, de sorte que celui-ci était en cours à la date à laquelle elle a demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 en vue d'être nommée magistrate à titre temporaire. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que sa demande de nomination dans un nouveau mandat de magistrate à titre temporaire, rejetée par la décision litigieuse du 24 janvier 2022, ne pouvait être satisfaite. Par suite, c'est par une exacte application des articles 41-10 et 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 que le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a opposé un refus au motif qu'elle avait déjà exercé deux mandats et ne pouvait donc prétendre à un nouveau mandat.

8. En second lieu, les juges de proximité en position de disponibilité à la date de l'entrée en vigueur de la loi organique du 8 août 2016 ne sont pas placés dans la même situation que les juges de proximité dont le mandat était terminé à cette date, soit du fait de l'arrivée du terme normal de ce mandat, soit du fait de leur démission. Par suite, et en tout état de cause, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées méconnaîtraient les principes d'égalité ou de non-discrimination garantis par l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, la directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail et l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle attaque. Sa requête ne peut donc qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2024 où siégeaient : M. Stéphane Hoynck, assesseur, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Bruno Bachini, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 18 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Stéphane Hoynck

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Bachini

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 468687
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2024, n° 468687
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Bachini
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:468687.20240718
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